Transmission familiale - La donation de l'entreprise familiale, par Vincent Pilarczyk

Transmission familiale - La donation de l’entreprise familiale, par Vincent Pilarczyk

Rédaction du village

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Explorer : # transmission d'entreprise # donation-partage # fiscalité # succession

Par Vincent PILARCZYK vincent.pilarczyk chez notaires.fr, membre de l’INES Nord Pas de Calais (Institut Notarial de l’Entreprise et des Sociétés).

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Beaucoup rêvent de transmettre à leurs enfants ou à leurs proches leur entreprise pour la voir leur survivre et se développer. Donner son entreprise, c’est laisser une formidable chance aux repreneurs. Mais une mauvaise préparation ou une absence d’anticipation conduisent tout droit à la catastrophe, sans parler des incidences fiscales, parfois négligées ou abordées au dernier moment.

Il est loin d’être simple de choisir son successeur et de passer le relais, mais une fois la décision prise, il est fondamental d’en maîtriser les modalités.

Donner, oui … mais comment ?

En fonction de la situation de l’entreprise et de sa taille, les modalités seront fatalement différentes.

C’est sur cette première problématique qu’intervient la véritable stratégie de transmission professionnelle : faut-il envisager une transmission intégrale ou échelonnée ? Quelle place faut-il laisser au cédant pour assurer la continuité de l’entreprise, sans étouffer le ou les successeurs ? A l’inverse, ne faut-il pas limiter la transmission à une partie seulement du capital et conserver, pour le donateur, la maîtrise de l’entreprise ?

Chaque situation est unique. Quelques pistes de réflexion, la matière offrant beaucoup de souplesse. Il est ainsi possible de fractionner et d’échelonner les donations ou les transmissions dans le temps (ce qui permet notamment de transmettre l’entreprise à coût fiscal réduit, voire nul). Il est aussi possible de donner l’entreprise en conservant tout ou partie du pouvoir et /ou des revenus de la société (rémunération et/ou dividendes).

Selon le cas, il pourra être appréciable de transmettre le capital de l’entreprise en conservant un pouvoir statutaire de contrôle et/ou de direction de la société.

On peut aussi envisager de constituer et d’utiliser les atouts d’une société holding dans le cadre de la transmission.

Pourquoi faut-il faire une donation-partage ?

Parmi les proches ou les enfants, tous n’ont pas vocation à reprendre l’entreprise ni à poursuivre l’action du cédant. Attribuer l’entreprise ou les parts de la société à celle ou celui qui y travaille et la développe semble une décision de bon sens, quasi naturelle. Lorsqu’il n’y a qu’un seul enfant ou héritier, tout est simple. Le tableau peut rapidement se compliquer si le donateur aurait plusieurs héritiers légaux en cas de décès.

Un rappel juridique s’impose. Le Code civil considère que toute donation constitue une « avance sur succession ». En conséquence, au moment du décès du donateur, le partage de sa succession entre ses héritiers légaux se fera en tenant compte de tous les biens donnés antérieurement au décès, de leur affectation et surtout, d’après leur valeur au jour du décès. On comprend que la fille prodige ou le fils surdoué qui aura développé l’entreprise donnée avant le décès de ses parents sera pénalisé(e), car sa part dans la succession sera moindre. On considèrera qu’elle/il a « déjà » reçu un bien de grande valeur au décès.

Une donation-partage évite cet inconvénient. Elle permet de fixer définitivement la valeur de l’entreprise, au jour de la donation, et évite de reprendre au décès la valeur des biens donnés. Un exemple pour s’en convaincre.

Exemple : Monsieur DURAND a 2 enfants, une entreprise d’une valeur de 500 000 €, un bien immobilier de même valeur et des liquidités. Il donne en 2009 à sa fille Amélie l’entreprise, pour 500 000 € et ensuite à son fils Baptiste le bien immobilier pour 500 000 €. Les deux enfants ont donc reçu chacun un bien de même valeur, ce qui correspond parfaitement à la volonté d’équilibre de leur père.

10 ans plus tard, Monsieur DURAND décède en laissant des liquidités et divers produits d’épargne pour 400 000 €. Au moment du décès, l’entreprise développée par le travail d’Amélie vaut 900 000 €, alors que l’immeuble donné à Baptiste vaut 600 000 €. Compte tenu des disparités de valeur, et en l’absence de donation-partage, les 400 000 € ne seront pas partagés pour moitié entre les deux enfants comme l’aurait souhaité leur père. Amélie ne percevra que 50 000 € (900 000 € + 50 000 € = 950 000 €) et Baptiste recueillera 350 000 € (600 000 € + 350 000 € = 950 000 €).

Cette règle est parfois négligée alors qu’elle est fondamentale pour l’équité au sein de la famille.

L’autre intérêt de la donation-partage est de donner l’assurance, aux parents ou donateurs, de réaliser le partage anticipé de leurs biens sous leur contrôle et sous leurs modalités. Ils pourront dès lors décider de donner l’entreprise à l’un et d’autres biens aux autres futurs héritiers, ou encore fixer les modalités sous lesquelles l’attributaire de l’entreprise « indemnisera » les frères et sœurs de leur part (modalités de paiement et de versement de la soulte).

Quelle souplesse supplémentaire apporte la dernière réforme des successions et libéralités ?

On appelle libéralités tous les legs et donations faits par une personne. Les règles de droit en vigueur imposent en principe de transmettre au profit de certains proches (enfants notamment) une portion minimale de biens à son décès, appelée réserve héréditaire. Cela signifie que l’ensemble des libéralités faites (du vivant, ou par testament) ne peuvent empiéter sur cette réserve héréditaire. En clair, on ne peut pas déshériter totalement ses enfants. Un contrôle et un calcul sont faits au décès. Mais cette règle est parfois handicapante et ressentie comme injuste dans certaines situations (voir l’exemple qui suit).

Depuis la loi du 23 juin 2006 (1), il est désormais possible, dans le cadre d’un pacte de famille de convenir que l’un ou plusieurs recevront une portion excédant la réserve héréditaire, si ceux au détriment desquels la réserve est entamée y consentent. Il s’agit d’un « acte de renonciation à l’action en réduction ». Cette solution est particulièrement appréciable dans l’hypothèse où l’entreprise donnée en totalité représente la plus grande partie du patrimoine et qu’il n’existe pas suffisamment de biens ni de fonds pour désintéresser les autres donataires.

Exemple : Monsieur Armand DUPONT avait constitué une SARL en 1995. A l’époque, il avait demandé à son père Bernard d’être associé pour moitié des parts avec lui sans pour autant s’investir dans la société. L’entreprise s’est considérablement développée, si bien qu’en 2009, elle est évaluée à la somme de 600 000 €. Cela signifie que la moitié de cette valeur appartient à Monsieur Bernard DUPONT.
Or Monsieur Bernard DUPONT (père) n’a pas de patrimoine, mais 2 enfants, Armand et Béatrice. Si l’on applique les règles de la réserve héréditaire, et si rien n’est fait, Béatrice ne pourra être privée d’une quote-part dans la valeur de l’entreprise développée par son seul frère ! Dans ce cadre, il pourrait tout à fait être envisagé, pour régulariser cette situation, une donation par Monsieur Bernard DUPONT de ses parts au profit d’Armand et de signer une renonciation à l’action en réduction avec Béatrice. Cela permettrait à Armand de recueillir l’intégralité des parts de sa société sans avoir l’obligation d’indemniser sa sœur.

La situation pourrait sembler tout aussi injuste si Armand avait travaillé et développé la société de son père sans en être associé et voir ainsi une partie du fruit de son travail revenir à sa sœur.

Il est désormais possible, grâce à cet outil juridique, d’assurer la sécurité d’un partage inégalitaire, mais équitable au sein de la famille.

…Et la fiscalité ?

Elle a 2 aspects. En principe, la donation d’une entreprise assujettie à l’impôt sur les sociétés (IS) ne génère aucun impôt de plus-value sur les parts ou les actions. Cependant, diverses particularités tenant à l’historique et au fonctionnement de la société peuvent avoir pour effet de générer une plus-value (apport d’un bien en nature, report d’imposition, etc) et le chef d’entreprise sera bien avisé de valider ce point avec son notaire et son comptable qui retraceront l’origine de propriété des biens donnés.

Il ne faut pas non plus perdre de vue que les parts ou les actions ont pu faire l’objet d’engagements de conservation particuliers pris auprès de l’administration fiscale. L’absence d’engagements de cette nature doit être également être vérifiée.

Dans le cadre d’entreprises non soumises à l’IS (entreprises individuelles, SARL de famille, etc), la transmission par donation de l’entreprise peut générer un impôt de plus-value. Toutefois, un certain nombre de dispositifs fiscaux permettent de s’en exonérer, encore faut-il respecter les conditions posées par les textes et les obligations édictées.

A nouveau, l’analyse préalable est nécessaire.

L’autre aspect fiscal de la transmission, c’est l’impôt de donation. Il s’agit des droits d’enregistrement perçus, par l’intermédiaire du notaire, au profit de l’administration fiscale. Le montant de cet impôt, dont le taux est progressif, dépend de la valeur des biens transmis mais aussi du lien de parenté existant entre celui qui donne et celui qui reçoit.

A titre de simple information, voici le barème d’imposition applicable dans le cadre d’une donation intervenant entre parents et enfants.

FRACTION DE PART NETTE TAXABLE TARIF applicable (%)
N’excédant pas 7 922 € 5
Comprise entre 7 922 € et 11 883 € 10
Comprise entre 11 883 € et 15 636 € 15
Comprise entre 15 636 € et 542 043 € 20
Comprise entre 542 043 € et 886 032 € 30
Comprise entre 886 032 € et 1 772 064 € 35
Au-delà de 1 772 064 € 40

Le taux d’imposition défini dans ce tableau s’applique sur la valeur des biens donnés par chacun des donateurs, après application d’un abattement de 156 359 € au profit de chacun des enfants. Il est à noter que le montant de cet abattement est reconstitué tous les 6 ans. Cela signifie qu’on peut transmettre jusqu’à 156 359 € par enfant tous les 6 ans sans payer de droits de donation.

Une fois déterminé le montant de l’impôt, une réduction spéciale d’impôt pour donation (exclue en cas de succession) peut fonctionner. Ainsi, une réduction d’impôt de 50% est appliquée sur les donations en pleine propriété lorsque le donateur est âgé de moins de 70 ans, et de 30% lorsqu’il est âgé de plus de 70 ans, mais moins de 80 ans. Des réductions de 35% et de 10% sont également appliquées en cas de donation en nue-propriété pour les mêmes limites d’âge.

Comment supprimer l’impôt de donation ?

On le voit d’après le barème, pour des sociétés à forte valeur ou en présence d’un important patrimoine à transmettre, ce coût peut s’avérer substantiel, malgré l’application de l’abattement et de la réduction dont il a été question.
La conclusion d’un engagement de conservation appelé « Pacte Dutreil (2) » peut toutefois permettre de réduire sensiblement, voire supprimer l’impôt de donation. Il consiste à pratiquer un abattement de 75% sur la valeur de l’entreprise transmise.

Exemple : Monsieur DUJARDIN a 62 ans et un fils. Il détient une participation de 600 000 € dans une société industrielle. Il décide d’en effectuer la donation au profit de son fils. Si aucune disposition n’est prise et si le mécanisme du Pacte Dutreil n’est pas utilisé, le montant de l’impôt de donation s’élève à 43 478 € (après application de la réduction). Si le mécanisme du Pacte Dutreil avait été utilisé, aucun impôt de donation n’aurait été dû.

Ce pacte prend la forme d’un contrat par lequel le chef d’entreprise va s’engager, avec d’autres associés ou actionnaires, proches ou non, à conserver ses titres sociaux pendant une certaine durée. Aux termes de ce pacte, ils s’engagent à conserver leurs parts ou actions pendant une durée de deux ans au moins. Ces parts ou actions visées par l’engagement doivent représenter au moins 34% du capital et des droits de vote de la société pour une société non cotée (ce pourcentage étant abaissé à 20% dans le cas d’une société cotée). Ensuite, au moment de la transmission, les donataires auxquels les parts ou actions sont attribués doivent chacun prendre l’engagement de conserver les parts ou actions transmises pendant une durée de quatre ans. Enfin, l’un des signataires du Pacte initial ou l’un des successeurs doit exercer un mandat social, pendant l’engagement collectif et pendant trois ans après transmission.

L’engagement de conservation résultant du Pacte n’a d’effets fiscaux qu’en cas de donation ou de succession. Il ne reste qu’une faculté que se réservent les protagonistes en cas de transmission, sans être tenus à quoi que ce soit s’il y a rupture des engagements en l’absence de transmission.

Au vu de tous ces aspects, il est fortement recommandé d’anticiper et de consulter suffisamment à l’avance son notaire et son expert comptable pour faire les bons choix et retenir les bonnes options.

(1) Loi n°2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités
(2) Articles 787 B et 787 C du Code général des impôts.

Article paru dans la Gazette Nord-Pas-de-Calais www.gazettenpdc.fr le 25 septembre 2009.

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