Les dispositions relatives à la propriété intellectuelle au sein de la LME sont certes peu nombreuses… mais elles n’en sont pas moins d’importance.
Celles-ci sont regroupées au sein du Titre III : « Mobiliser l’attractivité au service de la croissance » de la LME, dans un Chapitre III intitulé « Développer l’économie de l’immatériel ».
Les plus significatives sont contenues dans les articles 133 et 135 de la Loi (en exceptant les dispositions spécifiques au droit des brevets de l’article 132).
1. Article 133 de la LME : Conséquences de l’absence d’inscription aux registres nationaux de certains actes
Ce texte comporte deux dispositions venant compléter les articles L. 513-3 et L. 714-7 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) relatifs à l’obligation d’inscrire au registre national concerné tout acte transmettant ou modifiant les droits attachés respectivement à un dessin et modèle ou une marque.
La première prévoit l’exception suivante : « Toutefois, avant son inscription, un acte est opposable aux tiers qui ont acquis des droits après la date de cet acte mais qui avaient connaissance de celui-ci lors de l’acquisition de ces droits », reprenant ainsi les termes exacts d’une disposition existant déjà en droit des brevets (CPI, art. L. 613-9, al. 2).
La seconde, plus significative, permet désormais au licencié d’une marque ou d’un dessin et modèle [1] d’intervenir dans une action en contrefaçon engagée par le titulaire afin d’obtenir réparation de son préjudice propre, sans avoir besoin d’inscrire sa licence au registre national concerné.
Cela dans un souci d’atténuer « au bénéfice des entreprises, le formalisme des procédures [2] ».
Finies donc les inscriptions de licence en urgence et les coûts y afférents… sauf pour les licenciés exclusifs agissant seuls en cas de passivité du titulaire (CPI, art. L. 716-5, al. 1), pour lesquels l’obligation d’inscription demeure à notre sens.
2. Article 135 de la LME : Compétence exclusive des tribunaux de grande instance en matière de droits de propriété intellectuelle
L’intérêt majeur de cet article est de conférer, sans aucune ambiguïté, une compétence exclusive aux tribunaux de grande instance en matière de propriété littéraire et artistique et ainsi de mettre fin aux débats provoqués sur ce point par la rédaction maladroite de l’article L. 331-1 du CPI issue de la loi de lutte contre la contrefaçon du 29 octobre 2007.
En effet, pour mémoire, la modification de cette disposition laissait planer un doute sérieux, largement commenté : les tribunaux de commerce étaient-ils toujours compétents pour statuer en matière de droit d’auteur ?
Sur cette question les auteurs s’opposaient, tout comme les tribunaux : ainsi le Tribunal de Commerce de Lille se déclarait-il incompétent (T.com.Lille, ord.re., 20 déc. 2007, SAS Sadas c/ SASU Castorama), tandis que celui de Paris considérait que les tribunaux de commerce « seront susceptibles d’être compétents si le procès oppose deux commerçants » (T.com.Paris, 15e ch., 3 juillet 2008, A. Gas c/ H&M)…
Désormais, la nouvelle rédaction de l’article L. 331-1 du CPI issue de la LME met un terme à toute discussion :
« Toutes les contestations relatives à l’application des dispositions de la première partie du présent code [La propriété littéraire et artistique] qui relèvent des juridictions de l’ordre judiciaire sont exclusivement portées devant les tribunaux de grande instance, sans préjudice du droit pour la partie lésée de se pourvoir devant la juridiction répressive dans les termes du droit commun. »
Dans un souci de clarté, cette nouvelle formulation relative à la compétence juridictionnelle (« …sont exclusivement portées devant les tribunaux de grande instance ») est généralisée par la LME aux autres droits de propriété intellectuelle (hors brevets) [3] , à savoir aux dessins et modèles (CPI, art. L. 521-3-1), aux marques (CPI, art. L. 716-3) et aux indications géographiques (CPI, art. L. 722-8).
Ainsi le député Éric Ciotti, à qui nous devons l’amendement à l’origine de ces nouvelles dispositions, a parfaitement atteint son double objectif : « Le présent amendement vise donc à mettre fin à l’insécurité juridique résultant de la rédaction des articles relatifs à la compétence juridictionnelle, en spécifiant que seuls les tribunaux de grande instance sont compétents pour tous les droits de propriété intellectuelle et en maintenant la spécialisation au sein de ceux-ci. » [4]
Car tout en confiant de manière claire et exclusive tout le contentieux de la propriété intellectuelle aux tribunaux de grande instance, la LME confirme que seuls certains d’entre eux seront compétents pour connaître de ces litiges.
Reste donc à attendre les décrets d’application [5] qui préciseront la liste de ces TGI spécialisés [6], en espérant que ces derniers bénéficieront des moyens suffisants pour mener à bien la lourde tâche qui leur incombera désormais… [7]
Caroline Coudert, Juriste spécialisée en propriété intellectuelle
[1] Et même d’un brevet (CPI, art. L. 613-9, nouv. al. 3)
[2] Rapp. Sénat n° 413 (2007-2008) de L. Béteille, É. Lamure et Ph. Marini, fait au nom de la commission spéciale, déposé le 24 juin 2008
[3] La compétence exclusive des TGI en matière de brevets était en effet déjà clairement énoncée à l’article L. 615-17 du CPI
[4] Amendement N° 327 rect. présenté par M. Ciotti, article additionnel après l’article 35
[5] Le ministère de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi a mis au point un « Tableau de suivi des mesures réglementaires d’application de la loi de modernisation de l’économie » accessible via http://www.modernisationeconomie.fr... . À noter par ailleurs que Christine Lagarde s’est engagée à ce que les décrets d’application de la LME soient pris avant la fin de l’année 2008.
[6] V. sur ce point le rapport de la Commission Guinchard (notamment proposition n° 11) qui donne quelques pistes
[7] À noter que la création d’une section supplémentaire (trois nouveaux magistrats) au sein de la 3e Chambre civile (spécialisée en propriété intellectuelle) du TGI de Paris serait envisagée.