Dans ce nouvel arrêt, par une jurisprudence très favorable à la médiation, la Cour de cassation considère en cas de retrait du rôle que lettre informant le juge de l’échec de la médiation est une diligence interruptive de la péremption d’instance au sens de l’article 386 du Code de Procédure Civile et permet le rétablissement de l’affaire radiée.
Si comme le disait Talleyrand, ce qui va sans dire va mieux en le disant, on ne peut que se féliciter de cette clarification !
I- La péremption de l’instance.
L’article 386 dispose :
« L’instance est périmée lorsque aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans ».
La péremption d’instance est un mode d’extinction de l’instance venant sanctionner l’inertie procédurale des parties pendant un délai de deux ans.
L’instance est périmée lorsque les parties s’abstiennent d’accomplir des diligences pendant un délai de deux ans, une diligence étant entendue, au sens large, comme une action manifestant la volonté des parties de poursuivre l’instance.
Aucun défaut de diligence ne peut être reproché aux parties lorsque la direction du procès leur échappe et qu’elles n’ont plus aucun acte à accomplir.
La péremption ne peut concerner qu’une affaire en cours, c’est-à-dire enrôlée devant une juridiction de l’ordre judiciaire.
L’inaction des parties doit avoir duré deux ans à compter des dernières diligences accomplies.
En cas d’interruption de l’instance, le délai de péremption est lui-même interrompu et recommence à courir à compter de la reprise de l’instance.
En cas de suspension, le délai continue toutefois à courir, ce qui laisse aux parties la possibilité d’accomplir des diligences interruptives.
II- La notion de diligences interruptives.
Le Code de procédure civile ne définit pas la notion de diligences interruptives, ni ne donne de liste d’actes considérés comme interruptifs de la péremption.
Une définition duale s’est dégagée de la jurisprudence et de la doctrine, oscillant entre une conception objective et une conception subjective : les diligences interruptives peuvent se définir comme des démarches processuelles de nature à faire progresser l’affaire ou encore comme celles établissant la volonté du plaideur de poursuivre la procédure.
La diligence interruptive s’entend de celle effectuée dans l’instance concernée par l’incident de péremption.
La diligence au sens de l’article 386 du Code de procédure civile, susceptible d’interrompre le délai de péremption, est celle qui ne se contente pas de manifester la volonté d’une partie de poursuivre l’instance mais celle qui est de nature à faire progresser l’affaire.
Il est également acquis maintenant qu’une lettre de nature à faire progresser l’affaire comme celle adressée à la juridiction saisie et demandant la fixation de l’affaire à plaider constitue une diligence interruptive.
La lettre de demande de fixation avait bien eu un effet sur la péremption puisqu’elle l’avait interrompue.
Cette solution est logique au regard du mécanisme même de la péremption d’instance et de son interruption, tel que prévu par les textes.
Mais la lettre informant le juge de l’échec de la médiation est-elle une diligence interruptive au sens de l’article 386 du Code de Procédure Civile s’analysant comme une démarche processuelle de nature à faire progresser l’affaire radiée ou comme établissant la volonté du plaideur de poursuivre la procédure, telle était la question posée à la Cour de cassation dans ce nouvel arrêt qui apporte d’importants éclairages en matière de péremption d’instance en faveur du développement amiable.
1° Les faits et la procédure.
Selon l’arrêt attaqué (Paris, 23 février 2022), un bail a été conclu entre l’association et la société Yab, désormais dénommée Dovima (la société). Le 22 octobre 2014, l’association a assigné la société en paiement de sommes du fait d’équipements défectueux, puis, par assignation du 22 décembre 2014 du fait de son départ contraint. Les deux procédures ont été jointes le 6 avril 2016 par un juge de la mise en état.
Le 9 octobre 2019, le juge de la mise en état a ordonné la radiation de la procédure du rôle du tribunal.
L’association ayant sollicité la réinscription de l’affaire par une lettre du 1ᵉʳ juin 2020 reçue au greffe le 3 juin 2020, l’affaire a été réinscrite au rôle.
Par une ordonnance du 9 juillet 2021, dont la société a relevé appel, le juge de la mise en état a débouté celle-ci de sa demande tendant à voir constater la péremption de l’instance et à déclarer l’instance éteinte.
2° L’examen du moyen.
L’association fait grief à l’arrêt d’infirmer l’ordonnance rendue le 9 juillet 2021 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris, de juger que l’instance était périmée et de constater son extinction, alors « que constitue une diligence interruptive tout acte qui manifeste la volonté d’une partie de continuer l’instance ; que le courrier envoyé au juge par le conseil d’une partie pour l’informer de l’échec d’une procédure de médiation et lui demander de rétablir l’affaire au rôle et de convoquer les parties à une prochaine audience pour que la procédure puisse reprendre manifeste la volonté de cette partie de continuer l’instance, qu’en l’espèce, la cour a jugé que le courrier du 1ᵉʳ juin 2020 par lequel le conseil de l’association avait demandé le rétablissement de l’affaire au rôle ne constituait pas une diligence interruptive de péremption faute d’avoir fait progresser l’affaire, et que l’instance s’était trouvée périmée le 3 juillet 2020 ; qu’en statuant ainsi, quand ce courrier, qui informait le juge de l’échec d’une procédure de médiation et lui demandait de rétablir l’affaire au rôle et de convoquer les parties à une prochaine audience pour que la procédure puisse reprendre, manifestait la volonté de l’association de continuer l’instance et constituait une diligence interruptive de péremption, la cour d’appel a violé l’article 386 du Code de procédure civile ».
3° La réponse de la Cour de cassation.
« Vu les articles 2, 3, et 386 du Code de procédure civile :
Aux termes du premier de ces textes, les parties conduisent l’instance sous les charges qui leur incombent. Il leur appartient d’accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais requis.
Selon le deuxième, le juge veille au bon déroulement de l’instance et a le pouvoir d’impartir les délais et d’ordonner les mesures nécessaires.
Aux termes du troisième, l’instance est périmée lorsque aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans.
Il résulte de ces textes qu’il appartient aux parties, sauf lorsque la direction de l’instance leur échappe, d’accomplir les actes sous les charges qui leur incombent pour éviter la péremption de l’instance, sanction qui tire les conséquences de leur inertie dans la conduite du procès.
Le juge, saisi par une partie d’un incident de péremption ou se saisissant d’office de cet incident, doit rechercher si la péremption est acquise ou non au regard des diligences accomplies par les parties.
Pour apprécier si un acte constitue une diligence interruptive de péremption, la Cour de cassation retient, selon les procédures, des critères qui peuvent être différents. Elle juge parfois que, pour qu’une diligence soit interruptive, elle doit se borner à continuer l’instance ou à la poursuivre (2e Civ., 17 mars 1982, pourvoi n° 79-12.686, publié ; 2e Civ., 11 septembre 2003, pourvoi n° 01-12.331).
Dans d’autres hypothèses, elle subordonne la qualité interruptive d’une diligence à une condition, qui est celle de faire avancer ou de faire progresser l’instance, ou encore de lui donner une impulsion (2e Civ., 8 octobre 1997, pourvoi n° 95-18.332 ; 2e Civ., 8 novembre 2001, pourvoi n° 99-20.159, publié ; 2e Civ., 2 juin 2016, pourvoi n° 15-17.354, publié).
Par ailleurs, certaines décisions mettent l’accent sur la volonté des parties manifestée par l’acte (2e Civ., 11 septembre 2003, pourvoi n° 01-12.331, publié), tandis que d’autres, reposant sur une conception plus objective, sont fondées sur la nature intrinsèque de l’acte, qui, en soi, doit poursuivre l’objectif précédemment défini (3e Civ., 20 décembre 1994, pourvoi n° 92-21.536, publié).
Cette disparité commande de clarifier la jurisprudence en redéfinissant les critères de la diligence interruptive de péremption, dans l’objectif de prévisibilité de la norme et de sécurité juridique.
Il convient, en conséquence, de considérer désormais que la diligence interruptive du délai de péremption s’entend de l’initiative d’une partie, manifestant sa volonté de parvenir à la résolution du litige, prise utilement dans le cours de l’instance.
Ces conditions, qui dépendent de la nature de l’affaire et de circonstances de fait, sont appréciées souverainement par le juge du fond.
Pour infirmer l’ordonnance du juge de la mise en état du 9 juillet 2021, juger que l’instance est périmée et constater son extinction, l’arrêt retient que si la demande de rétablissement au rôle par voie électronique le 1ᵉʳ juin 2020, informant le juge de la mise en état de l’échec de la médiation ordonnée dans une autre procédure, a permis de lever la sanction que constitue la mesure de radiation administrative, cette information n’était pas de nature à faire progresser l’instance.
En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l’absence de diligences interruptives de péremption, au regard des conditions mentionnées, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la cour :
Casse et annule, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 23 février 2022, entre les parties, par la Cour d’appel de Paris.
Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la Cour d’appel de Paris autrement composée ».
Il résulte donc des articles 2, 3, et 386 du Code de procédure civile qu’il appartient aux parties, sauf lorsque la direction de l’instance leur échappe, d’accomplir les actes sous les charges qui leur incombent pour éviter la péremption de l’instance, sanction qui tire les conséquences de leur inertie dans la conduite du procès. Le juge, saisi par une partie d’un incident de péremption ou se saisissant d’office de cet incident, doit rechercher si la péremption est acquise ou non au regard des diligences accomplies par les parties. La diligence interruptive du délai de péremption s’entend de l’initiative d’une partie, manifestant sa volonté de parvenir à la résolution du litige, prise utilement dans le cours de l’instance. Ces conditions, qui dépendent de la nature de l’affaire et de circonstances de fait, sont appréciées souverainement par le juge du fond. Statue par des motifs impropres à caractériser l’absence de diligences interruptives de péremption, au regard de ces conditions, et viole les textes susvisés, l’arrêt, qui, pour juger qu’une instance est périmée, retient qu’une lettre informant le juge de la mise en état de l’échec de la médiation ordonnée dans une autre procédure et demandant le rétablissement au rôle a permis de lever la sanction que constitue la mesure de radiation administrative précédemment ordonnée mais n’est pas de nature à faire progresser l’instance.
Tel est le principe.
Sources :
Article 386 du Code de Procédure Civile
Articles 2, 3, et 386 du Code de Procédure Civile
Arrêt de la Cour de cassation Civ. 2ᵉ du 27 mars 2025 - Arrêt n° 273 FS-B- Pourvoi P n°22-15.464
Arrêt de la Cour de cassation Civ. 2ᵉ du 21 novembre 2024 - Arrêt n°1077 F-B- Pourvoi Z n°22-16.808
Arrêt de la Cour de cassation Civ. 2ᵉ du 7 mars 2024 - Pourvoi Z n°21-23.230
Arrêt de la Cour de cassation Civ. 2ᵉ du 21 décembre 2023 - Arrêt n°1262 F-B- Pourvoi W n°21-23.816
Arrêt de la Cour de cassation Civ. 2ᵉ du 23 novembre 2023 - Arrêt n°1180 FS-B- Pourvoi G n°21-21.872
La péremption ne peut être opposée aux parties qui ont accompli toutes les charges procédurales leur incombant.