Démissionnaire en mars 1983 d’un gouvernement dont il dénonçait « la parenthèse libérale », Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de la Recherche, s’était exclamé : « Un ministre, ça ferme sa gueule. Si ça veut l’ouvrir, ça démissionne ».
Trente ans plus tard, en butte à des ministres frondeurs, Alain Vidalies, ministre des Relations avec le Parlement, fermait le ban : « Cela devrait être la règle, car ça ne peut pas être autrement. Dans un gouvernement, il n’y a qu’une seule politique ».
N’en doutons pas : cette « radicalité », à la supposer telle, n’est pas que nationale. Elle est aussi locale. Les adjoints au maire en savent quelque chose. Ou devraient le savoir. S’ils n’ont démissionné avant, ils en mesurent l’ampleur au jour du retrait de leur délégation.
Décision éminemment cruelle puisqu’à sa lecture, sauf rare exception, leur avocat n’a qu’un conseil en bouche : rendre les armes. La faute au juge administratif, lequel ne censure guère, ou si peu, une décision dont le substrat lui semble plus politique que juridique. Raison pour quoi il s’en défie d’importance (II). Avant d’en fixer les motifs d’une manière qui dit tout de la position du maire adjoint : celle de l’oiseau sur la branche (I).
I) Les bons et mauvais motifs du retrait de sa délégation à un adjoint.
Des motifs ? Quels motifs ? La loi n’en dit rien. Partant, le juge y supplée. Quitte à se référer à deux dispositions du Code général des collectivités territoriales (ci-après CGCT) dont il induit sa règle. Des articles L2122-18 et L2122-20 qui ouvrent au maire la faculté de déléguer une partie de ses fonctions à l’un ou plusieurs de ses adjoints comme de les leur retirer, le juge infère : « Le maire peut, à tout moment, mettre fin aux délégations qu’il a consenties, sous réserve que sa décision ne soit pas inspirée par des motifs étrangers à la bonne marche de l’administration communale » [1].
« Motifs étrangers à la bonne marche de l’administration communale » : pierre philosophale ou bouteille à l’encre, on hésite encore. « La bonne marche » de la commune, l’expression est accessible à l’entendement. Les « motifs étrangers » sont déjà moins clairs, pour ne pas dire fuligineux. De quoi exciter l’imagination, en tout cas. Ce qui n’est pas sans danger.
Voyons pour l’heure de quelle lumière le juge administratif éclaire cet amphigouri en distinguant, parmi les motifs, les bons (A) de ceux qui ne le sont pas (B).
A) Les bons motifs.
Ecartons rapidement les insultes publiques [2] ou les actes de violence contre les membres de la famille du maire [3]. Très minoritaires, heureusement, de tels comportements disqualifient leurs auteurs. Leur délégation ne peut qu’être retirée.
Dans l’écrasante majorité des cas, deux motifs fondent le retrait d’une délégation à un adjoint : l’un tient au désaccord politique qui l’oppose au maire (1), l’autre au comportement de l’adjoint dans sa manière de remplir ses fonctions (2). Dans les deux cas, la confiance entre le maire et son délégataire est rompue.
1) Un désaccord politique entre le maire et l’adjoint.
Il semble déterminant qu’il soit public. On s’en félicitera, sans quoi l’on ne comprendrait pas qu’il fût regardé comme affectant la bonne marche de l’administration communale. Reste que de privé, le dissentiment peut aisément devenir public. Il suffit d’y donner écho… Nous y reviendrons.
Le juge paraît également exiger qu’un tel désaccord soit répété en portant, de surcroît, sur un projet ou un acte important pour la commune.
Enfin, la position du délégataire dans la hiérarchie communale n’est pas indifférente : l’opposition, par exemple, d’un premier adjoint étant légitimement vue avec plus de sévérité.
A ces conditions, un tel désaccord a justifié un retrait de délégation :
« À la suite de graves différends consécutifs à des prises de position de l’adjointe déléguée sur la gestion municipale (opposition au projet de POS) » [4] ;
« À la suite de la publication dans un journal dont l’adjoint délégué est le directeur, d’un article de l’épouse de celui-ci mettant gravement en cause, en des termes vifs, la politique suivie par le maire dans le domaine sur lequel porte la délégation consentie au requérant » [5] ;
« À la suite des mauvaises relations qui se sont notoirement établies entre l’adjoint et le maire de Coudekerque-Branche » [6] ;
« À la suite d’une dissension intervenue au sein du conseil municipal lors du vote du budget supplémentaire » [7] ;
« Par l’effet d’une opposition de l’adjoint à une délibération portant suppression d’un emploi communal » [8] ;
« Par l’effet de mauvaises relations qui s’étaient établies après que l’adjoint eut pris publiquement position en faveur d’un candidat opposé au maire lors des élections cantonales de mars 1992 » [9] ;
« À la suite de dissensions sur la question du personnel communal et la diffusion aux élus de la majorité d’un document mettant gravement en cause le maire » [10] ;
« À la suite d’un différend opposant la municipalité à Mme Y épouse de M. Félix X, alors adjoint délégué à l’urbanisme, lequel a pris publiquement fait et cause pour la position de son épouse ; qu’eu égard au caractère public de ce différend (…) » [11] ;
« Après qu’il l’eut informé des graves dysfonctionnements qu’il avait constatés dans la gestion des finances communales, le Tribunal administratif de Rouen juge que toutefois et à supposer même que ces allégations étaient établies et constituer des infractions pénales, l’arrêté attaqué […] ne repose pas sur des faits matériellement inexacts ni des motifs étrangers à la bonne marche de l’administration communale » [12] ; dans le même ordre d’idées « Après que l’adjoint ait accusé le maire d’avoir utilisé ses fonctions à des fins personnelles, en vue d’avantager sa fille à propos de terrain et d’un projet de lotissement » [13] ;
« Consécutivement à de graves difficultés relationnelles entre l’adjointe déléguée, d’une part, les services municipaux et certains interlocuteurs de la commune, ainsi que le maire lui-même, d’autre part » [14] ;
« Après que le premier adjoint eut voté contre un projet de rénovation urbaine du centre-ville » [15] ;
« En raison des graves difficultés apparues dans les relations que l’adjointe déléguée entretenait avec les agents du service communal de l’état civil depuis 2010 » [16] ;
À raison « de la distance par rapport à la politique conduite par le maire ; notamment abstention lors du vote d’une délibération du conseil municipal relative aux subventions à accorder aux associations locales, alors que ce choix correspondait à un thème de campagne » [17] ;
« Après que l’adjoint se soit opposé à la mise en place d’un système d’astreintes des adjoints au maire et ait voté au cours de la séance du conseil municipal du 26 mars 2015 contre le règlement intérieur du conseil municipal » [18] ;
« Après que l’adjoint ait signé une pétition, élaborée à l’initiative de son épouse, relative au rétablissement d’un passage protégé près d’un lieu de ramassage scolaire situé dans la commune, et qui a été transmise au conseil général, au conseil régional, à la communauté de communes, à une administration de l’Etat, au préfet et au sous-préfet (…) et aux conseillers municipaux. (…) Ce sujet est devenu polémique et les relations entre le maire et l’adjoint se sont tendues et les échanges lors des réunions du conseil municipal sont devenus houleux » [19].
La cause semble entendue : qu’un désaccord politique surgisse publiquement entre le maire et son adjoint à propos d’une question d’importance et la délégation de ce dernier pourrait ne pas faire de vieux os.
Elle s’expose au même sort en raison, cette fois, du comportement même de l’adjoint.
2) Le comportement de l’adjoint dans l’exercice de ses missions.
Cette fois, maire et adjoint ne divergent plus.
Mais ce dernier en fait trop ou pas assez.
Excès de zèle dans le premier cas (1), apathie dans l’autre (2) : en toute hypothèse, sa délégation peut succomber.
De même, quand l’adjoint communal perd ses nerfs lors d’un échange avec un agent d’une autre administration, fût-ce dans un cadre privé (3).
1) Un zèle excessif.
Nous renvoyons d’abord à ce jugement qui pointe l’ingérence de l’adjoint dans le fonctionnement des services municipaux en dehors des domaines de sa délégation en remettant en cause des instructions [20].
Puis à celui-ci :
« L’adjoint formulait des remarques et des critiques incessantes sur la manière d’exercer leurs fonctions, sur leur compétence et leur motivation (…) ont eu pour effet de déstabiliser les agents qui en ont été victimes et étaient ainsi de nature à affecter la bonne marche de l’administration communale » [21].
2) Le manque de zèle.
Il peut naître de l’absentéisme de l’adjoint aux commissions municipales, d’où il suit que la mission confiée dans le cadre de sa délégation n’est pas correctement assurée [22].
A fortiori sont légitimement pointées les absences répétées de l’adjoint aux réunions du conseil municipal, du conseil des adjoints délégués et du conseil de la majorité [23].
3) L’intempérance comportementale.
Citons ce récent arrêt - d’école - de la Cour administrative d’appel de Douai :
- « Il ressort (…) de la plainte déposée par l’agent d’accueil du commissariat de police de Condé-sur-l’Escaut et de l’attestation rédigée le 25 mars 2017 par le commandant de police alors responsable de ce commissariat, que, le 23 février 2015 alors qu’elle accompagnait sa mère qui souhaitait porter plainte, Mme D... a fait état de sa qualité d’adjointe au maire et a exigé, en des termes dépourvus de tact, d’être reçue par un fonctionnaire de police qu’elle déclarait connaître. Invitée par l’agent d’accueil à justifier de son identité et à préciser les motifs de sa plainte, elle a dénigré cette dernière et les forces de la police nationale en des termes insultants. (...).
Il ressort, en outre, des propos tenus par la requérante elle-même, dont certains ont ultérieurement été relayés par voie de presse, qu’à l’issue d’une réunion qui s’est tenue le 27 avril 2015, en présence d’autres adjoints et au cours de laquelle elle a été interrogée par le maire sur cet incident, une mésentente tenace s’est cristallisée entre Mme D..., d’une part, et le maire ainsi que d’autres adjoints, d’autre part.
Ainsi, le risque de dégradation des relations de la commune avec les forces de la police nationale et les dissensions entre Mme D... et les membres de la municipalité, pris en compte par le maire pour retirer, par l’arrêté du 13 mai 2015, la délégation de fonctions qu’il lui avait consentie, reposaient sur des éléments suffisants non entachés d’inexactitude matérielle et n’étaient pas étrangers à la bonne marche de l’administration communale » [24].
Mais il n’est pas que de bons motifs au retrait d’une délégation.
Il en est évidemment de mauvais.
Ce que le juge débusque parfois. Sans excès de zèle, toutefois…
B) Les motifs illégaux au retrait d’une délégation.
Constituant l’envers des précédents, ces motifs sont jugés indifférents à la bonne marche de l’administration communale.
Dès lors, ils ne peuvent fonder le retrait de sa délégation à un adjoint.
Ainsi :
D’un retrait motivé par une divergence de vues apparue entre un adjoint et le maire au sujet de l’aménagement d’une caserne libérée par l’État.
Les juges notent que cet adjoint, « comme c’était son rôle en tant qu’adjoint chargé de l’urbanisme et de l’aménagement, a estimé utile d’enrichir la réflexion engagée à cet égard en proposant un projet différent de celui envisagé par le maire ; que le désaccord résultant de la confrontation de ces projets, pour réel qu’il ait été, n’a cependant revêtu que le caractère ponctuel d’une divergence d’ordre technique, d’ailleurs non rendue publique, le dossier confidentiel n’ayant été adressé qu’aux élus de la majorité, et traduisait le souci de chacun des protagonistes de parvenir, dans l’intérêt de la commune, à la solution urbanistique la plus adaptée tant dans sa définition que dans sa réalisation » ; le tribunal jugeant que « dans ces conditions, ce différend qui s’inscrit dans le cours ordinaire du débat démocratique préalable aux choix effectués par une municipalité et n’a pas excédé, dans sa manifestation, un degré de polémique inadmissible au sein d’une assemblée élue, n’était, dès lors, pas de nature à porter atteinte à la bonne marche de l’administration municipale » [25] ;
« De l’absence de dissensions sérieuses et répétées sur des projets d’importance mineure, dans l’hypothèse d’un premier votre contre une décision de préemption portant sur une propriété estimée à 13 720 € et d’une abstention à propos de l’acquisition de bâtiment d’une valeur de 38 000 €, en l’absence de manifestation publique d’opposition » [26] ;
De dissensions ponctuelles prenant la forme de votes défavorables sur des projets de peu d’importance.
Par exemple : « Abstention d’un adjoint lors du vote du conseil municipal relatif à la dénomination du complexe sportif municipal, sans qu’il ait critiqué publiquement, à cette occasion ou ultérieurement, la politique menée par le maire de la commune ou se soit opposé à ce dernier » [27] ;
Du retrait de la délégation d’un adjoint en raison de l’introduction par ce dernier, en tant que particulier, d’un recours juridictionnel à l’encontre d’un permis d’aménager concernant une parcelle contiguë à sa propriété : « Ce recours, auquel il n’a été donné une quelconque publicité, ne saurait être regardé comme traduisant un désaccord à l’encontre de la politique municipale, en particulier en matière de construction de logements sociaux ou un différend politique avec le maire ou la majorité municipale. L’exercice de la faculté ouverte à tout citoyen disposant d’un intérêt pour agir à l’encontre d’une autorisation d’urbanisme ne saurait à elle-seule être regardée comme la mise en cause de la politique municipale en matière d’urbanisme ou de logement ou la manifestation de dissensions de nature à perturber la bonne gestion des affaires municipales » [28].
Parmi ces mauvais motifs, on en trouve de politiques.
Pour partir d’un bon sentiment (démocratique, dirons-nous), ils n’en sont pas moins piégeux.
Ainsi du retrait des délégations
« qu’un maire avait accordées à trois de ses adjoints appartenant à la même formation politique que lui pour donner suite à la volonté exprimée par la section locale du parti majoritaire au sein du conseil municipal de mettre en place une "nouvelle grille de répartition des responsabilités des adjoints, plus représentative des courants en présence" au sein dudit conseil ».
Intention louable a priori que la Haute assemblée ne regarde pas moins comme étrangère à la bonne marche de l’administration communale [29].
L’analyse inverse ne semblait pourtant pas déraisonnable : sauf à la vider de tout sens politique (ce qui semble irréaliste), la bonne marche de l’administration communale n’a-t-elle rien à gagner d’une répartition politiquement équilibrée des délégations confiées aux adjoints ?
Quoi qu’il en soit, une conclusion s’impose à ce stade : à lire la jurisprudence, il est manifestement plus de bons que de mauvais motifs au retrait d’une délégation d’un adjoint au maire.
On n’en serait pas autrement ému si ledit adjoint avait au moins son mot à dire.
Or, s’il ne lui est pas interdit de se défendre, on déplorera qu’il ait peu d’armes pour ce faire.
II) Un processus politiquement défendable, mais en droit ?
Qu’un maire retire sa délégation à un adjoint réellement et publiquement « déviant », cela se justifie politiquement (A).
Encore faut-il, si l’on ose dire, que le droit suive.
En clair, qu’une telle décision soit entourée de garanties au profit de l’adjoint(e) concerné(e).
On en est loin (B).
A) Une décision politiquement légitime.
Une commune, au sens administratif et politique du terme, n’a qu’un chef : son maire [30]. Cette qualité lui fait porter les responsabilités administratives, politiques et juridiques dans la gestion quotidienne des affaires de la commune.
Parce que, pratiquement, il n’est pas en mesure de gérer seul de telles affaires, le maire est en droit de déléguer une partie de ses fonctions à ses adjoints élus par le conseil municipal. Pour cela, comme pour le retrait de ses délégations, il n’a aucun avis à solliciter dudit conseil [31].
Signalons que ces délégations sont dites de « fonctions ». Juridiquement assimilées à des délégations de signature, elles sont nominatives, partant accordées en considération de la personne de l’adjoint dont le maire est en droit d’attendre une parfaite loyauté.
Enfin, parce qu’elles sont de signature et non de pouvoirs, les délégations aux adjoints n’opèrent aucun transfert de compétence.
Il s’en induit ceci.
D’une part, le maire peut donner des instructions à son adjoint.
D’autre part, si l’adjoint peut signer un acte ressortissant de sa délégation, il le fait au nom du maire, sous son contrôle et sous sa responsabilité [32] ; le maire pouvant d’ailleurs évoquer toute affaire, comme bon lui semble, c’est-à-dire retirer à l’adjoint délégué un dossier qu’il estime plus convenable de traiter lui-même, ou que l’adjoint tarde à traiter, voire un dossier sur lequel l’adjoint refuse d’engager sa signature.
Est-ce assez dire, dans ces conditions, qu’en droit comme en fait, l’adjoint d’un maire n’existe que par et pour celui-ci.
Comment, dès lors, refuser à l’édile une liberté totale de retrait des délégations, laquelle paraît bien découler nécessairement de ses responsabilités ?
On nous dira qu’un adjoint au maire n’est pas un godillot.
Que s’il doit mettre en œuvre le programme du maire et les délibérations de l’assemblée délibérante, il ne peut s’en contenter.
Qu’il est aussi tenu d’être force de propositions, lesquelles peuvent nuancer le programme municipal dans l’intérêt même des administrés.
Après tout, la vision première du maire sur un sujet afférent à telle délégation peut être erronée.
Par suite, elle doit pouvoir être amendée.
Pour qu’il en soit ainsi, comme l’indique Francis-Paul Bénoit,
« Cela implique une certaine stabilité de la délégation, tout à la fois dans l’intérêt des administrés et dans celui des adjoints. Ce n’est en effet que par l’assurance d’une telle stabilité que les adjoints seront non seulement conduits à accepter d’être chargés de délégations, mais encore qu’ils seront incités à s’investir dans leur mission. D’autre part, la charge d’une délégation implique que l’adjoint qui en est investi accepte de lui consacrer une part, qui peut être importante, de son activité. Dans la mesure où il doit opter pour une réduction de ses activités personnelles au profit de ses fonctions d’adjoint, il convient qu’il soit assuré d’une stabilité raisonnable des conditions matérielles attachées à ces fonctions, notamment indemnitaires » [33].
Nous souscrivons pleinement à cette analyse.
Reste que l’adjoint ne peut ignorer qu’il est l’émanation d’une politique initiée et présentée par le maire mais aussi, et surtout, avalisée par la population locale.
Cette onction populaire réduit d’autant la marge de manœuvre de l’adjoint.
Au risque de susciter l’incompréhension des administrés, il ne peut donc faire état publiquement de sa mésentente avec les services municipaux, voire, et plus encore, entre le maire et lui.
Il n’est pas rare que des adjoints novices en politique vous assènent :
« Moi, je ne fais pas de politique, je laisse cela à ceux qui en vivent. Moi, qui n’ai plus à rien à prouver, je n’ai qu’un but : l’intérêt de habitants de la commune. Et si M. le Maire, quand je ne lui demandais rien, a souhaité m’intégrer sur sa liste, il doit comprendre que je suis un homme/femme libre, à la parole franche. Quoi qu’il en coûte ! ».
Un telle candeur a notre sympathie.
Elle n’est pas moins profondément erronée.
De la politique, l’adjoint en fait naturellement. À son insu voire à son corps défendant, mais il en fait.
Déléguer un service public plutôt que de l’assurer en régie, c’est faire œuvre politique. Verser une subvention ou s’y refuser, c’est encore un choix politique.
Chaque fois, cela suppose clarté, explication et, par-dessus tout, unité au sein du conseil municipal. Unité politique, quoi qu’on en pense.
A défaut, l’accusation d’une municipalité réduite au bateau ivre sera bientôt brandie. Sans compter, plus grave encore, le malaise consécutif au sein de services municipaux tirés à hue et à dia…
Conclusion : politiquement, malgré qu’il en ait, l’adjoint au maire, six ans durant, évolue dans des sables mouvants.
Qu’il s’y débatte en y faisant la grosse voix et le voilà déjà aux abysses…
Cela nous paraît le prix à payer d’une démocratie forte et résolue. Donc efficace.
Même si cela n’épuise pas le débat.
Il s’en faut de beaucoup.
B) Des droits de la défense largement occultés.
Si l’on comprend aisément que la politique locale ait ses droits, on n’aura garde d’oublier que l’adjoint au maire a aussi les siens.
Ou devrait les avoir.
Saisit-il le juge administratif, il découvre alors qu’en dépit de rares nuances, la jurisprudence lui est, en effet, peu favorable.
Qu’on en juge.
1. L’arrêté mettant fin à la délégation n’a pas le caractère d’une sanction mais celui d’un acte réglementaire.
Il n’a donc pas :
à être motivé [34] ;
ni à être précédé d’une procédure contradictoire préalable [35].
Comme l’écrit notre confrère Landot sur son site : « Le maire n’a donc pas d’obligation de recevoir l’intéressé ou de lui laisser le temps et les moyens de présenter ses arguments en défense »…
à être notifié à l’intéressé(e). La publication de l’arrêté suffit.
En conséquence, l’adjoint sera contraint d’introduire un recours pour connaître les raisons qui justifient le retrait de sa délégation.
Pour comble, le juge n’exerce sur la décision de retrait qu’un contrôle minimum des motifs englobant l’existence matérielle des faits et l’erreur manifeste d’appréciation [36].
Un adjoint au maire peut ainsi consacrer six ans de sa vie à exercer sa délégation, avec les contraintes personnelles et, le cas échéant, professionnelles que cela engendre puis, d’un jour à l’autre, apprendre que celle-ci a été abrogée pour des raisons que la loi n’impose pas de lui faire connaître, et sans qu’il soit en mesure de s’expliquer…
Cela ne nous paraît pas admissible.
2. Comme le notait déjà le professeur Bénoit, « Les maires peuvent assez facilement faire passer pour des insuffisances ou des dissensions ce que sont, en réalité, les expressions des oppositions à leur personne ou à leur politique ».
Détournement de pouvoir, se récriera-t-on.
Sans doute, mais, comme on le sait, un tel grief est très rarement admis par le juge.
Il le sera d’autant moins qu’en la cause, le juge semble aisément convaincu d’une entame à la bonne marche de l’administration communale.
3. Entame qui, à ses yeux, naît aisément, on l’a vu, d’un désaccord entre le maire et son délégataire.
4. Désaccord qu’à notre connaissance, le juge n’illustre pas, en se bornant à exiger qu’il ait des « répercussions sur la gestion de la commune » [37].
Certes, on n’imagine pas qu’un désaccord mineur ait quelque répercussion sur la gestion d’une commune, répercussions notables s’entend.
Mais outre que nous ne trouvons pas d’arrêt de principe du Conseil d’Etat posant la nécessité de graves dissensions, nous n’en trouvons pas plus exigeant de graves répercussions.
Seules les juridictions inférieures (TA et CAA) semblent poser cette double condition…
En sorte que les maires évoluent en la matière sur un terrain, disons le mot, passablement confortable.
5. D’autant plus confortable qu’à supposer même qu’un maire se sente lié par l’exigence d’une publicité au désaccord qui l’oppose à son adjoint, il n’aura guère de mal à lui donner quelque réalité.
N’existerait-elle pas ab initio, cette publicité peut rapidement surgir d’un édile surjouant l’indignation que lui inspire telle analyse, fût-elle fondée, de son adjoint.
De la simple anicroche, on passe alors au conflit ouvert et du conflit ouvert… à la disgrâce.
Avis aux adjoints lanceurs d’alertes qui se croient au Capitole : la Roche Tarpéienne est à deux pas [38]…
Concluons d’un mot : le statut d’adjoint au maire est des plus précaires.
Sa réforme en vue d’un renforcement des droits de la défense en cas de retrait de délégation nous semble requise.
Ferment d’un engagement accru de la société civile dans la gestion locale, une telle réforme serait forte d’une non moindre vertu : prévenir les lendemains qui déchantent…