En 2016, une société a été condamnée à verser plusieurs sommes à deux de ses cocontractants, au titre de sa responsabilité contractuelle. Par la suite, cette société a fait l’objet d’une dissolution suivie de la désignation d’un liquidateur amiable. La procédure a évolué lorsque la société a été ultérieurement placée en liquidation judiciaire. Ses cocontractants ont alors sollicité la condamnation de la société au règlement des créances résultant de la décision initiale, en invoquant diverses fautes contractuelles.
En mars 2018, les demandeurs ont interjeté appel d’un jugement rendu en janvier de la même année, lequel avait rejeté leurs prétentions. Toutefois, par arrêt de novembre 2018, la juridiction d’appel a confirmé le jugement de première instance.
En avril 2021, l’arrêt de la cour d’appel a été cassé par la Cour de cassation.
Saisie sur renvoi, la cour d’appel de renvoi a, en mai 2021, à son tour confirmé le jugement initial de 2018.
Un nouveau pourvoi en cassation a été formé par les cocontractants. À l’appui de leur recours, les demandeurs soutenaient que l’application immédiate d’une interprétation nouvelle des articles 542 et 954 du Code de procédure civile, dégagée par un arrêt de la Cour de cassation du 17 septembre 2020 [1], ne pouvait concerner une instance d’appel introduite antérieurement à cette jurisprudence. Ils invoquaient expressément que la Cour de cassation avait elle-même exclu une telle application immédiate pour les procédures en cours avant cette date.
Les requérants faisaient également valoir que la cour d’appel avait privé sa décision de toute base légale au regard des articles précités. En effet, la cour de renvoi s’était fondée sur les articles 542 et 954 du Code de procédure civile pour considérer que, faute de demande d’infirmation ou d’annulation du jugement déféré, elle ne pouvait qu’en prononcer la confirmation. Elle avait de surcroît estimé que cette règle avait été consacrée par l’arrêt du 17 septembre 2020. Toutefois, selon les demandeurs, la juridiction d’appel n’avait pas recherché si la déclaration d’appel en cause était antérieure à cet arrêt, méconnaissant ainsi le principe de non-rétroactivité de la jurisprudence nouvelle dans le domaine procédural.
Par un arrêt de cassation rendu sur le fondement des articles 542, 631 et 954 du Code de procédure civile, ainsi que de l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH), la Cour de cassation a censuré la décision de la cour d’appel de renvoi [2].
La Haute juridiction rappelle que, selon les articles 542 et 954 précités, l’absence, dans le dispositif des conclusions de l’appelant, d’une demande d’infirmation ou d’annulation des chefs du dispositif du jugement conduit nécessairement la cour d’appel à confirmer celui-ci. Toutefois, elle précise également que l’arrêt du 17 septembre 2020, qui a introduit pour la première fois une telle interprétation de ces dispositions dans un arrêt publié, ne peut être appliqué de manière rétroactive aux instances introduites avant cette date, sans porter atteinte au droit fondamental des parties à un procès équitable.
La cour relève, sur la base de l’article 631 du même code, que devant la juridiction de renvoi, la procédure reprend à l’état dans lequel elle se trouvait avant la cassation, à l’exclusion des actes annulés. Elle en déduit que la déclaration de saisine de la cour d’appel de renvoi ne constitue pas une nouvelle déclaration d’appel et ne donne pas naissance à une instance autonome. Par conséquent, la procédure se poursuit dans le cadre de l’instance initiale, et la date de la déclaration d’appel originelle demeure déterminante.
Dès lors, lorsque cette déclaration d’appel a été formée avant le 17 septembre 2020, l’interprétation nouvelle issue de l’arrêt précité ne peut recevoir application, même si la saisine de la cour de renvoi est intervenue postérieurement à cette date.
La Cour de cassation conclut que l’application rétroactive d’une interprétation jurisprudentielle nouvelle, non prévisible au moment où l’appel a été introduit, est de nature à priver les parties de garanties procédurales essentielles et méconnaît, en ce sens, le droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1 de la CESDH.