Se rapporte-il à un sujet aux contours politiques voire philosophiques évidents, le présent article se veut strictement juridique.
Il n’a pas d’autre ambition.
On glissera rapidement sur les drapeaux français et européen. Sauf rares exceptions, leur pavoisement au fronton des mairies françaises n’est pas discuté. Circonstance d’autant plus notable qu’aucun statut juridique n’y est attaché : nulle instruction n’impose le pavoisement à titre permanent des édifices publics aux couleurs nationales. Celui-ci intervient exclusivement dans le cadre des instructions émanant du gouvernement pour le pavoisement des édifices publics, à la faveur de cérémonies nationales ou de la réception de chefs d’État étrangers. Quant au drapeau européen, son pavoisement est requis à l’occasion de la journée du 9 mai, en association, naturellement, avec le drapeau tricolore.
Venons-en au thème qui nous occupe : les drapeaux et calicots à message(s).
Longtemps, le sujet ne semblait pas faire question. Dans certaines communes, on débattait, parfois vivement, de tel fortin à enlever ou de telle cause à défendre. Ici, le plus souvent, on se bornait au vœu. Là, l’engagement s’élevait jusqu’à la subvention.
Dans tous les cas, les frontons communaux demeuraient cois. Période révolue.
Depuis une vingtaine d’années, on ne compte plus les communes, du bourg à la métropole, qui n’affichent soutien ou mépris à l’égard de tel ou tel.
En 2005, le Conseil d’Etat trancha : des messages au fronton des communes, pourquoi non, mais avis ! : sans blesser la neutralité du service public ! Autrement dit - les fermes conclusions du commissaire du gouvernement Donnat ne laissent aucun doute sur le sujet - : les dazibaos ont vocation à… demeurer chinois (A). On en resta là. Du moins jusqu’au 17 mai 2019. Ce jour-là, ayant à juger de la légalité de drapeaux LGBT installés sur la façade de l’hôtel de ville de la capitale, le Tribunal administratif de Paris n’y trouva rien à redire : il venait de plier la neutralité du service public à l’intérêt public local (B).
A) Drapeaux et banderoles aux frontons communaux : l’apport de l’arrêt du Conseil d’Etat « Commune de Saint-Anne » du 27 juillet 2005.
Depuis le 27 juillet 2005, la cause semblait entendue. Ce jour-là, au vu d’un drapeau, « symbole d’une revendication politique exprimée par certains mouvements indépendantistes présents en Martinique », les juges du Palais-Royal fixaient la règle suivante : « Le principe de neutralité des services publics s’oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques » [1].
Ce considérant semblait laisser entière la question des indices de telles revendications.
Y suppléaient toutefois les remarquables conclusions de M. Francis Donnat, commissaire du gouvernement en la cause. De façon éminemment didactique, ce dernier rappelait d’abord ce qu’est, par nature, un hôtel de ville : un bâtiment administratif, siège des services publics communaux. Comme tel, le temple obligatoire de la neutralité.
Ecoutons M. Donnat :
« Le fronton et, plus généralement, la façade d’un édifice public ne sont en effet pas des espaces quelconques et le fait d’y apposer un symbole plutôt qu’un autre n’est pas un geste dénué de toute portée.
Parce qu’ils se présentent à la vue de tous et parce qu’ils surmontent l’entrée d’un bâtiment administratif, les façades et frontons des bâtiments publics sont ce que l’usager du service public voit en premier et ce que l’administré retient d’emblée de l’administration qu’il vient solliciter.
L’apparence extérieure du bâtiment administratif n’est pas, à cet égard, indifférente.
De même que l’usager du service public est en droit d’attendre de l’agent public qu’il n’exerce sur lui aucune pression par l’expression de ses convictions personnelles ou par le port d’un signe permettant de les reconnaître, et est en droit d’attendre de l’administration qu’elle examine son dossier sans tenir compte de ses opinions personnelles, de même l’usager et, plus largement, le simple passant est en droit d’attendre des autorités responsables d’un service public qu’elles ne lui imposent pas, sur la voie publique, la vue d’un signe symbolisant un attachement particulier à un courant de pensée, à un parti politique ou à des convictions religieuses.
L’apposition de signes ou d’emblèmes religieux ou politiques sur la façade ou sur le fronton d’un édifice public pourrait être considérée à juste titre comme un acte de pression, de propagande ou de prosélytisme, voire comme une forme de reconnaissance officielle, contraire en tout état de cause à la neutralité du service public.
Elle pourrait également laisser penser que l’activité de service public dont le bâtiment ainsi décoré est le siège s’exerce en tenant compte de convictions politiques ou religieuses, et que l’autorité responsable du service public entend privilégier les administrés partageant les mêmes idées qu’elle ; en somme, que l’activité de service public exercé derrière la façade ne l’est ni dans le respect du principe d’égalité ni dans un objectif d’intérêt général ».
La règle posée, M. Donnat l’applique ensuite à l’espèce :
« (…) Une brochure figurant au dossier explique que ce drapeau, apparu en effet en 1870, est devenu le symbole des mouvements indépendantistes de la Martinique.
La brochure décrit ainsi ce drapeau comme représentant « la revendication nationaliste martiniquaise » et « l’affranchissement de la tutelle békée et métropolitaine.
Dans ces conditions, nous avons quelque mal à considérer que la cour se serait manifestement trompée en jugeant que ce drapeau symbolise une revendication politique ».
De cet arrêt, nous comprenons d’abord qu’imposer la neutralité aux frontons d’une mairie n’a d’autre fin que de protéger ses usagers contre toute idéologie. Ce qui, s’en plaindra-t-on, renvoie au substrat sinon à la grandeur de notre service public.
Ensuite, qu’une revendication politique étant jugée comme telle au regard de sa nature propre, si l’on ose dire, l’essayer, c’est l’adopter.
En l’espèce, le drapeau litigieux étant intrinsèquement politique, l’apposer au fronton de la commune revenait évidemment à en épouser la cause.
Sur cette base, par la suite, tribunaux administratifs et cours administratives d’appel conclurent logiquement :
A l’illégalité de la réalisation d’une fresque murale sur le thème de l’accueil des étrangers en France, par laquelle le maire a entendu prendre position dans un conflit de nature politique [2].
Spécialement, la fresque exprimait une critique explicite de l’application de la législation sur l’entrée et le séjour des étrangers.
A notre sens, le juge aurait conclu identiquement si la fresque avait, à l’inverse, exalté cette même législation. En fait de sujets politiques, philosophiques ou religieux, si la neutralité du service public n’interdit aux communes ni critiques, ni lauriers, elle n’autorise pas pour autant d’en faire l’article.
A l’illégalité de l’apposition d’un drapeau palestinien au fronton de la commune de Vaux-en-Velin [3] ;
A l’irrégularité de l’apposition d’une banderole appelant à la libération d’un détenu palestinien [4].
Dans ces deux espèces, la motivation était semblable : les initiatives en cause constituaient « une prise de position dans une matière relevant de la politique internationale de la France dont la compétence appartient exclusivement à l’Etat (articles 52 et suivants de la Constitution) ».
Auraient-elles été jugées [5], il en eût été de même, sans doute :
De l’apposition sur le fronton de nombreuses communes du drapeau tibétain « en soutien du peuple tibétain dans sa lutte pour la liberté et les droits de l’homme » ;
De l’apposition sur les frontons de certaines autres des photos de la journaliste Florence Aubenas et de son guide Hussein Hannoun al-Saadi lors de leur détention en Irak en 2005 ;
De l’apposition depuis 2018 sur des édifices communaux d’immenses « gilets jaunes » en soutien au mouvement du même nom ;
De l’installation en 2021 sur le fronton de la commune de Grenay (Pas-de-Calais) d’une banderole prenant parti dans les débats soulevés par les syndicats de policiers.
En 2019, le Tribunal administratif de Paris parut adopter une autre grille d’analyse [6].
Pourvu qu’il s’inscrivît dans un « cadre festif » propre à favoriser « le développement touristique », le pavoisement de drapeaux témoignant d’un réel soutien politique de la commune ne lui parut pas illégal. L’intérêt public local, jugea-t-il, l’y autorisait.
B) L’intérêt public local au secours d’une neutralité discutable.
La « Marche des Fiertés » est une célébration de la communauté LGBT de Paris qui rassemble des centaines de milliers de participants et spectateurs dans les rues de la capitale.
Lors de son édition 2018, François de Rugy, alors président de l’Assemblée nationale, avait fait apposer des drapeaux arc-en-ciel (emblème de la communauté LGBT) sur les façades du Palais Bourbon.
La même année, le maire de Paris décidait à son tour d’en pavoiser l’hôtel de ville.
Deux associations sollicitèrent du Tribunal administratif de Paris l’annulation de cette décision.
S’il avait suivi la ligne fixée depuis 2005 par le Conseil d’Etat, le tribunal aurait probablement fait droit à cette requête.
Ainsi que les juges parisiens le spécifiaient, « l’une des missions de l’association LGBT est de porter des revendications de nature politique ».
Celles-ci s’entendent notamment de « revendications en matière de conjugalité, parentalités et familles, droits des personnes transgenre, lutte contre les inégalités, les discriminations et les violences, etc. » [7].
La neutralité du service public, dans ces conditions, paraissait bien offensée.
La requête n’en fut pas moins rejetée [8].
Au prix, il est vrai, d’une motivation du jugement rendu passablement audacieuse.
Celle-ci :
« Si l’une des missions de l’association Inter-LGBT est effectivement de participer au débat public et de porter des revendications de nature politique, il résulte de ce qui a été dit précédemment que les initiatives prises ne sont pas uniquement fondées sur une volonté de la ville de Paris d’apporter un soutien politique à ces revendications, mais ont avant tout pour objet d’exprimer un attachement à des valeurs de tolérance et de lutte contre les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, lesquelles sont prohibées en vertu de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 modifiée et font l’objet d’une attention des pouvoirs publics dans le cadre notamment de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH), tout en s’inscrivant dans le cadre d’une action en faveur du développement touristique, notamment à l’occasion de l’organisation d’évènements tels que la « Marche des fiertés » organisée par l’Inter-LGBT en juin ou les « Gay Games » en août 2018.
Dans ces conditions, eu égard notamment à la pluralité de leurs significations et du contexte dans lequel elles ont été prises, les décisions attaquées ne sauraient être regardées comme revêtant en elles-mêmes un caractère politique non conformes (sic) aux exigences qui découlent du principe de neutralité des personnes publiques ».
Résumons :
Le drapeau arc-en-ciel est celui de l’association LGBT, dont les revendications sont, pour partie, politiques.
En le hissant au fronton de son hôtel de ville, une commune apporte donc un soutien politique à la cause LGBT.
Un tel soutien, qui relaie l’action des pouvoirs publics contre la haine anti-LGBT, s’inscrivait, en l’espèce, dans un cadre festif propice au développement du tourisme local.
Par suite, il ne heurte pas « la neutralité des personnes publiques » (expression préférée à la neutralité des services publics).
On mesure aisément, en l’espèce, la distance qui sépare la « philosophie » du Conseil d’Etat de celle du tribunal parisien.
Au Palais-Royal, à l’évidence, on juge une revendication politique et le soutien qui y est apporté au regard de leurs seules composantes. Ce qui les entoure, le contexte, n’importent pas.
A l’inverse, le tribunal administratif de Paris en retient une définition que l’on qualifierait volontiers de globalisante.
Quitte à y ajouter des considérations qui paraissent étrangères au sujet.
Que la loi et le gouvernement luttent, comme de juste, contre la haine anti-LGBT nous paraît, en effet, indifférent : le pavoisement d’un drapeau LGBT reste un geste politique. Respectable certes, mais politique.
Qu’un tel pavoisement soit regardé comme revêtant un intérêt public local du fait de la venue de touristes attirés par « la Marche des fiertés », prenons-en acte.
En quoi, cependant, la signification politique du drapeau arc-en-ciel et de son pavoisement sur un édifice communal en est-elle affectée ?
Poser la question, n’est-ce pas déjà y répondre ?
Quoi qu’il en soit, les juges parisiens ont considéré, en l’espèce, que l’intérêt public local primait l’atteinte à la neutralité du service public.
Sauf erreur de notre part, nous n’avons pas vu que ce jugement ait été frappé d’appel.
De même, nous ne sachons pas que, depuis 2019, le Conseil d’Etat ait fait sienne l’analyse, disons généreuse, du Tribunal administratif de Paris.
On ne peut exclure, toutefois, qu’il s’y rallie tôt ou tard.
En 2020, on se souvient que la Haute assemblée a vu un intérêt local au versement d’une subvention à l’association NOSIG dont l’activité politique [9] l’amène à réclamer « la gestation pour autrui » [10].
A ce compte, au prix d’un intérêt public local largement interprété, il serait logique que le Conseil d’Etat validât demain les drapeaux arc-en-ciel aux frontons communaux.
De tels emblèmes rejoindraient alors le drapeau ukrainien dont nombre de communes ornent actuellement leur fronton.
De ce dernier pavoisement, l’ancien ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, M. Joël Giraud, ne trouvait d’ailleurs rien à redire.
Il y voyait un « engagement international de solidarité, conforme avec les engagements internationaux de la France » [11].
Voire.
L’intérêt public local d’une telle initiative nous paraît très douteux, pour ne pas dire inexistant.
Quant à ce pavoisement, que marque-t-il sinon une prise de position dans une matière relevant de la politique internationale de la France ?
Compétence, à notre connaissance, de l’Etat. Et de lui seul.
Nous risquerons-nous à l’écrire : cela nous paraît heureux.
Discussion en cours :
L’article expose une approche centrée sur les "messages" apposés
Mais on pourrait aussi souligner que "toute inscription, forme ou image destinée à informer le public ou à attirer son attention" constitue, selon la loi (art. L. 581-3 c.env.) une "publicité", sauf à ce que ce message visuel soit "relatif à une activité qui s’exerce dans l’immeuble" où ce message est apposé, auquel cas le message visuel constitue une "enseigne" (même article)
Il ne fait pas de doute juridique que la quasi-totalité des messages dont il est ici question constituent bien des "publicités" (à défaut d’ "informer" le public, au moins pour "attirer son attention"...) et non pas des "enseignes" (les messages sont rarement "en rapport avec l’activité exercée" dans le bâtiment public support !)
Or, toute publicité est interdite sur les façades non aveugles des bâtiments, quelle que soit la destination de ces bâtiments ! (art. R. 581-22, 2°, c.env.)... et aucune dérogation à cette interdiction n’est admise.
Donc, quelle que soit l’intérêt ou la légitimité de ces messages, le code de l’environnement interdit par principe leur installation -même à titre temporaire !- sur les façades non aveugles des bâtiments (publics ou privés)... Mais que fait la police ?...