Les blogs politiques : une liberté sous contrôle, par Anne Cousin, Avocate

Les blogs politiques : une liberté sous contrôle, par Anne Cousin, Avocate

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Explorer : # blogs politiques # réglementation électorale # hébergement gratuit # propagande électorale

A l’heure où fleurissent les blogs sur tous les sujets et de tous les auteurs, ceux des candidats aux élections politiques ne sont pas en reste.

Les dernières présidentielles en France en ont donné des exemples évidents.

Toutefois, les relations qu’entretient le droit de l’internet avec les élections politiques ont surtout été étudiées pour l’instant lors de la publication sur le web des sondages "sorties des urnes", en violation de l’interdiction légale.

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Les très prochaines élections municipales françaises invitent naturellement à se pencher sur d’autres sujets tout aussi délicats et qui, eux aussi, révèlent toute la complexité de l’adaptation de solutions anciennes à un vecteur de communication qui, s’il n’est plus tout à fait nouveau, n’en dynamise pas moins en permanence la réflexion juridique.

Il n’est pas question ici de revenir sur le contenu même des blogs des candidats politiques et de la responsabilité éventuelle des éditeurs et des hébergeurs, la matière ne présentant pas, pour le coup, une originalité quelconque.

En revanche, sur deux points distincts, le Code électoral comporte un certain nombre de dispositions contraignantes dont la méconnaissance peut être particulièrement lourde de conséquences pour le candidat qui les méconnaîtrait et sans doute également pour ses partenaires hébergeurs ou éditeurs en ligne.

La première question est celle précisément de l’hébergement gratuit des blogs ou des sites web des candidats.

De telles offres d’hébergement gratuit sont en effet aujourd’hui foisonnantes.

Elles émanent de sites de presse, de sites communautaires, ou de différents prestataires.

Or, l’article L. 52-8 alinéa 2 du Code électoral précise que "les personnes morales, à l’exception des partis ou groupements politiques ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d’un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués".

La notice d’information pratique pour remplir un compte de campagne publié sur sont site internet par la Commission Nationale des Comptes de Campagne et des Financements Politiques (CNCCFP), en déduit que "en cas d’hébergement internet gratuit, le candidat doit veiller à ce que cette gratuité ne soit pas consentie en échange de bannières publicitaires, l’hébergement gratuit pourrait alors être assimilé à un avantage en nature de la personne morale, prohibé par l’article L. 52-8 du Code électoral ; seule est tolérée la mention de l’identité du prestataire de service offrant l’hébergement".

De son côté, quelle est la position de la jurisprudence ?

Le Conseil d’Etat paraît moins exigeant, puisqu’il a jugé le 18 octobre 2002 que "l’utilisation par une liste du service gratuit d’hébergement des sites internet, proposé de manière indifférenciée à tous les sites licites par une société se réservant le droit d’inclure un bandeau ou des fenêtres publicitaires sur les sites hébergés, ne méconnaît pas les dispositions de l’article L. 52-8"(1).

Pour le Conseil d’Etat, la diffusion de messages publicitaires par l’entreprise fournissant gratuitement un service d’hébergement, n’a pas pour conséquence de faire entrer celui-ci dans le champ de la prohibition légale.

Ce qui est essentiel en revanche, c’est que ce service gratuit d’hébergement soit "proposé de manière indifférenciée à tous les sites licites" de candidats à une élection politique.

L’égalité est bien au cœur de la réflexion sur cette question.

Le Conseil constitutionnel a souligné de son côté, dans une décision du 25 juillet 2002, que l’hébergement gratuit de pages relatives à la campagne d’un candidat par la société Free, ne méconnaissait pas l’article L.52-8, dès lors que conformément à ses conditions générales, quiconque, candidat ou non à une élection politique, peut bénéficier de la même prestation (2).

Il apparaît donc bien que la gratuité ne peut à elle seule être considérée comme un avantage direct ou indirect prohibé.

En revanche, l’opposition apparente entre la CNCCFP et le Conseil d’Etat sur la question de la publicité sur les sites des candidats, risque fort de soulever de nouvelles discussions.

La seconde question, peut-être plus complexe, lui est directement liée.

En effet, l’article L.49 du Code électoral interdit à partir de la veille du scrutin à 0 heures, de diffuser ou de faire diffuser par tout moyen de communication au public par voie électronique, tout message ayant le caractère de propagande électorale.

On comprend aisément la portée du texte lorsqu’il s’agit d’une nouvelle diffusion.

En revanche, que dire du contenu diffusé antérieurement et toujours disponible la veille du scrutin ?

Doit-on le retirer ? Doit-on fermer le site ?

Les solutions jurisprudentielles semblent contrastées.

Le Tribunal administratif de Paris paraît considérer que le maintien d’un site internet politique, au-delà des limites de temps légales, est contraire à l’article L.49, le Conseil d’Etat juge de son côté que "le maintien sur un site internet le jour du scrutin d’éléments de propagande électorale" ne méconnaît pas les mêmes dispositions, au moins "lorsqu’aucune modification qui s’analyserait en un nouveau message n’a été opérée".

En conséquence, "la circonstance que le site internet d’une liste se soit trouvé encore accessible au jour du second tour ne constitue pas par elle-même une méconnaissance des dispositions de l’article L.49"(3).

Peut-être plus délicate encore, est la détermination du champ exact de l’interdiction prévue cette fois à l’article L.52-1.

En effet, celui-ci prohibe pendant les trois mois précédant le premier jour du mois d’une élection et jusqu’à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, l’utilisation à des fins de propagande électorale de tout procédé de publicité commerciale par la voie de la presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle.

Plusieurs questions viennent immédiatement à l’esprit.

Tout d’abord qu’est-ce que "la voie de la presse ?" : on sait en effet que la presse n’est jamais définie par la loi française, à l’exception peut-être de l’article 1er de la loi du 1er août 1986 qui en donne toutefois un contenu bien formel (4).

En second lieu, pourquoi ne parler que de "communication audiovisuelle", même après la loi du 21 juin 2004 et alors que l’article L.49, lui, a été modifié et vise "tout moyen de communication au public par voie électronique" ?

En outre, la notion de "procédé de publicité commerciale" n’est pas aussi évidente qu’une lecture rapide permettrait de le retenir.

Selon un arrêt du Conseil d’Etat du 8 juillet 2002, il faudrait se fonder sur l’action ou l’inaction de l’électeur.

Dans un arrêt du 8 juillet 2002, il a en effet estimé que le contenu lui-même du message pouvait constituer une "forme de propagande électorale", sans tomber sous le coup de la prohibition légale, si le site du candidat " n’était accessible qu’aux électeurs se connectant volontairement", ce qui, bien sûr, était le cas (5).

Il n’est pas certain que cette distinction, qui repose clairement sur celle du "pull" et du "push" soit toujours considérée comme pertinente. Vaut-elle également pour les sites de presse en ligne qui hébergent les blogs des candidats ? Vaut-elle seulement pour les sites ou les blogs hébergés par les sociétés spécialisées dans ce type de service ?

En tout cas, un précédent arrêt du 7 mai 1993 a considéré que la diffusion par Radio Free Dom, radio locale de la Réunion d’une émission quotidienne destinée à favoriser l’élection de la liste d’un seul candidat, constituait un moyen de publicité commerciale à des fins de propagande électorale prohibé par l’article L.52-1 (6).

Le comportement de l’auditeur n’a même pas été examiné.

Pourtant, il est certain qu’il a accédé "volontairement" aux émissions en question.

On le voit, la question des blogs politiques n’a pas fini de soulever et de faire rebondir les questions juridiques...

Anne Cousin, Avocate

Cabinet Denton Wilde Sapte

(1) Conseil d’Etat, 18 octobre 2002, AJDA 2003. 150.

(2) Conseil constitutionnel, décision n°2002-2682, disponible sur le site du Conseil Constitutionnel.

(3) Tribunal administratif de Paris, 3 octobre 2001, req. n°0104179/3 ; fait à Paris, 10 octobre 2001, req. n°01-04237/3 ; Conseil d’Etat 8 juillet 2002, AJDA 2002.858 ; Conseil d’Etat 18 octobre 2002 AJDA 2003.150.

(4) "Au sens de la présente loi, l’expression publication de presse désigne tout service utilisant un mode écrit de diffusion de la pensée mis à la disposition du public en général ou de catégories de publics et paraissant à intervalles réguliers".

(5) Conseil d’Etat 8 juillet 2002, n°239220, disponible sur Legifrance.

(6) Conseil d’Etat 7 mai 1993, disponible sur Legifrance.

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