Afin de pleinement appréhender la position de la CJUE sur cette question cruciale pour les distributeurs de produits biocides, il convient :
- en premier lieu, d’évoquer ce qu’englobe la notion de « produits biocides » et le contexte de l’arrêt en date du 20 juin 2024 (1.)
- en second lieu, de rappeler les circonstances de l’affaire à l’origine de la question préjudicielle européenne qui a été transmise à la CJUE (2.)
- en troisième lieu, d’analyser le raisonnement adopté par la CJUE pour y répondre (3.)
- enfin d’évoquer les conséquences de la jurisprudence issue de l’arrêt de la CJUE en date du 20 juin 2024 dans l’affaire C-296/23, en droit français (4.).
1. La régulation de la publicité des produits biocides par le Règlement (UE) n°528/2012 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012.
a. Les produits « biocides » réglementés par le Règlement (UE) n°528/2012.
Il résulte de l’article 3 1° a) du Règlement européen n°528/2012, que les produits biocides sont des produits contenant une ou plusieurs substances actives destinées à lutter contre les organismes (biocides) nuisibles à l’homme ou à ses activités qui sont utilisés dans la sphère domestique comme dans le milieu professionnel.
L’action biocide considérée peut être directe ou indirecte [1].
Constituent par exemple des produits biocides, parmi les plus connus : les désinfectants, les produits de protection (conservateur protégeant le bois, les fibres) et les produits de lutte contre les nuisibles (insecticides, répulsifs, produits de lutte contre les rongeurs, insecticides, etc.).
Tous ces produits ont en commun, de contenir une ou plusieurs substances actives qui présentent un risque intrinsèque pour l’environnement [2].
Ils peuvent également présenter un danger pour la santé humaine et animale (toxicité, sensibilisation, corrosion).
C’est la raison pour laquelle leur mise sur le marché, leur publicité et leur usage ont été strictement réglementés au niveau européen par le Règlement (UE) n°528/2012 du 22 mai 2012.
b. La réglementation de la publicité des produits biocides par l’article 72 du Règlement (UE) n°528/2012 du 22 mai 2012.
L’article 72 « Publicité » du Règlement (UE) n°528/2012 objet de la question préjudicielle transmise à la CJUE dans l’affaire C-296/23 du 20 juin 2024, énonce :
« 1. Toute publicité pour des produits biocides, outre le respect des dispositions du règlement (CE) n o 1272/2008, comporte les phrases « Utilisez les produits biocides avec précaution. Avant toute utilisation, lisez l’étiquette et les informations concernant le produit ». Ces phrases ressortent clairement dans la publicité et sont facilement lisibles.
2. Les annonceurs peuvent remplacer le mot « biocides » dans les phrases obligatoires par une référence claire au type de produit visé par la publicité.
3. Les publicités pour des produits biocides ne font pas référence au produit d’une manière susceptible de tromper l’utilisateur quant aux risques qu’il peut présenter pour la santé humaine, pour la santé animale ou pour l’environnement ou quant à son efficacité. En tout état de cause, la publicité pour un produit biocide ne comporte pas les mentions « produit biocide à faible risque », « non toxique », « ne nuit pas à la santé », « naturel », « respectueux de l’environnement », « respectueux des animaux » ou de toute autre indication similaire ».
Interrogée par le Conseil d’Etat français sur la portée de l’article 72 1° précité, la CJUE a récemment jugé, par arrêt du 19 janvier 2023, qu’une réglementation nationale :
- exigeant l’apposition d’une mention complémentaire à celle prévue à l’article 72 1° du règlement (UE) n°528/2012, est contraire aux dispositions de cet article lorsqu’elle porte sur de la publicité de produits biocides, destinée aux professionnels,
- qui interdit la publicité à destination du grand public en faveur de certaines catégories ciblées de produits biocides (parmi lesquels se trouvent ceux qui sont les plus dangereux pour la santé humaine et pour l’environnement) est conforme aux dispositions de cet article [3].
2. La question préjudicielle européenne soumise à la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire C-147/21 du 20 juin 2024 étudiée.
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 juin 2024 objet de cette étude, la CJUE a été interrogée sur la portée de l’article 72 3° du règlement (UE) n°528/2012, ce qui lui a permis de compléter sa Jurisprudence sur l’interprétation de l’article 72 du règlement (UE) n°528/2012 qui réglemente la publicité des produits biocides en Europe.
Dans cette affaire, la dm-droguerie markt GmbH & Co, une chaîne de drogueries opérant en Allemagne, proposait à la vente (y compris sur internet) un désinfectant dénommé « BioLYTHE ».
L’étiquette apposée sur le produit comportait les indications suivantes :
- Désinfectant écologique universel à large spectre,
- Désinfection de la peau, des mains et des surfaces,
- Efficace contre le SRAS- Corona,
- Respectueux de la peau *Bio* sans alcool.
En conséquence, la dm-droguerie markt GmbH & co a été poursuivie pour publicité déloyale par la Zentrale zur Bekämpfung unlauteren WettbewerbseV (« ZBUW »), une association de lutte contre la concurrence déloyale allemande.
La ZBUW a saisi la justice, pour qu’il soit fait injonction à la dm-droguerie markt GmbH & Co de cesser de designer/commercialiser le produit BioLYTHE en tant que « désinfectant écologique universel à large spectre, désinfectant de la peau, des mains et des surfaces, efficace contre le SRAS-Corona et respectueux de la peau *Bio* sans alcool ».
La juridiction de premier degré a fait droit à cette demande d’injonction.
La dm-droguerie markt GmbH & Co a interjeté appel contre cette décision, qui a été partiellement réformée par la Juridiction de second degré.
La décision rendue en appel a elle-même fait l’objet d’un recours à l’initiative de la ZBUW devant la Cour fédérale de justice allemande, qui a transmis à la CJUE la question préjudicielle suivant :
« La notion de "toute autre indication similaire", au sens de l’article 72, paragraphe 3, seconde phrase, du règlement (no 528/2012) comprend elle uniquement les indications d’une publicité qui, à l’instar des termes qu’énumère expressément (ladite disposition), minimisent, de manière générale, les propriétés du biocide quant aux risques qu’il peut présenter pour la santé humaine, pour la santé animale ou pour l’environnement ou quant à son efficacité, ou la notion de "toute autre indication similaire" englobe-t-elle tout terme qui minimise les risques que le produit peut présenter pour la santé humaine, pour la santé animale ou pour l’environnement ou l’efficacité de ce produit de manière comparable aux termes concrètement énumérés, sans pour autant nécessairement revêtir un caractère (général) tel que celui que présentent ces termes » ?
3. La réponse apportée par la CJUE à la question préjudicielle soumise par la Cour fédérale de justice allemande dans l’affaire C-147/21 du 20 juin 2024.
S’agissant d’une demande d’interprétation d’une norme européenne, la Cour de Justice de l’Union européenne a orienté son raisonnement autour de l’analyse de 3 éléments :
- les termes de l’article 72 3° du règlement (UE) n°528/2012 visé par la question préjudicielle ;
- le contexte dans lequel s’inscrit cette disposition, à savoir les autres dispositions pertinentes du règlement (UE) n°528/2012 ;
- les objectifs du règlement (UE) n°528/2012 dans lequel l’article 72 3° s’inscrit.
Concernant les termes de l’article 72 3° du règlement (UE) 528/2012, celui-ci dispose :
« les publicités pour des produits biocides ne doivent pas faire référence au produit d’une manière susceptible de tromper l’utilisateur quant aux risques qu’il peut présenter pour la santé humaine, pour la santé animale ou pour l’environnement ou quant à son efficacité.
En tout état de cause, la publicité pour un produit biocide ne doit pas comporter les mentions « produit biocide à faible risque », « non toxique », « ne nuit pas à la santé », « naturel », « respectueux de l’environnement », « respectueux des animaux » ou toute autre indication similaire ».
La CJUE observe en particulier, que :
- les mentions expressément interdites par cet article ont en commun, de minimiser les risques que les produits biocides peuvent présenter pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement (ou quant à leur efficacité), voire d’en nier l’existence ;
- ces mentions ne revêtent pas nécessairement un caractère général.
Après analyse du contexte dans lequel s’inscrit l’article 72 3° en cause, la CJUE considère, que les mentions énumérées dans cet article ne constituent que des exemples des mentions qui, manifestement trompeuses quant aux risques que font courir les biocides sur la santé humaine ou animale et sur l’environnement, sont interdites dans la publicité de ces produits.
Elle rappelle à ce titre, qu’une indication tant générale que spécifique peut tromper l’utilisateur de produits biocides, sur les risques qu’ils peuvent faire courir à la santé et à l’environnement.
Concernant les objectifs poursuivis par le Règlement (UE) n°528/2012, la CJUE a jugé, dans l’arrêt CIHEF & a. du 19 janvier 2023 précité, que ce texte établit une règlementation générale de la publicité des produits biocides, qui :
- est fondée sur la réaction des consommateurs quant à la perception des risques que ces produits peuvent présenter pour la santé humaine et animale et pour l’environnement, même si les utilisateurs de tels produits ne se limitent pas aux consommateurs, et
- s’applique indépendamment des risques et des propriétés réels desdits produits.
Dans son arrêt du 20 juin 2024, la CJUE dégage un second objectif du règlement (UE) 624/2012, lequel est de réduire autant que possible l’usage des produits biocides, dont elle déduit une obligation de supprimer toute mention publicitaire pouvant favoriser une utilisation excessive, négligente ou incorrecte de ces produits.
En conséquence selon la CJUE, il ne saurait être permis d’utiliser des mentions publicitaires pour des produits biocides qui réfèrent à l’absence de risques ou à un risque faible ou à certains effets positifs de ces produits afin de minimiser ces risques, voire d’en nier l’existence.
Au cas particulier de la mention « respectueux pour la peau » utilisée par la dm-droguerie Markt GmbH & Co dans la publicité du produit biocide soumise à son examen, la CJUE considère, que :
« il suffit de relever qu’une telle mention ayant, à première vue, une connotation positive évitant l’évocation d’un quelconque risque, est susceptible de relativiser les effets secondaires nocifs de ce produit, voire (…) laisserait entendre que ledit produit pourrait même être bénéfique pour la peau. Or, une telle mention revêt un caractère trompeur justifiant l’interdiction de son usage dans la publicité du même produit, au sens de l’article 72, paragraphe 3, du règlement no 528/2012 ».
Au vu de ce qui précède, la CJUE juge, dans son arrêt en date du 20 juin 2024 :
« (…) que l’article 72, paragraphe 3, seconde phrase, du règlement no 528/2012 doit être interprété en ce sens que la notion de toute autre indication similaire (…) comprend toute indication dans la publicité portant sur des produits biocides qui, à l’instar des mentions visées à ladite disposition, fait référence à ces produits d’une manière susceptible de tromper l’utilisateur quant aux risques qu’ils peuvent présenter pour la santé humaine, pour la santé animale ou pour l’environnement ou quant à leur efficacité, en minimisant ces risques, voire en niant leur existence, sans pour autant nécessairement revêtir un caractère général ».
Il ressort de l’arrêt en date du 20 juin 2024 rendu dans l’affaire ZBUW c/ dm-droguerie Markt GmbH & Co KG - C-296/23, que la Cour de justice de l’Union européenne a entendu :
- accroître la qualité de l’information transmise aux utilisateurs de produits biocides sur les risques que peuvent faire courir ces produits sur la santé humaine, la santé animale et l’environnement, véhiculée par la publicité portant sur de tels produits ;
- lutter contre toute image faussement positive de ces produits, afin de contribuer à en réduire le plus possible l’usage qui est intrinsèquement nocif pour l’environnement, ce qui est très positif dans le cadre de la crise environnementale que nous traversons actuellement ;
- créer une nouvelle catégorie de mentions publicitaires, qui sont réputées trompeuses à l’égard des utilisateurs de produits biocides, le caractère trompeur ou non desdites mentions, devant toutefois être évalué au cas par cas par les Juges du fond au vu des critères établis par la CJUE.
L’usage du terme « utilisateur » dans son avis transmis à la Cour de renvoi, en lieu et place du terme « consommateur », laisse supposer que l’interdiction des mentions visées par l’article 72 3° du règlement (UE) n°528/2012 ne se limite pas aux publicités destinées au grand public, mais englobe également celles destinées aux professionnels.
Il aurait été toutefois souhaitable, au vu de la position plus nuancée adoptée par la CJUE dans son arrêt CIHEF du 19 janvier 2023 dans le sillage duquel l’arrêt en date du 20 juin 2024 étudié s’inscrit, de préciser plus explicitement ce point qui pourrait donner lieu à débat.
4. L’impact de l’arrêt de la CJUE du 20 juin 2024 sur le droit français.
En France, la commercialisation des produits biocides a notamment été réglementée par la loi n°2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine, durable et accessible à tous (« loi EgGAlim ») et par deux décrets datés du 26 juin 2019.
Les mentions qui figurent dans la publicité de tels produits est en outre susceptible, le cas échéant, de constituer des pratiques commerciales trompeuses (dont fait partie la publicité trompeuse) interdites au sens des articles L121-2 à L212-4 du Code de la consommation.
En effet, l’article L121-2 du Code de la consommation interdit les pratiques commerciales trompeuses, lesquelles sont constituées, notamment :
« (…) 2° Lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l’un ou plusieurs des éléments suivants :
(…) b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, notamment au regard des règles justifiant l’apposition des mentions "fabriqué en France" ou "origine France" ou de toute mention, signe ou symbole équivalent, au sens du Code des douanes de l’Union sur l’origine non préférentielle des produits, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l’usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, notamment son impact environnemental… ».
Comme l’a rappelé la DGCCRF dans sa fiche sur les pratiques commerciales trompeuses la notion de « propriétés, résultats attendus de l’utilisation » vise les annonces qui attribuent à certains produits une fonction utilitaire, comme par exemple, des promesses faites pour certains produits de traitement (insecticides, etc.)
La publicité trompeuse, en ce qu’elle entre dans la notion plus large de pratique commerciale trompeuse, constitue un délit en sens de l’article 132-2 du Code de la consommation, puni d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 300 000 euros.
Le montant de cette amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du délit, à :
- 10% du chiffre d’affaires moyen annuel, ou à 50% des dépenses engagées pour la réalisation de la publicité ou de la pratique constituant ce délit.
- 80% dans le cas des pratiques commerciales trompeuses lorsqu’elles reposent sur des allégations en matière environnementale.
L’arrêt du 20 juin 2024 objet de cette étude, qui répute trompeuse toute indication incluse dans une publicité portant sur des produits biocides, qui minimise ou nie l’existence des risques que ces produits font peser sur la santé humaine, animale ou sur l’environnement, ajoute un cas, spécifique aux produits biocides, de pratiques trompeuses interdites par l’article L121-2 du Code de la consommation et pénalement réprimées par l’article L132-2 dudit Code.
Cet ajout fait peser sur les distributeurs de produits biocides un risque pénal accru et un aléa judiciaire certain, auxquels ils devront s’adapter.