L’application de l’article 386 du Code de procédure civile donne lieu à un contentieux et une jurisprudence abondante. Ces derniers mois, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a fait œuvre de clarification et a redéfini certaines notions. Il est vrai que la question est importante puisque si la péremption est prononcée, cela peut priver le justiciable du droit d’accès au juge, droit garanti par l’article 6 § 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Les juges ne doivent pas faire preuve d’un formalisme excessif, les exigences du Code de procédure civile ne doivent pas conduire à une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge. En réalité, comme le souligne la professeure Fricero, ce n’est pas le formalisme en tant que tel qui est excessif mais la sanction du non-respect des règles procédurales qui peut s’avérer excessive au regard du but poursuivi. Il est impératif de trouver un compromis, les juges doivent prendre en considération les raisons pour lesquelles le justiciable n’a pas pu respecter les règles imposées afin de mettre en œuvre la sanction proportionnée de manière proportionnée.
Selon les termes de l’article 386 du Code de procédure civile, « L’instance est périmée lorsqu’aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans ». Alors que la règle semble simple, elle suscite un certain nombre difficultés d’interprétation. Ainsi quel est le point de départ du délai de deux ans ? Comment définir la notion de diligences à la charge des parties ? Le délai de péremption peut-il courir alors que la direction de l’instance échappe aux parties ? Autant de questions sur lesquelles la Cour de cassation a dû statuer.
Les enjeux liés à la péremption sont importants pour le justiciable puisque son prononcé entraine l’extinction de l’instance. Rappelons que la péremption est « par nature indivisible ». « Lorsqu’elle est demandée par une des parties, la péremption éteint l’instance au profit de toutes les autres ». L’effet extinctif de la péremption d’instance s’applique à toutes les parties au procès. En outre, par principe, le prononcé de la péremption n’empêche pas une nouvelle action mais l’écoulement du délai de péremption n’ayant aucun effet sur celui de la prescription, il arrive très fréquemment que le prononcé de la péremption empêche toute nouvelle action car le délai pour agir sera prescrit. Il est donc primordial de déterminer précisément le point de départ du délai de péremption ce que rappelle la Cour de cassation dans un arrêt du 14 novembre 2024. Ce point de départ varie selon que le juge a, ou non, assorti d’un délai les diligences qu’il met à la charge des parties. Dans l’affirmative, le point de départ est la fin du délai imparti. En l’absence d’un tel délai, deux possibilités peuvent être retenues : la date de notification de la décision ordonnant la réalisation de diligences ou la date de connaissance effective de ces diligences par les parties.
Dans l’arrêt du 14 novembre 2024, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation met l’accent sur le jour de la connaissance effective par les parties des diligences mises à leur charge au détriment du jour de la notification de cette décision.
Dans plusieurs décisions rendues en 2024, la Haute juridiction fait preuve d’une plus grande mansuétude à l’égard des parties lorsque la direction de l’instance leur échappe. En effet, avant le revirement opéré par quatre arrêts du 7 mars 2024, la Cour de cassation jugeait, notamment dans le cadre d’une procédure d’appel avec représentation obligatoire, que la péremption était encourue quand les parties ne prenaient pas d’initiative pour faire progresser l’instance ou obtenir du conseiller de la mise en état, la fixation d’une date d’audience. Ainsi, les avocats multipliaient les demandes de fixation dans le seul but d’interrompre le délai de péremption. La Cour de cassation a jugé utile de reconsidérer sa position et considère dorénavant qu’ « il résulte de la combinaison de ces textes [1], interprétés à la lumière de l’article 6, § 1, de la CEDH, qu’une fois que les parties ont accompli toutes les charges procédurales leur incombant, la péremption ne court plus à leur encontre, sauf si le conseiller de la mise en état fixe un calendrier ou leur enjoint d’accomplir une diligence particulière ». Autrement-dit, quand la direction de l’instance échappe aux parties, le délai de péremption ne peut plus leur être opposé. La Haute juridiction a réitéré cette solution y compris dans le cadre de procédures de première instance fin 2024.
Dans deux arrêts rendus le 27 mars 2025, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation fait le constat que sa position quant à la définition d’une diligence interruptive est disparate, que les critères retenus varient selon les procédures. Une telle disparité est source d’insécurité juridique et la Haute juridiction entend y remédier. Dans ces deux décisions, elle redéfinit la notion de diligences interruptives comme « l’initiative d’une partie manifestant sa volonté de parvenir à la résolution du litige prise utilement dans le cours de l’instance ».
Lors de ces derniers mois, ce n’est pas moins d’une dizaine d’arrêts qui ont été rendus par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en matière de péremption. En clarifiant certaines définitions afin de mettre un terme à une jurisprudence disparate, source d’insécurité juridique, en rappelant les conditions permettant de sanctionner de manière proportionnée l’inaction des parties, la Cour de cassation a redessiné les contours de la péremption d’instance qui présente désormais un nouveau visage. L’étude de la jurisprudence récente en la matière permet de rappeler que la péremption est la sanction de l’inaction des parties (I) et qu’il faut retenir une définition renouvelée de la notion de diligence interruptive (II).
I. La péremption : la sanction de l’inaction des parties.
Selon les termes de l’article 2 du Code de procédure civile, « les parties conduisent l’instance sous les charges qui leur incombent. Il leur appartient d’accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais requis ». A défaut, l’inaction des parties est sanctionnée par le prononcé de la péremption de l’instance. Si les enjeux liés à la péremption sont importants (A), encore faut-il que les parties conservent la direction de l’instance (B) pour qu’il soit possible de leur opposer leur inaction.
A- Les enjeux liés à la péremption.
Il appartient au législateur de veiller au bon déroulement des procès et de ne pas permettre un encombrement inutile des juridictions par des affaires laissées en jachère par les parties. Mais il ne faut pas non plus limiter de manière trop importante le droit d’accès à un juge, droit fondamental garanti notamment par la Convention Européenne des Droits de l’Homme. En autorisant le juge à prononcer la péremption de l’instance « lorsque aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans », le Code de procédure civile fait œuvre de compromis entre le droit d’accès au juge et une bonne administration de la justice.
L’article 389 du Code de procédure civile précise que « la péremption n’éteint pas l’action ; elle emporte seulement extinction de l’instance ». Ainsi, une seconde chance semble possible pour le justiciable qui est sanctionné par le prononcé de la péremption. Cependant, l’écoulement du délai de péremption n’a pas d’effet interruptif du délai de prescription de l’action puisque l’article 243 du Code civil dispose que « l’interruption est non avenue si le demandeur […] laisse périmer l’instance ». Il arrive donc fréquemment qu’après le prononcé de la péremption, le délai de prescription soit lui-même écoulé rendant impossible toute nouvelle demande en justice ce qui fait de la péremption une « sanction redoutable ». Débattre de « l’acquisition ou non de la péremption apparaît bien souvent en pratique comme l’ultime recours des parties pour faire entendre leurs droits », ce qui peut expliquer l’abondance du contentieux lié à l’application de l’article 386 du Code de procédure civile.
Les termes de ce texte étant quelque peu laconiques, la jurisprudence a dû préciser un certain nombre de points, en particulier le point de départ du délai de deux ans. En effet, selon la date retenue, les conséquences changent du tout au tout pour les justiciables. Dans un arrêt du 14 novembre 2024, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation précise sa position quant à la date à retenir comme point de départ du délai de péremption. Dans cette affaire, un litige opposait une URSSAF et un cotisant quant aux recouvrement de cotisations et de majorations. La juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale est saisie par le cotisant s’opposant à une contrainte délivrée en octobre 2016 par l’URSSAF. Le tribunal ordonne la radiation de l’affaire et met à la charge de l’URSSAF plusieurs diligences par une décision du 2 juillet 2018, notifiée le 11 février 2019. Alors que l’URSSAF sollicite la réinscription de l’affaire au rôle en février 2021, le tribunal retient que la péremption est acquise depuis le 2 juillet 2020 en retenant que le délai a commencé à courir le 2 juillet 2018, jour de la décision et non pas à compter de la notification réalisée en février 2019. L’URSSAF forme un pourvoi en soutenant qu’il aurait fallu retenir comme point de départ, la date de notification et non pas la date de la décision, ce qui aurait empêché le prononcé de la péremption.
Dans un arrêt du 1ᵉʳ décembre 2022, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation fixe le point de départ du délai de péremption au jour de la notification de la décision qui ordonne les diligences sans se référer à la connaissance effective par les parties. Dans cette espèce, le juge n’avait pas fixé de délai aux parties pour accomplir les diligences demandées et, de manière classique, la Haute juridiction se réfère à la notification de la décision.
Si le juge impose aux parties un délai pour l’accomplissement des diligences, le point de départ du délai de péremption est le jour de l’expiration du délai imparti si aucune des parties ne réalise la diligence imposée. Dans un arrêt du 16 mars 2023, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a précisé, dans le cadre d’un litige entre une URSSAF et un cotisant, que « dans le cas où un délai est fixé pour la réalisation de ces diligences, ce délai de péremption court à compter de l’expiration du délai imparti, à la condition que les parties aient eu une connaissance effective tant de ces diligences que du délai imparti ». Il faut, cependant, noter que la Haute juridiction se réfère à la notion de la connaissance effective des parties dans un attendu de principe : « il résulte de la combinaison de ces textes que le délai de péremption ne court qu’à compter de la date à laquelle les parties ont eu une connaissance effective des diligences mises à leur charge » indépendamment de l’existence, ou non, d’un délai.
Dans l’arrêt du 14 novembre 2024, la Cour de cassation confirme cette solution. En l’espèce, aucun délai n’était imposé aux parties mais les juges du fond, approuvés par la Haute juridiction, fixent le point de départ du délai au jour de la décision, jour où les parties présentes à l’audience, ont eu une connaissance effective des diligences et non pas au jour de la notification.
Cette position est plus sévère pour les parties car elle avance dans le temps le point de départ du délai de péremption au détriment de la date de notification qui peut être considérée comme plus sûre juridiquement pour les justiciables. En effet, la notification a une date certaine lorsqu’elle est faite par voie de signification. Mais rien n’oblige les parties à notifier la décision. Que décider en l’absence de notification ?
Que le délai de péremption ne commencerait pas à courir ? Il semble difficile de faire dépendre le point de départ du délai de péremption d’un évènement dépendant de la seule volonté des parties. Se référer à la connaissance effective par les parties des diligences à accomplir semble une solution plus satisfaisante, quand bien même cette connaissance est officieuse. La présence des parties à l’audience, notamment dans le cadre d’une procédure orale, est facilement vérifiable. S’il s’avère impossible de déterminer le jour où les parties ont eu connaissance effective des diligences mises à leur charge, il faudra sans doute revenir au jour de la notification, jour de la connaissance officielle par les parties du contenu de la décision. Le législateur ne se prononce pas sur la question du point de départ du délai de péremption. A la lumière de la jurisprudence de la Cour de cassation, il est possible de proposer la règle suivante pour déterminer le point de départ du délai de péremption : le délai de péremption commence à courir au jour de la connaissance effective par les parties des diligences mises à leur charge par le juge. Ce jour est le prononcé de la décision en présence des parties ou, à défaut, le jour de la notification de la décision.
Si les parties n’accomplissent pas les diligences mises à leur charge, elles prennent le risque que le juge prononce la péremption. Mais encore faut-il que les parties aient des diligences à accomplir, autrement-dit qu’elles aient la direction de l’instance pour qu’il soit possible de leur opposer la péremption.
B- La direction de l’instance.
La réforme opérée par le décret du 6 mai 2017 insérant un nouvel article 910-4 dans le Code de procédure civile qui impose aux parties de présentées dès leurs premières conclusions, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond a conduit la Cour de cassation à modifier sa position en matière de péremption d’instance. En effet, avant cette réforme, la Haute juridiction décidait, en matière de procédure d’appel avec représentation obligatoire, que la péremption d’instance était encourue si les parties ne prenaient pas d’initiative pour faire avancer l’instance ou obtenir la fixation d’une date d’audience de la part du conseiller de la mise en état alors qu’elles avaient conclu conformément aux dispositions du Code de procédure civile. En outre, la demande de l’appelant adressée au président de la Cour d’appel en vue de la fixation de l’affaire pour être plaidée au motif qu’il n’entend pas répliquer aux dernières conclusions de l’intimé, interrompt le délai de péremption mais ne le suspend pas. Les avocats multipliaient les demandes de fixation dans le seul but d’interrompre la péremption.
Fin décembre 2023, la Cour de cassation décide de consulter des amicii curiae à propos de cette jurisprudence selon laquelle dans l’attente d’une fixation d’audience, le délai de péremption court normalement, quand bien même les parties n’auraient plus aucune diligence utile à réaliser. Dans quatre arrêts du 7 mars 2024, la Cour de cassation revient sur cette jurisprudence. Ces quatre décisions contiennent exactement la même motivation enrichie. La Haute juridiction rappelle que lorsque les parties ont accompli l’ensemble des charges leur incombant sans avoir rien à ajouter au soutien de leurs prétentions, elles n’ont plus de diligence utile à réaliser dans le but de faire progresser l’instance. Autrement-dit, la direction de la procédure échappe aux parties au profit du conseiller de la mise en état. Les demandes de fixation émanant des avocats se révélaient souvent vaines lorsque le rôle de la Cour d’appel était d’ores et déjà complet et l’empêchait de fixer une date d’audience dans un délai inférieur à deux ans. La Cour de cassation interprète les dispositions du Code de procédure civile à la lumière de l’article 6 §1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Lorsque les parties ont accompli toutes les charges procédurales leur incombant, la péremption ne court plus à leur encontre sauf si le conseiller de la mise en état fixe un calendrier ou leur enjoint d’accomplir une diligence particulière.
La Cour de cassation a réitéré cette solution à plusieurs reprises à l’occasion de diverses procédures y compris sans représentation obligatoire. Ainsi, dans un arrêt du 10 octobre 2024, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rappelé, à l’occasion d’un recours contre une ordonnance de taxe rendue par le président de la juridiction de première instance, que lorsque les parties ont rempli les formalités mises à leur charge, elles n’ont plus de diligence particulière à accomplir. sauf injonction spécifique du Premier président. Il appartient au greffe de convoquer les parties à l’audience et on ne peut imposer aux parties de solliciter la fixation de l’audience dans le seul but d’interrompre le cours de la péremption qui ne peut leur être opposée pour cette raison.
Dans un arrêt du 21 novembre 2024, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation l’applique à une procédure devant un tribunal d’instance. En l’espèce, un couple agit en annulation d’un contrat de prêt devant le tribunal d’instance de Paris.
Le 31 mai 2017, les demandeurs assignent en intervention forcée la banque venant aux droits de leur contractant initial. Le tribunal d’instance constate la péremption d’instance dans un jugement du 19 novembre 2019, décision confirmée en appel. Le couple forme alors un pourvoi en soutenant que la péremption d’instance ne peut être opposée aux parties lorsque la direction de l’instance leur échappe. Ils soutiennent que la direction de la procédure leur a échappé entre le 15 juin 2017 et le 4 mai 2018 en raison de la suppression du tribunal d’instance de Paris 2e et du transfert de leur affaire devant le nouveau tribunal d’instance de Paris. Les juges du fond sont censurés par la Cour de cassation au visa des articles 386 du Code de procédure civile et R 221-2 (abrogé depuis) du Code de l’organisation judiciaire. Selon ce dernier texte, « lorsqu’un tribunal d’instance est supprimé, toutes les procédures en cours devant cette juridiction à la date d’entrée en vigueur du décret de suppression sont transférées en l’état au tribunal d’instance dans le ressort duquel est situé le siège du tribunal supprimé sans qu’il y ait lieu de renouveler les actes, formalités et jugements régulièrement intervenus antérieurement à cette date, à l’exception des convocations, citations et assignations données aux parties et aux témoins qui n’auraient pas été suivies d’une comparution devant la juridiction supprimée ». La Haute juridiction en tire la conclusion que la direction de la procédure échappait aux parties, qu’elles n’étaient tenues d’aucune diligence particulière et qu’il était impossible de leur opposer la péremption d’instance.
Dans un autre arrêt du 10 octobre 2024, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation applique la même règle à l’occasion d’un contentieux devant l’ancienne Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail (CNITAAT) ce qui constitue un revirement dans le cadre d’une procédure orale. En l’absence de dispositions particulières, l’article 386 du Code de procédure civile est applicable à toutes les procédures y compris orales ce que rappelle la Cour de cassation dans sa décision. De manière traditionnelle, la Cour de cassation considérait que pour interrompre le délai de péremption dans une procédure orale, les parties devaient demander la fixation de l’affaire. Dans l’affaire de 2024, la Cour de cassation rappelle sa position classique y compris devant la CNITAAT : les parties doivent demander la fixation de l’affaire indépendamment des pouvoirs du juge et du rôle essentiel du secrétaire général. La Cour de cassation explique ensuite le revirement qu’elle a opéré dans quatre arrêts du 7 mars 2024 pour affirmer qu’il y a lieu de modifier sa jurisprudence pour la procédure orale devant la CNITAAT. En conséquence, la Haute juridiction affirme sauf dans le cas où le juge met une diligence particulière à leur charge, la direction de la procédure échappe aux parties et qu’elles n’ont pas de diligences particulières à accomplir en vue de l’audience à laquelle elles sont convoquées par le secrétariat de la CNITAAT. En particulier, on ne peut imposer aux parties de demander la fixation d’une date d’audience dans le seul but d’interrompre le délai de péremption.
Il faut, sans doute, comprendre que la Cour de cassation entend étendre la solution dégagée en mars 2024 à toutes les procédures y compris orales. Plusieurs décisions récentes de la Cour de cassation permettent, en effet, de considérer que « la généralisation se poursuit » pour reprendre les termes d’un commentateur. Il est alors possible de formuler la règle ainsi : le délai de péremption court à l’encontre des parties qui n’accomplissent pas de diligences sauf lorsque la direction de l’instance leur échappe.
L’activité récente de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en matière de péremption concerne également la notion de diligence interruptive dont elle propose une nouvelle définition dans des arrêts de mars 2025.
II. Une définition renouvelée de la notion de diligence interruptive.
Si l’article 386 du Code de procédure civile définit la notion de péremption d’instance, le législateur n’a pas cru nécessaire de préciser ce qu’est une diligence interruptive. Il est alors revenu à la jurisprudence et, en particulier, à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, de définir cette notion.
Dans deux arrêts rendus le 27 mars 2025, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation renouvelle sa définition de la diligence interruptive. Dans ces deux affaires, les juges du fond prononcent la péremption d’instance ce que conteste les auteurs des pourvois en invoquant diverses diligences qu’ils ont réalisées et qui seraient, selon eux, interruptives du délai de péremption. La Cour de cassation rappelle que le juge devant se prononcer sur la péremption « doit rechercher si elle est acquise ou non au regard des diligences accomplies par les parties ». Dans une motivation enrichie, identique dans les deux décisions, la Haute juridiction constate que sa jurisprudence retient des critères qui peuvent être différents selon les procédures concernées. Cette disparité est une source d’insécurité juridique à laquelle la Cour de cassation entend mettre un terme en donnant une nouvelle définition de la diligence interruptive : « la diligence interruptive du délai de péremption s’entend de l’initiative d’une partie, manifestant sa volonté de parvenir à la résolution du litige, prise utilement dans le cours de l’instance. Ces conditions, qui dépendent de la nature de l’affaire et de circonstances de fait, sont appréciées souverainement par le juge du fond ».
Cette nouvelle définition suppose que les juges vérifient l’existence de trois conditions : l’initiative d’une partie, prise utilement dans le cours de l’instance et manifestant sa volonté de parvenir à la résolution du litige. Ce faisant la Cour de cassation concilie les deux conceptions retenues jusqu’à présent : une conception objective consistant à analyser les actes des parties et une conception subjective reposant sur la volonté des parties. La nouvelle définition comprend des éléments objectifs (A) mais aussi une certaine dimension subjective (B).
A- Les éléments objectifs.
Le premier élément objectif, et la première condition résultant de la nouvelle définition de la diligence interruptive, consiste dans l’initiative d’une partie. Cette exigence n’est pas nouvelle et découle des termes mêmes de l’article 386 du Code de procédure civile qui dispose que « l’instance est périmée lorsqu’aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans ». Il faut cependant noter une évolution dans les termes employés. Jusqu’à présent, la Cour de cassation se référait à l’acte émanant d’une partie, ce qui est plus strict que la notion d’initiative. Ce changement de vocabulaire n’est sans doute pas neutre et peut démontrer la volonté de la Cour de cassation d’apprécier de manière plus souple le comportement des parties. Cela peut notamment présenter un intérêt dans les procédures sans représentation obligatoire dans lesquelles les parties ne sont pas nécessairement familiarisées avec les notions juridiques et les actes de procédure stricto sensu. Il sera désormais possible de retenir comme pouvant constituer une diligence interruptive (si les autres conditions sont réunies) une déclaration faite devant le juge, un changement d’avocat dans certaines circonstances ou une sommation de communiquer certaines pièces ou encore une lettre informant le juge de la mise en état de l’échec d’une mesure amiable comme cela était le cas dans les deux arrêts du 27 mars 2025. En se référant à une initiative plutôt qu’un acte, la Cour de cassation édicte un critère favorable aux parties qui pourront plus aisément démontrer qu’elles ne sont pas restées inactives et échapper ainsi au prononcé de la péremption. Cependant, il faut également prendre en considération le second élément objectif de la définition de la diligence.
Le second élément objectif est que l’initiative doit être réalisée utilement dans le cours de l’instance. Comment faut-il comprendre ce critère ? De manière traditionnelle, il était exigé que l’acte des parties soit de nature à faire progresser l’instance, à faire avancer le litige vers sa conclusion. La Cour de cassation fait désormais référence à l’utilité de la démarche. Une initiative qui permet de faire avancer l’instance est sans aucun doute utile et ne posera pas de difficulté. Mais, en se référant à la notion d’utilité, la Haute juridiction entend-elle revenir sur sa jurisprudence selon laquelle la validité de l’acte est indifférente au regard de l’effet interruptif ? En effet, il a été jugé que la diligence prenant la forme d’un acte de procédure a un effet interruptif du délai de péremption indépendamment de la validité de cet acte. Dans quelle mesure, un acte nul est-il utile à la procédure ? Il ne permet en rien de faire avancer l’instance.
En exigeant que l’initiative des parties soit utile, faut-il comprendre que seuls les actes valables auront un effet interruptif ? La notion d’initiative est plus large que celle d’acte. Cela englobe les actes de procédure mais aussi toute démarche entreprise par une partie permettant de faire progresser l’instance. Il semble difficile d’apprécier la validité d’une initiative. C’est sans doute pour cette raison que la Cour de cassation se réfère à la notion d’utilité. Saisi d’un incident de péremption, le juge devra rechercher si l’une des parties a accompli un acte, ou plus généralement, a pris une initiative utile à l’instance. S’il s’agit d’un acte de procédure, au regard de la nouvelle définition de la diligence interruptive, le juge devra-t-il ne retenir que les seuls actes valables ? Il s’agirait d’une solution particulièrement stricte pour les parties. En réalité, une autre interprétation est possible. En visant une initiative des parties, la Cour de cassation a, sans doute, voulu élargir la notion de diligence interruptive en y intégrant des démarches réalisées par les parties, démarches qui peuvent ne pas être des actes au sens strict du terme mais qui montrent la volonté des parties de continuer l’instance.
Dans ce cas, la diligence interruptive du délai de péremption serait soit l’acte accompli par les parties, indépendamment de sa validité, soit l’initiative utile, dans le sens permettant de faire progresser l’instance. La référence à la notion d’utilité risque de donner lieu à des conflits d’interprétation que la Cour de cassation devra trancher.
L’initiative doit être prise utilement au cours de l’instance. Est-ce à dire que la Cour de cassation opère un revirement et considère désormais que le délai ne peut pas être interrompu par un acte intervenu dans une autre instance même s’il existe entre les deux procédures un lien de dépendance direct et nécessaire ? La réponse est négative puisque dans un autre arrêt rendu également le 27 mars 2025, la deuxième chambre civile rappelle qu’ « Il résulte de l’article 386 du Code de procédure civile que la péremption d’instance peut être interrompue par des actes accomplis dans une autre instance, à condition qu’un lien de dépendance direct et nécessaire existe entre les deux instances ». Il s’agit d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation : l’interruption de la péremption ne peut s’étendre d’une action à une autre et même d’une instance à une autre. L’exception est aussi connue : lorsqu’il existe un lien de dépendance direct et nécessaire entre deux instances, une diligence interruptive réalisée dans l’une interrompt la péremption de l’autre. L’appréciation de l’existence de ce lien direct et nécessaire entre deux instances relève du pouvoir souverain des juges du fond.
Ces deux éléments objectifs doivent être complétés. En effet, l’initiative d’une partie prise utilement au cours de l’instance doit démonter sa volonté de parvenir à la résolution du litige.
B- Une certaine dimension subjective.
La nouvelle définition de la diligence interruptive proposée par la Cour de cassation dans ses deux arrêts du 27 mars 2025 précise que l’initiative de la partie doit manifester « sa volonté de parvenir à la résolution du litige ». La deuxième chambre civile complète ainsi les deux éléments objectifs de sa nouvelle définition par un critère plus subjectif : la volonté de la partie.
L’analyse de la jurisprudence quant à la notion de diligence interruptive fait apparaître l’hésitation de la Cour de cassation entre une conception objective de la diligence et une conception subjective. Ainsi, certains arrêts se réfèrent à l’acte qui « fait partie de l’instance et la continue », à la démarche processuelle « de nature à faire progresser l’affaire » ou lui donner « une impulsion processuelle » alors que d’autres visent la volonté du plaideur de poursuivre l’instance à l’exclusion de tout critère objectif.
Selon la conception que l’on retient de la péremption d’instance, les critères d’appréciation des diligences des parties seront tantôt objectifs, tantôt subjectifs.
Selon une première conception, on peut considérer que la péremption est une sanction de la carence des parties et les diligences interruptives ne peuvent se concevoir qu’au regard de critères objectifs. Selon une seconde conception, la péremption repose sur l’idée de « désistement tacite » et « tend à devenir une présomption de désistement d’instance, opposée par le défendeur au demandeur inactif ». Dans ce cas, la diligence est qualifiée d’interruptive si l’on démontre la volonté des parties de continuer l’instance. En réalité, ces deux conceptions de la péremption d’instance ne sont pas exclusives l’une de l’autre. Il s’agit tout à la fois de sanctionner l’inaction des plaideurs qui montrent par l’absence d’acte ou d’initiative, leur désintérêt manifeste de l’affaire. Dans les deux arrêts du 27 mars 2025, la Cour de cassation concilie ces deux aspects de la péremption d’instance. En effet, la nouvelle définition proposée exige la réunion de critères objectifs et un élément subjectif.
Il faut, cependant, là encore, noter une évolution dans le vocabulaire employé par la Haute juridiction. Quand elle référait à la volonté de poursuivre l’instance, elle vise désormais la « volonté de parvenir à la résolution du litige ». Cette expression est plutôt favorable aux parties et semble moins exigeante que la volonté de poursuivre l’instance. Les juges devront rechercher si l’initiative de la partie démontre son intention de parvenir à une solution à son litige, même si cette initiative ne fait pas concrètement avancer la procédure, ne lui donne pas d’impulsion processuelle.
Cette nouvelle formulation doit permettre de considérer comme diligence interruptive la lettre adressée au juge pour l’informer de l’échec de la médiation ordonnée dans une autre procédure comme le suggère l’un des arrêts du 27 mars 2025 ou le changement d’avocat et la sommation de communiquer des pièces déjà échangées par les parties comme dans l’espèce du deuxième arrêt du 27 mars 2025. Il appartiendra à la cour de renvoi de vérifier que les diligences invoquées répondent à la nouvelle définition de la diligence interruptive. Celle-ci devrait permettre de toujours qualifier (ou de toujours refuser une telle qualification) un acte ou une initiative d’interruptif du délai de péremption. Prenons par exemple une demande de renvoi formulée par l’une des parties. Dans un arrêt du 4 février 2014, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a décidé que la demande de renvoi présentée conjointement par les deux parties en vue d’un accord transactionnel n’était pas interruptive du délai de péremption dans la mesure où une telle demande ne permet pas la progression processuelle de l’affaire. Mais, dans un arrêt du 18 janvier 2007, la deuxième chambre civile avait, à l’inverse, retenu comme diligence interruptive la demande de renvoi afin de permettre l’étude d’éléments de droit étranger applicables au litige. Dorénavant, si l’on applique les trois critères de la nouvelle définition, ces demandes de renvoi devraient, l’une comme l’autre, être qualifiées de diligence interruptive en ce qu’elles constituent une initiative de l’une des parties prise utilement au cours de l’instance et manifestant la volonté du plaideur de parvenir à la résolution du litige. En effet, la demande de renvoi est un acte qui peut être inclus dans la catégorie plus large des initiatives, elle est formulée au cours de l’instance et peut être considérée comme utile puisqu’elle permet aux parties de discuter des termes d’un éventuel accord amiable ou d’étudier des questions de droit nécessaires à la solution du litige. Enfin, elle manifeste la volonté des parties de trouver une issue à leur conflit.
La Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler, dans un arrêt du 16 décembre 2016, que la péremption « poursuit un but légitime de bonne administration de la justice et de sécurité juridique afin que l’instance s’achève dans un délai raisonnable, ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit à un procès équitable ». Autrement-dit, la Haute juridiction se livre à un contrôle de proportionnalité afin de ne pas encourir la condamnation de la France par la Cour Européenne des Droits de l’Homme au titre d’un formalisme excessif. Cette nouvelle définition de la diligence interruptive constitue, sans doute, un compromis satisfaisant entre le droit de tout justiciable d’être entendu par un juge et la bonne administration de la justice qui commande de sanctionner les parties qui laissent leur instance dépérir en n’accomplissant aucune diligence.
Si les décisions récentes de la Cour de cassation quant à l’interprétation de l’article 386 du Code de procédure civile doivent être saluées en ce qu’elles permettent de clarifier certaines notions, il n’est pas certain que le contentieux en la matière se tarisse. Sans doute que certaines formulations proposées par la Haute juridiction donneront lieu à d’autres décisions dans les mois ou années à venir.