Cession et propriété intellectuelle : attention à la requalification de la cession en donation ! Par Arnaud Bouton, Avocat et Lucie Maniller, Elève-Avocat.

Cession et propriété intellectuelle : attention à la requalification de la cession en donation !

Par Arnaud Bouton, Avocat et Lucie Maniller, Elève-Avocat.

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Explorer : # propriété intellectuelle # requalification # donation # cession

Par un arrêt du 13 mars 2024, la Cour d’appel de Paris confirme un jugement du Tribunal judiciaire de Paris en date du 8 février 2022 qui requalifie en donation non dissimulée la cession de marque à titre gratuit, ne laissant plus grand doute quant à la portée de cette évolution jurisprudentielle. Revenons sur les différents apports de ces décisions.

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Le 8 février 2022, par un jugement très remarqué, le Tribunal judiciaire de Paris ouvrait la voie à une pratique susceptible de perturber le futur de la cession de droits de propriété intellectuelle : la requalification en donation non dissimulée des cessions de marques et dessins et modèles à titre gratuit.

Dans les faits, deux associés ont conçu, conjointement, des antennes permettant la réception des données de balises placées dans les colliers de chiens de chasse. S’en suit le dépôt d’une marque européenne, et de divers dessins et modèles communautaires.
Le 13 juillet 2015, la marque, ainsi que trois dessins et modèles, sont cédés à une entreprise par l’un des associés. Quelques années plus tard, le co-titulaire des droits, n’ayant visiblement pas été informé de cette cession, la conteste.

Parmi les arguments avancés pour annuler la transmission des droits, il invoque que la cession à titre gratuit est de fait une donation entre vifs, qui doit être formalisée devant notaire à peine de nullité, en vertu de l’article 931 du Code civil.

Par un jugement qui a, par la suite, fait couler beaucoup d’encre, le Tribunal Judiciaire de Paris lui donne raison, et déclare que :

« le contrat daté du 13 juillet 2015 […] emporte explicitement transfert de propriété de la marque et des modèles “à titre gratuit” ».

Ainsi, « l’acte, qui devait donc être passé devant notaire alors qu’il est constant qu’il a été conclu sous seing privé, est nul ».

Cette nouvelle pratique interroge : cette requalification est-elle applicable à tous les domaines de la propriété intellectuelle ? Faut-il craindre une requalification pour les cessions à titre gratuit conclues antérieurement à ces jurisprudences ? Quelles sont les conséquences d’une requalification en donation ? Comment éviter la requalification ?

Concernant la portée de cette décision.

Si dans un premier temps, la doctrine tend à restreindre cette nouveauté à la propriété industrielle, le Tribunal judiciaire de Paris [1] étend cette requalification au droit d’auteur. C’est dans une affaire « ZOV » en référence au témoignage d’un ancien militaire de l’armée russe paru sur Internet, que le Tribunal constate la nullité de la cession « à titre gratuit » de droits d’auteur conclue sous seing privé.

Il semble ainsi que tout droit de propriété intellectuelle, qu’il soit littéraire, artistique ou industriel, puisse être soumis à ce risque de requalification. L’amorce du changement de régime des cessions à titre gratuit interroge grandement quant à ses conséquences pratiques pour les artistes, entreprises, mais aussi les agences de communication par exemple, qui sont susceptibles de céder à titre gratuit leurs droits sur les créations réalisées pour le compte de leurs clients et qui ne peuvent envisager de procéder systématiquement par acte notarié, pour des raisons évidentes.

Quelles conséquences d’une telle requalification ?

La première des conséquences liées à cette requalification est l’obligation de respecter le régime applicable aux donations entre vifs.

L’acte de cession doit donc être formalisé devant notaire à peine de nullité, en vertu de l’article 931 du Code civil.

Il sera rappelé que cette nullité est absolue et qu’elle peut donc être invoquée par toute personne, y compris des tiers au contrat [2].

Outre les frais relatifs à l’intervention d’un notaire, la requalification implique également un changement fiscal avec le paiement d’éventuels droits de donation.

Comment éviter la requalification en donation ?

La première mesure, de bon sens, pour restreindre les risques susmentionnés, serait de limiter le nombre de cessions.

Pour cela, il faut définir avant tout dépôt de titre de propriété industrielle, une stratégie de gestion des droits de propriété intellectuel, intégrant ces nouvelles contraintes jurisprudentielles et visant notamment à limiter les transferts de propriété à titre gratuit.

À titre d’exemple : déposer la marque au nom de la société en cours de formation plutôt qu’au nom de son dirigeant.

Pour éviter l’embarras d’une requalification en donation, quelques pratiques rédactionnelles peuvent d’ores et déjà être observées :

1. Une donation repose sur une intention libérale, c’est-à-dire de la volonté du donateur de se déposséder de sa propriété sans contrepartie. À l’inverse, les cessions nécessitent une contrepartie, qui peut ne pas être pécuniaire. Cette contrepartie peut ainsi être caractérisée par une autre concession mentionnée au contrat.

À titre d’exemple :, les juges ont déjà admis, en matière de cession de droit d’auteur, qu’une cession à titre gratuit pouvait avoir une contrepartie non financière [3]. La question de la requalification et de la validité du contrat en découlant, n’était toutefois pas soumise aux juges dans ces faits d’espèce.

Il peut ainsi être envisagé de limiter le risque de requalification en précisant expressément que le contrat est conclu sans intention libérale et en identifiant la contrepartie, sous réserve qu’elle existe réellement.

2. Certains contrats de cession stipulaient également une promesse des parties d’établir un acte authentique de la cession concernée en cas de nullité de l’acte (cette circonstance étant sous condition suspensive).

Une telle promesse tend à permettre de sécuriser l’acquisition en évitant certaines conséquences de la nullité (restitution, etc.).

Cette clause, qui devra être indépendante de l’entier contrat, n’opérera néanmoins pas une « régularisation » entendue dans le sens commun du terme, puisque la loi, en l’article 931-1 du Code civil, ne le permet pas.

L’acte authentique résultant de cette clause aura en revanche les conséquences juridiques d’un acte nouveau.

Le Tribunal Judiciaire de Lyon [4] a ainsi très récemment confirmé qu’une nouvelle cession, de la même marque, et cette fois-ci à titre lucratif, opérait une cession rétroactive, couvrant ainsi le risque de requalification de l’acte initial en donation.

Il était précisé dans le second contrat que ce dernier annulait et remplaçait le précédent. Les juges ont donc considéré que ce nouvel acte ne venait pas régulariser la cession initiale au sens d’une confirmation, mais se substituait à elle, opérant ainsi une cession rétroactive de la marque qui était cette fois-ci valide, à la date de l’acte de cession initial.

Ces solutions devront donc être confirmées, ou écartées, par la jurisprudence.

En attendant un éclaircissement – fortement souhaité – de cette nouvelle pratique par les juridictions françaises, il convient de sécuriser les cessions de titres de propriété intellectuelle.

Arnaud Bouton, Avocat associé
Barreau de Lyon
KIRON Avocats
www.kiron-avocats.com

Lucie Maniller
Elève-Avocat
KIRON Avocats
www.kiron-avocats.com

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Notes de l'article:

[1TJ Paris 6 juillet 2023, n° 23/02616.

[2TJ Lyon - 9 avril 2024, n°20/05900.

[3CA Paris 11 septembre 2013 n°12/11741.

[4Tribunal Judiciaire de Lyon 9 avril 2024, n°20/05900.

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