La perte de chance et le défaut d’information
« L’incertitude tient au fait qu’il ne peut être certain que si la faute n’avait pas été commise, la guérison, ou au moins une amélioration de l’état du patient, aurait pu être obtenue. La certitude tient au fait que si la faute n’avait pas été commise, le malade avait des chances de guérison ou d’amélioration et que la faute l’a privé de cette chance. » (www.courdecassation.fr)
Cette notion de « perte de chance » apparue en 1961 (CA Grenoble) a été précisée et développée par un arrêt de la Cour de cassation de décembre 1965. Elle devient alors un préjudice à part entière tenu pour réparable. Les griefs portent sur l’absence de possibilité d’avoir bénéficié d’un traitement dont on estime ne pas avoir été suffisamment informé. De cette pénurie d’information a résulté l’impossibilité, pour le patient, d’avoir été en mesure de choisir une autre option thérapeutique, option qui n’aurait pas conduit au même dommage. La perte de chance est donc, on l’a compris, un préjudice incomplet et hypothétique, dont l’indemnisation ne peut être qu’une part de la réparation complète du dommage effectif global.
Quelle indemnisation est prévue en cas de perte de chance ?
La question est donc posée : quelle indemnisation peut-on proposer dans ce cadre ? Totale ? Évidemment pas, dans la mesure où nous restons dans le domaine de l’hypothétique, du conditionnel, non de la certitude. C’est en effet la grande différence entre le préjudice certain, réel, et l’hypothèse non vérifiable de « l ’autre choix » dans le contexte de perte de chance.
Cette évaluation sera par conséquent particulièrement délicate et on se réfère empiriquement à deux arrêts essentiels :
- « Le préjudice découlant de la perte de chance de sauvegarder son intégrité corporelle ne se mesure pas arithmétiquement à la gravité de l’atteinte finalement portée à cette intégrité, mais doit correspondre à l’importance de la chance perdue » (CA Versailles, 21 juillet 1993) et « La réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue » (comprendre « et non au dommage intégral ») (CC 9 avril 2002).
Ce préjudice a certes une valeur patrimoniale, mais jurisprudentiellement admise comme moindre par rapport au préjudice du dommage lui-même. Celle-ci n’existe en pratique que dans la mesure où le défaut d’information a privé le malade des éléments nécessaires à un choix déterminé, éclairé, en pleine connaissance de tous les éléments pouvant présider à la décision.
- « Sa réparation ne se limite pas au préjudice moral mais correspond à une fraction des différents chefs de préjudice qu’il a subis » (CC 29 juin 1999).
(Voir aussi : Les principes d’indemnisation des victimes d’accident)
La jurisprudence en matière de perte de chance
Depuis 1998, trois arrêts viennent nourrir et compléter la réflexion autour de la perte de chance :
- Cour d’appel d’Angers, 11 septembre 1998 : « Le praticien se doit d’informer le patient sur les risques inhérents à un mode d’examen et de traitement et sur l’évolution prévisible de son état si rien n’est fait. Cependant, le patient ne peut demander réparation du fait qu’il n’a pas été informé dès lors que, quand bien même il aurait été averti des risques de l’opération, il est improbable qu’il eût refusé le traitement, eu égard à l’évolution prévisible de son état en cas d’inaction. »
Même commentaire que pour le premier arrêt.
- Cour de cassation, 20 juin 2000, n° 98-23.046 : « Le praticien qui manque à son obligation d’informer son patient des risques graves inhérents à un acte médical d’investigations ou de soins prive ce dernier de la possibilité de donner un consentement ou un refus éclairé à cet acte. Il est, dès lors, de l’office du juge de rechercher, en prenant en considération l’état de santé du patient ainsi que son évolution prévisible, sa personnalité, les raisons pour lesquelles des investigations ou des soins à risques lui sont proposés, ainsi que les caractéristiques de ces investigations, de ces soins et de ces risques, les effets qu’aurait pu avoir une telle information quant à son consentement ou à son refus. »
Autrement dit, la perte de chance est envisageable si, au regard de l’ensemble des éléments, notamment la personnalité du patient, on estime qu’il aurait peut-être opté pour une autre solution thérapeutique. Comprendre donc qu’elle n’a rien d’automatique.
- Cour de cassation, 1re civ., 18 juillet 2000 : « Hormis les cas d’urgence, d’impossibilité ou de refus du patient d’être informé, un médecin est tenu de lui donner une information loyale, claire et appropriée sur les risques graves afférents aux investigations et soins proposés. Il n’est pas dispensé de cette information sur la gravité du risque par le seul fait que l’intervention serait médicalement nécessaire. Cassation, pour violation de l’article 1147 du Code civil, de l’arrêt qui, pour débouter de son action en responsabilité le patient victime d’une sciatique paralysante à la suite d’une opération d’une hernie discale, énonce que la gravité du risque encouru s’apprécie au regard du choix éventuel dont le malade disposerait et que, en l’espèce, l’opération s’imposait compte tenu de l’évolution de la pathologie. »
Cela revient à dire que la perte de chance n’est pas caractérisée dès lors qu’il n’existant pas d’alternative à l’option thérapeutique retenue. L’absence d’alternative thérapeutique conduit à l’exclusion de toute possibilité d’indemnisation, même en cas de dommage, du moins au titre de la perte de chance.
(Voir aussi : La perte de gain)
Discussion en cours :
Il est dommage qu’aucune méthode de calcul ne soit proposée car je me suis vu souvent opposer le fait que l’impossibilité de proposer une méthode de calcul autorisait le refus d’indemnisation