Il est parfois plus aisé d’agir seul que d’actionner le dynamisme d’un groupe de personnes. C’est un peu le sens de l’article 15 de la Loi du 10 juillet 1965.
Le processus de décision en copropriété est très souvent laborieux et nécessite des strates d’arbitrage collectif qui laissent généralement les situations litigieuses s’installer et perdurer dans le temps de manière assez peu tolérable.
Qui n’a jamais connu ce voisin qui s’est arrogé le droit d’aménager une terrasse, un joli caillebotis en bois, sur le toit non aménageable de l’immeuble et non prévu à cet effet ? Une situation « connue de tous » et « en cours de réflexion » entre le syndic et le conseil syndical pour prendre une décision quant à l’engagement éventuel, dans les prochains temps, à plus ou moins long terme, en fonction des fonds, de la météo ou d’autres divinations, d’une procédure judiciaire. Puis finalement, alors même que la résolution est proposée à l’assemblée générale, la conjonction du moment invite les copropriétaires à refuser l’habilitation du syndic à agir en justice. On attendra que l’installation litigieuse soit fuyarde pour s’enquérir de la situation. Et puis, quand ce sera le cas, qui sait, la prescription aura peut-être fait son effet et il sera impossible de solliciter la dépose de l’ouvrage ! Il restera seulement au voisin du dessous de se mobiliser pour obtenir la réparation de son désordre, à ses frais avancés et à ses larmes non retenues. Eh bien, c’est justement le sens de l’article 15 que d’éviter cette situation. Et de permettre au voisin du dessous, et même à tout copropriétaire, d’agir ab initio et de palier la carence d’action du Syndicat des copropriétaires.
Si l’on se réfère à la première phrase du premier alinéa de l’article 15 de la Loi du 10 juillet 1965, c’est assez peu encourageant :
« Le syndicat a qualité pour agir en justice, tant en demandant qu’en défendant, même contre certains des copropriétaires ».
De ce fait, seul le Syndicat des copropriétaires serait recevable à ester en justice pour la défense des intérêts de la copropriété ?
Au vu de l’objet du présent article, il est évident que cette disposition législative ne se limite à ce propos liminaire. En effet, la suite de l’article 15 prévoit trois types de prérogatives pour un copropriétaire, pour agir individuellement dans des problématiques relatives aux parties communes : l’action individuelle (I), l’action conjointe (II), l’action de substitution (III).
En outre, avant d’entamer les développements, il faut comprendre que la jurisprudence a beaucoup discuté et continue d’être alimentée sur la question de la capacité à agir d’un copropriétaire sur les litiges relatifs aux parties commune. Cette évolution, allant dans un sens libéral, c’est-à-dire d’augmentation des droits du copropriétaire à titre individuel, est également la conjonction de deux facteurs : le caractère certainement trop abstrait de l’article 15 et la multiplication des contentieux en copropriété. Cette évolution empirique amène à considérer que les solutions actuelles ne sont pas figées et peuvent être amenées à évoluer au fil de la casuistique judiciaire.
I. L’action individuelle du copropriétaire.
Commençons facilement par la situation la plus évidente, la plus naturelle. Le copropriétaire souhaite engager une action car, il est atteint directement dans son droit.
C’est en ce sens qu’est rédigé l’alinéa 2 de l’article 15 de la Loi du 10 juillet 1965 :
« Tout copropriétaire peut néanmoins exercer seul les actions concernant la propriété ou la jouissance de son lot, à charge d’en informer le syndic ».
Ici, le préjudice est direct et le trouble atteint le copropriétaire de manière certaine. Tel pourrait être le cas du caillebotis litigieux qui fuit dans le logement du dessous, mais également de trouble de voisinage (olfactif, auditif ou visuels), ou encore d’un empiétement du voisin sur une partie commune à jouissance privative.
Dans ce premier cas, le copropriétaire demandeur subit un préjudice personnel. On pourrait même considérer qu’il se trouve dans une action judiciaire classique, de nature privative. Sauf qu’ici, le désordre prend racine dans une violation d’une partie commune. Aussi, et c’est pour cette raison, que l’article 15 prévoit une obligation pour le copropriétaire demandeur de dénoncer son assignation par huissier au syndic (Article 51 – Décret du 17 mars 1967), afin que ce dernier puisse éventuellement s’y joindre s’il s’avère qu’un intérêt collectif est en jeu. Notons tout de même que la violation de cette condition n’entraîne pas l’irrecevabilité de la procédure.
A contrario, l’action individuelle du copropriétaire est restreinte à la seule capacité à agir contre le copropriétaire ou le tiers fautif qui, dans son atteinte aux parties communes, lui cause un préjudice de jouissance ou de propriété. A ce titre, il n’est pas possible d’attraire judiciairement le Syndicat des copropriétaires aux fins d’obtenir sa condamnation à accomplir des mesures pour la remise en état des parties commune [Action de substitution].
II. L’action conjointe du copropriétaire.
Dans ce deuxième cas, le copropriétaire ne subit pas un préjudice personnel. C’est l’une des grandes avancées de la jurisprudence.
Au départ, l’alinéa 1 de l’article 15 prévoyait :
« Le syndicat a qualité pour agir en justice, tant en demandant qu’en défendant, même contre certains des copropriétaires ; il peut notamment agir, conjointement ou non avec un ou plusieurs de ces derniers, en vue de la sauvegarde des droits afférents à l’immeuble ».
Or, pendant longtemps, les Tribunaux distinguaient les cas où l’atteinte aux parties communes résultait d’une violation du Règlement de copropriété, le préjudice personnel du copropriétaire demandeur n’était alors pas requis, des cas où l’atteinte n’impliquait pas de violation du Règlement de copropriété (Exemple : simple abus de jouissance), et l’intérêt personnel du copropriétaire devait être démontré. Depuis un arrêt de la Cour de cassation du 26 novembre 2003, cette condition n’est plus requise. Il doit être considéré que chaque copropriétaire est finalement propriétaire de sa quote-part de partie commune et que le trouble aux droits afférents à l’immeuble doit l’intéresser, quelle qu’en soit la nature.
Notons seulement que la jurisprudence a conservé cette notion de préjudice personnel pour les actions dirigées à l’encontre d’un tiers qui causerait un trouble à la copropriété [1].
De plus, toujours dans un sens plus libéral, la jurisprudence a également rappelé de manière constante que l’action individuelle du copropriétaire n’était non seulement pas subordonnée à une autorisation de l’assemblée générale, mais était également autonome. Ce point est primordial en ce que le copropriétaire est dès lors maître de son procès, indépendamment des demandes du Syndicat des copropriétaires, et l’issue du litige est évaluée distinctement entre lui et la copropriété. Aussi, il importe peu que le Syndicat soit déclaré irrecevable ou soit débouté en son action, le copropriétaire demandeur, à titre conjoint, pourra poursuivre sa procédure et obtenir gain de cause, d’autant plus si l’atteinte à la partie commune lui cause un préjudice [Action individuelle].
En revanche, à défaut de préjudice personnel, l’action conjointe suppose justement qu’elle soit collective. Aussi, le copropriétaire qui s’engage dans un procès se doit de mettre en cause le Syndicat des copropriétaires. Peu importe que par la suite le Syndicat des copropriétaires défende ou non ses intérêts. L’idée est toujours de lui permettre de saisir l’enjeu de l’atteinte aux droits de l’immeuble. Enfin, le copropriétaire ne doit revendiquer une atteinte que sur une partie commune le concernant. Dans cette perspective, il a été refusé à un copropriétaire d’agir pour un trouble sur une partie commune spéciale dont il n’était pas propriétaire indivis [2].
III. L’action de substitution du copropriétaire.
Cette fois-ci, il faut se référer aux deniers paragraphes de l’article 15 de la Loi du 10 juillet 1965 :
« En cas de carence ou d’inaction du syndic, le président du conseil syndical peut également, sur délégation expresse de l’assemblée générale, exercer une action contre le syndic, en réparation du préjudice subi par le syndicat des copropriétaires. Lorsque la copropriété n’a pas de conseil syndical, cette action peut être exercée par un ou plusieurs copropriétaires représentant au moins un quart des voix de tous les copropriétaires.
En cas de condamnation, les dommages et intérêts sont alloués au syndicat des copropriétaires.
Si, à l’issue de l’instance judiciaire, l’action exercée dans l’intérêt du syndicat est déclarée bien fondée par le juge, la charge des frais de procédure non supportés par le syndic est répartie entre tous les copropriétaires proportionnellement aux quotes-parts de parties communes afférentes à leur lot ».
Dans ce dernier cas, le Président du conseil syndical, ou à défaut, un copropriétaire détenant des tantièmes suffisants, se substitue au Syndicat des copropriétaires pour agir spécifiquement à l’encontre du syndic. Il faut noter que cette procédure est extrêmement encadrée en ce qu’elle suppose une délégation « expresse » de l’assemblée générale et n’a pour objet que la mise en cause personnelle du syndic.
Aussi, comme toute action en responsabilité civile professionnelle, le ou les copropriétaires agissant au nom du Syndicat des copropriétaires doivent évaluer non seulement la carence fautive du syndic mais, également son implication dans le préjudice subi. En effet, la responsabilité contractuelle du mandataire suppose la démonstration d’une perte de chance d’une issue favorable. Or, si l’article prévoit que les dommages-intérêts condamnant le syndic seront alloués au Syndicat des copropriétaires, en revanche, en cas de défaite au procès, c’est le copropriétaire à son initiative subira la condamnation et les frais de procédure.
D’autant, et cela vaudra de conclusion, qu’il existe des moyens pour permettre aux copropriétaires de provoquer une assemblée générale pour désigner un nouveau syndic (Article 18 V – Loi du 10 juillet 1965), mais également des procédures pour faire désigner un administrateur judiciaire ou pour faire exécuter des travaux urgents (Article 49 – Décret du 17 mars 1967), en cas d’inaction du syndic. Aussi, à mon sens, l’action de substitution prévue à l’article 15 doit être considérée avec la plus grande précaution.
Discussions en cours :
Merci Maître de votre article sur un sujet très intéressant en effet.
Qu en est il des cas svp ou un copropriétaire peut assigner le syndicat et/ou le syndic en cas de violations du règlement et inaction de ces derniers pour le faire respecter ? Et quelle type de responsabilité engager : contractuelle ou délictuelle ?
Merci à vous
Article précis clair et efficace !!!