1) Le délai de l’appel incident
Jusqu’à l’apparition du décret du 9 décembre 2009, la formalisation de l’appel incident ne posait pas de difficulté majeure quant au délai puisque l’article 550 CPC précisait que l’appel incident ou l’appel provoqué peut être formé en tout état de cause, alors même que celui qui l’interjetterait serait forclos pour agir à titre principal. Dans ce dernier cas, il ne sera toutefois pas reçu si l’appel principal n’est pas lui-même recevable.
L’appel incident pouvait donc être formé jusqu’au jour de la clôture de la procédure sous réserve du respect du principe du contradictoire.
Le régime de l’appel incident était identique lorsque la procédure d’appel était soumise au régime de la représentation obligatoire ou lorsqu’elle était soumise à la procédure sans représentation obligatoire des articles 931 à 949 CPC
Le décret du 9 décembre 2009 est venu dissocier le régime de l’appel incident suivant que la procédure est soumise ou non au régime de la représentation obligatoire.
En effet, ce décret a fait précéder les dispositions de l’article 550 ci-dessus rappelée de la formule : « Sous réserve des articles 909 et 910 »
Pour mémoire, aux termes de l’article 909 : l’intimé dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, d’un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant prévues à l’article 908 pour conclure et former, le cas échéant, appel incident.
Et aux termes de l’article 910 : l’intimé à un appel incident ou à un appel provoqué dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, d’un délai de deux mois à compter de la notification qui lui en est faite pour conclure.
Il en résulte que dans les procédures d’appel avec représentation obligatoire, l’appel incident ne peut plus être formé en tout état de cause mais au plus tard dans le délai de deux mois de la signification des conclusions de l’appelant.
La tentation est grande pour l’intimé qui a omis de conclure ou de régulariser son appel incident dans les deux mois de la signification des conclusions de l’appelant de régulariser alors un appel principal, si le délai n’est pas expiré.
La Cour de cassation a alors jugé dans un arrêt du 9 janvier 2014 que celui qui avait omis de faire son appel incident dans ce délai n’était pas recevable à faire une déclaration d’appel principal même si le délai d’appel principal n’était pas expiré [1]
Dans un arrêt du 4 décembre 2014 [2] la Cour de cassation a écarté l’argumentation selon laquelle l’appel principal consécutif à l’irrecevabilité de l’appel incident par application de l’article 909 peut être interjeté dans le délai de un mois de signification du jugement aux motifs que :
La signification de sa déclaration d’appel et ses conclusions par le premier appelant a fait courir le délai de deux mois ouvert à l’intimé par l’article 909 du code de procédure civile pour conclure et former éventuellement un appel incident, ce dont l’intimé s’est abstenu ;
Du fait de son abstention, alors que cette voie de recours lui était ouverte dans les conditions prévues par l’article 550 du Code de procédure civile, l’intimé dans le cadre de la première déclaration d’appel n’était pas recevable à relever appel principal du jugement précédemment attaqué, l’absence de signification de ce dernier étant indifférente.
Dans ces deux arrêts la cour de cassation a pris le soin d’analyser la situation de procédure, laissant entendre que l’appel principal formé par l’intimé au premier appel était en réalité provoqué par ce premier appel et était donc un appel incident dissimulé.
On aurait pu penser que si l’intimé dans le cadre du premier appel avait eu un intérêt à former un appel même si aucune autre partie n’avait interjeté appel, son appel n’aurait pu en aucune façon être qualifié d’appel incident et aurait donc été recevable même s’il avait été formé en dehors des délais des articles 909 et 910.
La Cour de cassation aurait ainsi simplement voulu interdire de déguiser un appel incident en appel principal.
Toutefois dans un arrêt du 13 mai 2015 publié au bulletin [3] semble compromettre cette construction puisque l’appel incident est rejeté en raison de la caducité de l’appel principal, sans que la Cour de cassation ne prenne la peine de constater que l’appel incident n’était motivé que par l’appel principal et n’aurait eu aucun intérêt en l’absence d’appel principal.
2) La recevabilité de l’appel incident est soumise à la validité de la procédure de l’appelant principal
L’article 550 du Code de procédure civile posait la recevabilité de l’appel principal comme condition de recevabilité de l’appel incident : l’appel incident ou l’appel provoqué peut être formé en tout état de cause, alors même que celui qui l’interjetterait serait forclos pour agir à titre principal. Dans ce dernier cas, il ne sera toutefois pas reçu si l’appel principal n’est pas lui-même recevable.
Dès lors l’intimé qui pouvait avoir un intérêt à former un appel principal était tenté de faire un appel incident sans attendre que ne commence à courir le délai de deux mois de l’article 909.
Il avait d’ailleurs intérêt à le faire pour éviter que l’appelant ne se désiste sans son accord l’article 401 CPC soumettant le désistement à l’acceptation de l’intimé qui a formé un appel incident ou une demande incidente.
Dès lors que l’appel principal était recevable, l’appel incident pouvait être considéré comme un appel principal.
Or, la Cour de cassation vient de poser comme principe, dans l’arrêt du 13 mai 2015 ci-dessus cité, que l’appel incident, peu important qu’il ait été interjeté dans le délai pour agir à titre principal, ne peut être reçu en cas de caducité de l’appel principal ;
Ainsi, la Cour de cassation, dans des termes qui ne laissent pas de place à l’interprétation, a ajouté pour la recevabilité de l’appel incident une condition supplémentaire à savoir le respect par l’appelant principal du délai de l’article 908 du Code de procédure civile.
Cette solution est surprenante puisque la recevabilité de l’appel incident est ainsi soumise à une condition qui dépend entièrement de l’appelant. L’intimé ne peut en aucune façon contraindre l’appelant à conclure dans le délai qui lui est imparti par l’article 908. Et il risque le perdre le bénéfice de son appel incident sans avoir aucune possibilité d’y remédier ni de s’en prémunir. On peut ainsi parfaitement imaginer un plaideur qui souhaite éviter l’appel de son adversaire. Il prend alors l’initiative d’un appel principal et le laisse devenir caduc de sorte que l’intimé se trouve ainsi privé de son droit d’appel.
Cette décision est d’autant plus surprenante que le législateur a pris soin d’ajouter à l’article 550 la mention « sous réserve des articles 909 et 910 » et n’a pas mentionné l’article 908 ni ajouté après dans ce dernier cas, il ne sera toutefois pas reçu si l’appel principal n’est pas lui-même recevable. ou « s’il est caduc »
La Cour de cassation a ainsi ajouté une condition supplémentaire et elle ne vise pour cela aucun texte. Elle se substitue ainsi au pouvoir réglementaire sans que la nécessité du principe ainsi posé ne soit véritablement compréhensible.
3) Si l’appel principal ne peut être interjeté par l’intimé qui a omis de former son appel incident dans le délai de l’appel principal, l’appel incident peut-il être formé par celui qui a fait un appel principal qu’il a laissé rendre caduc faute d’avoir conclu dans le délai de trois mois de l’article 908 ?
Dans une décision du 20 mai 2015, le Président de la 1ère chambre civile de la Cour d’appel de Rouen, en qualité de conseiller de la mise en état, a jugé que dès lors que l’appelant initial, dont l’appel est caduc faute d’avoir déposé ses conclusions dans le délai de l’article 908, dépose des conclusions d’intimé et d’appelant incident dans le délai de l’article 909 dans le cadre de l’appel d’une autre partie, ses conclusions sont recevables [4].
Cette décision paraît conforme aux dispositions tant de l’article 909 que de l’article 550. Pourtant elle semble ne tirer aucune conséquence des décisions de de la Cour de cassation rendue dans l’hypothèse inverse [5]. Si cette jurisprudence venait à être confirmée par la Cour de cassation, il y aurait un net déséquilibre entre la situation de l’appelant incident qui ne peut régulariser un appel principal lorsqu’il a omis de conclure dans le délai de l’article 909 et celle de l’appelant principal qui a omis de conclure dans le délai de l’article 908 et peut néanmoins régulariser un appel incident dans le délai de l’article 909 si bien évidemment une autre partie a également interjeté appel.
Dans un arrêt non publié au bulletin, [6], la Cour de cassation a jugé qu’ayant relevé que la réforme de la procédure d’appel avec représentation obligatoire en matière civile réalisée par le décret du 9 décembre 2009 encadrait la procédure dans des délais stricts sanctionnés d’office pour chacune des parties au litige et retenu que l’automaticité des sanctions était la condition nécessaire de l’effectivité de la réforme, la Cour d’appel en a exactement déduit, peu important que les sociétés intimées aient conclu au fond dans les deux mois suivant la notification des conclusions d’appel à leurs avocats non constitués, que la caducité de la déclaration d’appel résultant de ce que ces conclusions n’avaient pas été notifiées dans le délai imparti par la loi à leur représentant dans la procédure d’appel ne constituait pas une sanction disproportionnée au but poursuivi qui est d’obliger l’appelant à faire connaître rapidement et efficacement ses moyens à l’avocat constitué pour l’intimé.
Ainsi, si la décision du conseiller de la mise en état de Rouen peut être considérée comme conforme à l’esprit du Code de procédure civile tel qu’il avait été conçu par ses auteurs, qui considéraient que le litige est la chose des parties et que le juge a pour fonction de trancher les problèmes qui lui sont soumis par les parties, elle ne semble pas être conforme à l’esprit de la procédure moderne telle qu’elle est inspirée par le décret Magendie.
En conclusion, les décisions ci-dessus évoquées ne peuvent qu’inviter à la prudence. Lorsqu’une partie envisage un appel, il semble préférable qu’elle le régularise le plus rapidement possible pour ne pas risquer de se heurter aux difficultés et risques de l’appel incident.
Discussions en cours :
Bonjour maître,
Intéressant cet arrêt du 4 décembre 2014 au demeurant inédit. Y-a-t-il un arrêt fondateur ?
Je n’y ai pas eu droit (27 novembre 2013, CA PARIS). La CA PARIS allait alors à contre courant des CA de province.
"Qu’il est indifférent que cet appel principal, qui est un droit, exercé en l’espèce dans les délais en l’absence de signification du jugement, serve le cas échéant à couvrir l’irrecevabilité des conclusions encourue dans le cadre de la procédure d’appel de X ;"
L’appel principal de l’intimé ne lui a été d’aucune utilité, mais que de temps perdu.
C’est intéressant.
Mais je ne suis pas du tout d’accord avec une partie de l’analyse, qui commence par "Cette solution est surprenante puisque". Ainsi, l’appelant incident dépend du bon vouloir de l’appelant principal à maintenir la validité de l’appel, et, si l’appelant principal, par lenteur ou bien par manœuvre, laisse son appel devenir caduc, alors l’appelant incident n’y peut rien et son appel incident est mort. C’est normal ! C’est le principe de l’appel incident : il dépend de l’appel principal. Cela ne prive pas la partie de son droit d’appel. Si la partie veut vraiment faire appel, elle doit faire un appel principal. Et là, le risque n’existe pas, et la manœuvre que tu imagines avec la caducité serait sans effet. Exact ?
Quant aux jurisprudences de la cour de cassation qui invalident un appel sous prétexte de délai dépassé pour faire appel incident ou provoqué, alors même que le délai pour faire appel principal n’avait même pas commencé à courir, ces jurisprudences sont scandaleuses et me paraissent contra legem. Mais j’ai une idée, en particulier pour l’affaire Constructa (déc. 2014 je crois) où la cour de cass relève dans l’appel les références à un autre appel pour déterminer que l’appel est fait "en réponse". Après le jugement de la cour de cass, la partie succombante, par exemple Constructa, peut toujours faire un appel principal univoque, en marquant bien en grand APPEL PRINCIPAL, tant que la signification - ou notif, je ne sais plus - du premier jugement n’a toujours pas eu lieu ! Donc peut-être encore aujourd’hui. Non ?
Enfin, je signale un bogue dans le présent système de commentaires. On renseigne le formulaire. Puis, pour envoyer le commentaire, on clique sur Prévisualiser. Là on obtient le formulaire toujours renseigné, sauf que le champ Titre a été effacé. Le champ Titre doit avoir son contenu gardé comme les autres. Il serait bon de corriger ce bogue. Merci.
Bonjour,
Mon ex employeur a fait appel en octobre 2015, il avais jusque mai 2016 pour deposer ses conclusions.
Hors a ce jour, j’ai pas de nouvelle.
Que dois je faire ? L’appel est annulé automatiquement ? Je dois patienter ? Si oui, combien de temps ?
Merci pour votre reponse
Je voudrais savoir si l’appel incident peut englober meme les aspects de la decision non visés par l’appel principal mais partiel ?
Bonjour,
J’ai un souci et souhaiterais avoir un avis , une sociétéX fait appel d’une décision à l’encontre de deux intimés Y et Z
.Aucune signification de la déclaration d’appel n’est faite à Z qui n’a pas constitué d’avocat dans le délai d’un mois.
La société X, appelante, signifie ses conclusions à Y par RPVA dans les délais, mais pas à Z dans le mois suivant l’expiration du délai de l’article 908, Z n’avait toujours pas constitué avocat.
Y, intimée, fait signifier ses conclusions d’appel incident dans les délais à Z par huissier, et à X par RPVA.
Le conseiller de la mise en état a prononcé la caducité partielle de la déclaration d’appel à l’encontre de Z
Est-ce que l’appel incident peut être reçu en cas de caducité de l’appel envers Z, il semble que non.
Pourrait- on envisager un déféré demandant la réintégration des parties initimées sur appel incident, notre signification de conclusions par huissier valant assignation ?
En vous remerciant.