La déclaration de saisine de la juridiction de renvoi après cassation n’est pas une déclaration d’appel.

Par Ismail Skander, Juriste.

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Explorer : # responsabilité contractuelle # procédure civile # principe de non-rétroactivité

Dans un arrêt en date du 17 septembre 2020 (Cass., 2e civ., 17 sept. 2020, nº 18-23.626, publié au Bulletin) la Cour de cassation affirmait une règle de procédure selon laquelle : lorsque l’appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l’infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l’anéantissement ni l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement.

Cette règle a pour effet de limiter les pouvoirs d’évocation de la cour d’appel en l’absence de conclusions expresses de l’appelant.

Dans un arrêt en date du 22 mai 2025 (Cass. 2e civ., 22 mai 2025, nº 22-22.868), la Cour de cassation a précisé que, dans le cadre d’une procédure de renvoi après cassation, c’est la date de la déclaration d’appel initiale qui doit être prise en considération pour déterminer si la règle procédurale énoncée ci-dessus s’applique, et non la date de la déclaration de saisine de la cour d’appel de renvoi.

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En 2016, une société a été condamnée à verser plusieurs sommes à deux de ses cocontractants, au titre de sa responsabilité contractuelle. Par la suite, cette société a fait l’objet d’une dissolution suivie de la désignation d’un liquidateur amiable. La procédure a évolué lorsque la société a été ultérieurement placée en liquidation judiciaire. Ses cocontractants ont alors sollicité la condamnation de la société au règlement des créances résultant de la décision initiale, en invoquant diverses fautes contractuelles.

En mars 2018, les demandeurs ont interjeté appel d’un jugement rendu en janvier de la même année, lequel avait rejeté leurs prétentions. Toutefois, par arrêt de novembre 2018, la juridiction d’appel a confirmé le jugement de première instance.

En avril 2021, l’arrêt de la cour d’appel a été cassé par la Cour de cassation.

Saisie sur renvoi, la cour d’appel de renvoi a, en mai 2021, à son tour confirmé le jugement initial de 2018.

Un nouveau pourvoi en cassation a été formé par les cocontractants. À l’appui de leur recours, les demandeurs soutenaient que l’application immédiate d’une interprétation nouvelle des articles 542 et 954 du Code de procédure civile, dégagée par un arrêt de la Cour de cassation du 17 septembre 2020 [1], ne pouvait concerner une instance d’appel introduite antérieurement à cette jurisprudence. Ils invoquaient expressément que la Cour de cassation avait elle-même exclu une telle application immédiate pour les procédures en cours avant cette date.

Les requérants faisaient également valoir que la cour d’appel avait privé sa décision de toute base légale au regard des articles précités. En effet, la cour de renvoi s’était fondée sur les articles 542 et 954 du Code de procédure civile pour considérer que, faute de demande d’infirmation ou d’annulation du jugement déféré, elle ne pouvait qu’en prononcer la confirmation. Elle avait de surcroît estimé que cette règle avait été consacrée par l’arrêt du 17 septembre 2020. Toutefois, selon les demandeurs, la juridiction d’appel n’avait pas recherché si la déclaration d’appel en cause était antérieure à cet arrêt, méconnaissant ainsi le principe de non-rétroactivité de la jurisprudence nouvelle dans le domaine procédural.

Par un arrêt de cassation rendu sur le fondement des articles 542, 631 et 954 du Code de procédure civile, ainsi que de l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH), la Cour de cassation a censuré la décision de la cour d’appel de renvoi [2].

La Haute juridiction rappelle que, selon les articles 542 et 954 précités, l’absence, dans le dispositif des conclusions de l’appelant, d’une demande d’infirmation ou d’annulation des chefs du dispositif du jugement conduit nécessairement la cour d’appel à confirmer celui-ci. Toutefois, elle précise également que l’arrêt du 17 septembre 2020, qui a introduit pour la première fois une telle interprétation de ces dispositions dans un arrêt publié, ne peut être appliqué de manière rétroactive aux instances introduites avant cette date, sans porter atteinte au droit fondamental des parties à un procès équitable.

La cour relève, sur la base de l’article 631 du même code, que devant la juridiction de renvoi, la procédure reprend à l’état dans lequel elle se trouvait avant la cassation, à l’exclusion des actes annulés. Elle en déduit que la déclaration de saisine de la cour d’appel de renvoi ne constitue pas une nouvelle déclaration d’appel et ne donne pas naissance à une instance autonome. Par conséquent, la procédure se poursuit dans le cadre de l’instance initiale, et la date de la déclaration d’appel originelle demeure déterminante.

Dès lors, lorsque cette déclaration d’appel a été formée avant le 17 septembre 2020, l’interprétation nouvelle issue de l’arrêt précité ne peut recevoir application, même si la saisine de la cour de renvoi est intervenue postérieurement à cette date.

La Cour de cassation conclut que l’application rétroactive d’une interprétation jurisprudentielle nouvelle, non prévisible au moment où l’appel a été introduit, est de nature à priver les parties de garanties procédurales essentielles et méconnaît, en ce sens, le droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1 de la CESDH.

Ismail Skander, Juriste
Ex avocat au barreau de Paris

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Notes de l'article:

[1Cass., 2e civ., 17 sept. 2020, n° 18-23.626, publié au Bulletin.

[2Cass. 2e civ., 22 mai 2025, nº 22-22.868.

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