Les conflits de lois dans le temps en matière de délai.

Par Damien Viguier, Avocat.

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Explorer : # prescription # droit transitoire # conflit de lois # code civil

La loi qui modifie la durée d’un délai s’applique au délai en cours à la date de son entrée en vigueur. Le nouveau délai plus long prend sa course depuis le même point de départ que l’ancien. Le nouveau délai plus bref a pour point de départ la date d’entrée en vigueur de la loi qui l’instaure, mais il ne s’applique pas s’il est quand même plus long que la durée qui restait à courir de l’ancien.

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L’article 2222 du Code civil a été réécrit par l’article 1 de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile :

La loi qui allonge la durée d’une prescription ou d’un délai de forclusion est sans effet sur une prescription ou une forclusion acquise. Elle s’applique lorsque le délai de prescription ou le délai de forclusion n’était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé.

En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Cette disposition n’apporte rien de neuf. Elle touche à une difficile question de droit transitoire, sur laquelle il y a eu, au siècle dernier, des discussions en doctrine et en jurisprudence. Il s’agit, en réalité, d’un mauvais résumé de la controverse. En guise de commentaire nous voudrions précisément faire la critique de ce texte, montrer ses incohérences, et finalement lui donner du relief, en faisant ressortir la dispute qui se cache entre ses lignes.

Il convient de commencer par rappeler comment se résout en règle générale un conflit de lois dans le temps.

L’empire d’une loi couvre la période de temps comprise de son entrée en vigueur à son abrogation. Il suffit de donner leur date aux évènements. Dès lors qu’un évènement se situe sous la période couverte par la loi la plus récente, c’est celle-ci qui s’applique. S’il se situe sous la période régie par la loi ancienne, l’on parle de facta praeterita, et c’est donc celle-ci qui s’applique. La seule difficulté sur ce point c’est le facta pendentia, l’évènement qui a commencé sous une loi et qui se prolonge sous une autre. L’idée directrice c’est que l’évènement qui dure est partagé en deux. L’ancien droit régit la part qui est sous son empire, le droit nouveau s’applique à celle qui est tombée sous le sien. Voilà quels sont les principes, relativement simples, de l’application de la loi dans le temps.

En revanche, ce qui est compliqué, c’est de déterminer, en chaque cas, quel sera l’élément « de rattachement » (pour parler comme en droit international privé) à prendre en considération [1]
. C’est ainsi qu’en matière de changement de délais (pour ne pas prendre d’autres exemples que celui qui nous occupe [2]) l’on peut se demander s’il faut considérer de préférence l’évènement qui en marque le point de départ, ou bien le délai lui-même.

Aulu-Gelle [3] rapporte une discussion entre Scaevola, Brutus et Manilius, les trois veteres de l’époque tardo-républicaine [4], qui se demandaient si une loi qui supprimait le délai de prescription d’un an pour les choses volées s’appliquait aussi aux vols déjà commis. La discussion est d’ailleurs la trace la plus ancienne du droit transitoire. Elle est la preuve, à notre sens, que l’on ne savait pas s’il fallait considérer le point de départ du délai (le vol, auquel cas la loi ne s’appliquait qu’aux vols postérieurs à son entrée en vigueur) ou le cours du délai lui-même (auquel cas la loi s’applique au délai qui n’est pas expiré lorsqu’elle entre en vigueur). En droit français c’est le délai, non son point de départ, qui est l’élément de rattachement. Quoique l’article 2281 du Code civil fasse au contraire le choix du point de départ, telle est bien la solution reçue [5]. Et au regard des difficultés que l’application de cette règle soulève, l’on peut se demander s’il n’aurait pas mieux valu, s’il n’aurait pas été plus simple et plus juste de choisir plutôt le point de départ du délai. Cela eût retardé l’application des lois nouvelles, mais il eut suffit de voir si l’évènement se situait avant ou après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. Dans notre système, les choses sont donc plus compliquées.

Facta praeterita

Nous pouvons néanmoins faire un sort au facta praeterita. Lorsque le délai a achevé sa course sous l’empire de la loi ancienne il n’est pas question pour la loi nouvelle de le prendre sous son propre empire. Telle est la règle [6]. Elle vaut tant pour les lois qui réduisent que pour les lois qui allongent un délai. Mais la seule hypothèse problématique est celle d’un allongement. Si un délai de deux ans, écoulé depuis six mois, est raccourci à un an, quoi qu’il en soit il est acquis, tandis que s’il passe à trois ans, l’on pourrait imaginer qu’il reprenne sa course pour encore six mois. Ce serait donner à la loi nouvelle un effet rétroactif, et c’est donc la raison du début de l’article 2222 du Code civil : La loi qui allonge la durée d’une prescription ou d’un délai de forclusion est sans effet sur une prescription ou une forclusion acquise. L’effet serait plus clairement rétroactif dans le cas d’une réduction du délai, parce qu’alors l’application de la loi nouvelle n’aurait pas pour effet de faire courir un laps du délai sous son empire, mais après tout la formule aurait pu comprendre le cas : la loi qui modifie la durée d’un délai est sans effet sur un délai expiré. Car ce qui importe, c’est que nous soyons alors dans un facta praeterita. Les difficultés ne commencent réellement qu’avec le facta pendentia, le délai en cours lors de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle.

Facta pendentia

Dans cette dernière hypothèse, la course du délai va se trouver perturbée par l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. Mais de quelle façon ? Car nous en connaissons deux.

La première consiste à mesurer la proportion de temps qui reste à courir de l’ancien délai à la date d’entrée en vigueur du nouveau afin de l’appliquer à ce dernier. Si par exemple six mois sont écoulés sur un délai de deux ans, il reste encore les trois quarts à courir ; lorsque la loi ferait passer le délai à trois ans, il resterait deux ans et trois mois à courir, lorsqu’elle le ferait passer à un an il resterait neuf mois. Marcel Planiol jugeait cette solution « la plus juridique »,et, pour complexe qu’elle puisse paraître, elle a le mérite d’éviter les inconvénients que présente l’autre manière de faire qui lui a été préférée.

La solution retenue en principe consiste en effet à appliquer la loi nouvelle en quelque sorte rétroactivement, puisqu’il s’agit de refaire partir le comput depuis le point de départ initial. Un arrêt parlait d’une substitution du nouveau délai au précédent [7]. Le principe est donc, autrement dit encore, celui de l’identité de point de départ pour l’ancien et pour le nouveau délai. Aller plus avant exige de distinguer selon que la loi allonge ou raccourci le délai.

Allongement du délai

Lorsque la loi allonge le délai il n’y a pas encore de problème. Pour un délai de deux ans qui passerait à trois ans, dans l’hypothèse où six mois seraient écoulés, il restera à courir deux ans et demi au lieu d’un an et demi. Telle est bien la solution jurisprudentielle [8]. Et c’est aussi celle que le législateur a donc reprise en 2008 en énonçant que la loi qui allonge la durée d’un délai s’applique lorsqu’il n’est pas expiré à la date de son entrée en vigueur.
Malheureusement il le fait en ajoutant cette formule : « il est tenu compte du délai déjà écoulé » [9]. Comme si le délai selon la loi nouvelle avait pour point de départ le jour de l’entrée en vigueur de celle-ci. Les rédacteurs du texte n’avaient donc pas à l’esprit le véritable principe conforme à ce système. Cette occultation s’explique par un infléchissement, du aux complications que nous allons voir, mais elle est révélatrice de la confusion dans laquelle ces textes sont rédigés.

Abréviation du délai

C’est dans l’hypothèse d’une loi qui abrège le délai que l’on peut rencontrer des cas de figure délicats.

Dans un premier cas la loi nouvelle ne fait que raccourcir le temps qui reste à courir. Si le délai était par exemple de deux ans, que six mois soient écoulés, et qu’il passe à un an, il resterait encore six mois, au lieu d’un an et demi. C’est une solution que certaines Cour d’appel ont déjà retenue (mais elles ont été censurées par la Cour de cassation) [10]. Les prévisions des intéressés se trouvent déjà nettement contrariées.

Mais l’hypothèse la plus choquante est celle où le délai se trouve prescrit dès l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. Dans notre exemple, il suffit que sur un délai de deux ans il reste encore six mois à courir, s’il passe à un an, il se trouve rétroactivement expiré depuis six mois [11]. Le caractère rétroactif de la solution est frappant. En vérité, ce cas, comme le précédent, ne fait que mettre en lumière un caractère que ce système contient en général. Nous le signalions déjà plus haut.

Plutôt que de renoncer à tout ce système, ainsi que l’on fait certaines Cour d’appel, la Cour de cassation, confortée récemment par le législateur, a préféré introduire cette exception : donner pour point de départ du délai raccourci la date d’entrée en vigueur de la loi qui l’instaure [12]. C’est ce qu’exprime l’alinéa 2 de l’art. 2222 du Code civil : « en cas de réduction de la durée du délai (…), ce nouveau délai court à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle ». De la sorte, il peut bien s’opérer un rapprochement de la date de l’échéance, ce qui contrarie les prévisions des intéressés, mais ce n’est jamais que pour une durée qui est la durée totale choisie désormais par le législateur. Si le délai de deux ans est passé à un an et qu’il restait encore un an et demi, il ne reste plus qu’un an.

La solution, cependant, ne vaut plus dès lors que la durée qui restait à courir est inférieure à la durée totale du nouveau délai. S’il ne restait plus que six mois sur un délai de deux ans, il est curieux de faire courir encore un an (ce qui fait un total de deux ans et demi). En considération de ce cas la jurisprudence a apporté un tempérament à l’exception au principe. Le délai n’est pas rallongé. Cette idée, compliquée, a été exprimée par diverses formules. Le législateur a retenu celle-ci : « sans que la durée totale puisse excéder le délai prévu par la loi antérieure » [13].

Damien VIGUIER
Avocat - Docteur en droit
www.avocats-viguier.com

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Notes de l'article:

[1Marty et Raynaud, Introduction générale à l’étude du droit, 2ème éd., Paris, Sirey, 1972, n° 105, p. 185 et n°106, p. 188.

[2Pour un contrat l’élément à considérer est le moment de sa conclusion. Conclus sous l’ancien droit ses effets demeurent régis par lui, même s’ils se prolongent sous le nouveau. Mais on considère que le mariage est une institution légale, parce que si l’on se marie sous une loi qui permet le divorce, et qu’ensuite celui-ci est interdit, la disposition nouvelle s’applique.

[3Nuits attiques, XVII, 7.

[4Que l’on présente même pour les trois fondateurs du droit civil.

[5V. la formule de Civ., 20 juin 1904, S. 1907.1.235 : « la prescription se règle d’après la loi en vigueur au moment où elle s’accomplit, et (…) aussi longtemps qu’elle n’est pas consommée, le législateur reste maître de modifier les conditions suivant lesquelles elle peut devenir un droit acquis ». Art. 2281 C. civ. : « Les prescriptions commencées à l’époque de la publication du présent titre seront réglées conformément aux lois anciennes ».

[6Civ. 1ère, 27 sept. 1983, Bull. civ., I, n°215 ; Soc., 15 fév. 1973, D. 1973.518. et, pour complexe qu’elle puisse paraître, elle a le mérite d’éviter les inconvénients que présente l’autre manière de faire qui lui a été préférée.

[7Agen, 19 oct. 99.

[8Com. 30 nov. 1999 RCA 2000, comm. 42 ; Crim., 16 mai 1931, Gaz Pal 1931, 2, p. 178.

[9Cela est dû à la commission des lois du Sénat qui « a souhaité préciser que dans ce cas, le délai déjà écoulé devait évidemment être soustrait au nouveau délai ». E. Blessing, Rapport parlementaire, Doc. A.N., n°847, mai 2008.

[10Paris, 6 janv. 1961, cassé par Civ. 2, 13 nov 1963, Bull. civ. II, 1963, n°724 ; Agen, 19 oct. 1999, cassé par Soc., 22 nov. 2001, Bull. civ. V, 2001, n°356.

[11V. Com., 13 juin 95, Bull. civ. IV, 1995, n°179.

[12Req., 18 mai 1942, JCP 1942.II.2056 note Roubier ; CIv. 9 juill. 1934, DH 1934.524 ; Com., 17 mars 1952, S. 1952.359.

[13Civ. 1, 2 nov. 73 ; Com., 13 juin 95.

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