L’article 784 du Code général des impôt dispose, dans sa rédaction actuelle, que :
« Les parties sont tenues de faire connaître, dans tout acte constatant une transmission entre vifs à titre gratuit et dans toute déclaration de succession, s’il existe ou non des donations antérieures consenties à un titre et sous une forme quelconque par le donateur ou le défunt aux donataires, héritiers ou légataires et, dans l’affirmative, le montant de ces donations ainsi que, le cas échéant, les noms, qualités et résidences des officiers ministériels qui ont reçu les actes de donation, et la date de l’enregistrement de ces actes.
La perception est effectuée en ajoutant à la valeur des biens compris dans la donation ou la déclaration de succession celle des biens qui ont fait l’objet de donations antérieures, à l’exception de celles passées depuis plus de quinze ans, et, lorsqu’il y a lieu à application d’un tarif progressif, en considérant ceux de ces biens dont la transmission n’a pas encore été assujettie au droit de mutation à titre gratuit comme inclus dans les tranches les plus élevées de l’actif imposable. »
Cet article prévoit que l’imposition des donations ou des successions est calculée en tenant compte des donations antérieures de moins de 15 années pour le calcul des droits de succession (application du barème, des abattements et des réductions) ; ce mécanisme est appelé le rapport fiscal des donations antérieures.
A contrario, ne sont pas concernées par ce rapport fiscal, les donations consenties depuis plus de 15 années. Ce délai, qui a varié dans le temps à différentes reprises, a été porté de 10 à 15 ans par la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 4 octobre 2016 par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur cet article 784 du CGI à la suite du passage du délai de rapport de 10 à 15 ans.
Les requérants à cette QPC contestaient le fait que la loi du 16 août 2012 ait porté ce délai de 10 à 15 ans en invoquant la méconnaissance de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et la méconnaissance du droit de propriété.
Dans sa décision QPC 2016-603 du 9 décembre 2016, le Conseil constitutionnel a estimé que l’article 784 du CGI dans sa nouvelle rédaction issue de la loi du 16 août 2012, c’est-à-dire avec un délai de rapport augmenté de 10 à 15 années, était conforme à la Constitution.
En effet, le Conseil a rappelé que le principe était que « les droits de mutation à titre gratuit sur les donations et les successions sont liquidés, pour la plupart des ayants droit, selon un barème progressif, qui s’applique le cas échéant après abattement d’assiette, et peuvent faire l’objet d’une réduction. Afin d’assurer une progressivité effective de l’impôt, les dispositions contestées prévoient que l’imposition des donations ou des successions est calculée en tenant compte des donations antérieures. »
Il a ensuite souligné que les dispositions contestées « prévoient également, par exception, que l’imposition des donations et successions est calculée sans tenir compte des donations antérieures effectuées depuis plus de quinze ans. Il résulte de cette règle dérogatoire favorable qu’une donation ou une succession faisant suite à une telle donation est imposée, comme si aucune donation n’avait été consentie antérieurement, en bénéficiant de droits à abattement, d’un barème et de droits à réduction intégralement reconstitués. »
Le Conseil en conclut que comme « chaque donation ou succession constitue un fait générateur particulier pour l’application des règles d’imposition », le législateur avait pu, sans être tenu d’édicter des mesures transitoires, porter le délai de rapport des donations antérieures de 10 à 15 années puisque « les modalités d’imposition d’une donation passée ne peuvent produire aucun effet légitimement attendu quant aux règles d’imposition applicables aux donations ou à la succession futures. »
Néanmoins, le Conseil a posé un garde-fou en formulant une réserve d’interprétation par laquelle il pose le principe que « les dispositions contestées ne sauraient, sans porter atteinte aux situations légalement acquises, avoir pour objet ou pour effet de conduire à appliquer des règles d’assiette ou de liquidation autres que celles qui étaient applicables à la date de chaque fait générateur d’imposition. »
Cela signifie que les règles d’assiette ou de liquidation appliquées à la nouvelle donation ou à la succession ne doivent pas « rétroagir » à la donation rapportée qui devra être imposée selon les règles d’assiette ou de liquidation qui étaient applicables à la date à laquelle celle-ci a été consentie.
Le Conseil constitutionnel a donc, sous la réserve qu’il a énoncée, déclaré conformes à la Constitution les deux derniers alinéas de l’article 784 du CGI dans sa rédaction résultant de la loi du 16 août 2012.
Discussion en cours :
Cette décision cautionne le fait que les règles concernant les modalités du rapport d’un don fait à une date donnée ont été changée a posteriori ; c’est à dire que les règles du jeu sont changées après le début de la partie (ce qui est à la limite de l’escroquerie). Prenons, dans la vie courante, l’ exemple d’ une personne qui commande une voiture de 20 000 euros ; 6 mois après il prend livraison de son véhicule : l’élément générateur du paiement est bien de venir prendre possession de ce véhicule ; or à cette date, si le prix est passé à 30 000 euros et qu’on lui demande cette somme, il est évident qu’il y a un vrai problème d’injustice.
Par ailleurs, la liberté de gérer de façon maîtrisée son patrimoine a disparu puisqu’elle est soumise aux aléas de la fiscalité ; ceci est contraire à la constitution qui garantit cette liberté.
Enfin, si deux personnes font un don de même montant, à la même date, toutes choses égales par ailleurs et que les successions aient lieu à des dates différentes telles que le délai soit de 15 ans pour l’une, mais soit ramené à 10 ans pour l’autre, il n’y a plus égalité devant la loi .
Mon avis est que la décision du Conseil n’est pas légale.