Le congé parental d’éducation : un droit sous haute protection des juges.

Par Judith Bouhana, Avocat

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Explorer : # congé parental # droit du travail # protection des salariés

Fin 2007, 280 000 parents dont 94 % de femmes sont en congé parental d’éducation (source http://www.drees.sante.gouv.fr E. CRENNER Études et résultats N° 751- Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES).

Le droit de s’occuper de ses enfants sans perdre son emploi est un droit commun aux deux parents. Les pères ont désormais droit à un congé spécifique de paternité (article L 1235-55 du code du travail) qui est loin d’être anecdotique : en 2010, 350 000 salariés du privé ont bénéficié du congé paternité (source http://lci.tf1.fr/economie/social O. Levard 18 mars 2011)

-

C’est l’article L. 1125 37 du code du travail qui fixe les règles :

Tout salarié qui a au moins une année d’ancienneté dans l’entreprise peut demander à bénéficier d’un congé parental d’éducation ou d’une réduction du temps de travail pour s’occuper de son enfant de moins de trois ans et de moins de 16 ans en cas d’adoption.

Le contentieux principal concerne le retour du salarié dans l’entreprise à l’issue de son congé parental.

Le salarié doit retrouver son précédent emploi ou un emploi similaire avec une rémunération au moins équivalente précise l’article L. 1225-55 du code du travail.

La jurisprudence récente révèle une interprétation stricte de la loi.

SUR LES CONDITIONS DE FORME DU CONGÉ PARENTAL :

L’envoi par le salarié de la lettre recommandée prévue à l’article L 1225-50 du code du travail pour informer son employeur qu’il souhaite prendre un congé parental d’éducation est un moyen de preuve que l’employeur a bien été informé de sa demande et non une condition préalable au droit au congé.

C’est l’interprétation faite par la Cour de cassation le 25 janvier 2012 (pourvoi n° 10 - 16 369) en ce qui concerne une salariée en congé de maternité jusqu’au 1er février 2008 et licenciée pour faute grave le 20 mars 2008 compte tenu de son absence depuis le 1er février 2008.

La difficulté était que la salariée n’avait informé son employeur de son congé parental d’éducation que par lettre recommandée avec AR adressée le 7 février 2008, soit après la fin de son congé maternité. L’employeur avait reconnu de son côté avoir été verbalement informé le 6 février 2008, soit avant d’avoir reçu la lettre recommandée de la salariée.

Estimant que la salariée était absente sans motif valable l’employeur l’avait licencié pour faute grave le 20 mars 2008.

Confirmant l’arrêt de la Cour d’appel, la Cour de cassation a précisé que la formalité prévue à l’article L. 1225-50 du code du travail n’est qu’un mode de preuve de l’information de l’employeur et non une condition du droit du salarié à bénéficier de son congé parental d’éducation.

L’essentiel du contentieux du congé parental concerne le retour du salarié à son emploi à l’issue de son congé :

Le salarié doit retrouver son ancien emploi ou un emploi équivalent.

SUR LA NOTION D’EMPLOI ÉQUIVALENT :

1/L’emploi doit correspondre aux fonctions précédentes (Cour de Cassation chambre sociale 25 janvier 2012 -pourvoi n° 10-23898).

Dans cet arrêt, une salariée demande à l’issue de son congé parental à reprendre son ancien poste de responsable de caisse ce que l’employeur refuse au motif qu’il aurait été supprimé.

Or, l’employeur avait déposé une offre de poste de chef de caisse à l’ANPE que la salariée jugeait correspondante à ses fonctions, ce qui était contesté par l’employeur : l’offre exigeant une qualification de niveau V alors que la salariée n’avait qu’une qualification de niveau III.

La salariée a saisi le conseil de prud’hommes d’une demande de résiliation de son contrat de travail et sa demande est accueillie par la Cour d’appel suivie par la Cour de cassation :

« la Cour d’appel ayant constaté l’existence d’un poste correspondant aux fonctions antérieurement occupées par la salariée, en a exactement déduit, sans excéder ses pouvoirs, que l’employeur n’avait pas satisfait à son obligation de proposer à Mme X... ce poste, qui correspondait également à la classification de cette salariée ».

La Cour de Cassation rappelle que les juges du fond ont le pouvoir souverain d’apprécier si le poste proposé par l’employeur est équivalent aux précédentes fonctions exercées par le salarié nonobstant la qualification du poste donnée par l’employeur.

2/L’emploi équivalent ne doit pas constituer une modification du contrat de travail du salarié (Cour de Cassation chambre sociale 19 janvier 2012 -pourvoi n° 10-10863).

Dans cet arrêt, une salariée technicienne polyvalente de retour d’un congé parental en mai 2004, avait été affectée à deux nouveaux sites avec une nouvelle répartition des horaires journaliers, cette affectation pouvant varier sur plusieurs sites et avec une éventuelle astreinte le dimanche et des gardes de nuit.

Licenciée pour faute grave en juillet 2004 pour avoir refusé cette nouvelle affectation, elle saisit le Conseil de prud’hommes en contestation de son licenciement qu’elle juge sans cause réelle et sérieuse.

La Cour de cassation approuve les juges d’appel qui ont constaté que l’employeur n’avait pas respecté le droit du salarié de retrouver son emploi précédent ou à défaut un emploi équivalent :

«  Mais attendu que la cour d’appel a retenu que les nouvelles conditions de travail de la salariée constituaient en réalité une modification de son contrat de travail, impliquant à court ou moyen terme sa participation à des astreintes le dimanche et/ou à des gardes de nuit sur le site de Y, qu’elle était en droit de refuser et que, face au refus de la salariée, la société X lui avait proposé un nouvel emploi d’aide-laboratoire emportant la perte de points d’indice et de revenus ; que la cour d’appel a pu, sans encourir les griefs du moyen, en déduire que l’employeur n’avait pas proposé à la salariée à son retour de congé parental un emploi équivalent à celui qu’elle occupait précédemment ; que le moyen n’est pas fondé ; »

3/ L’emploi proposé ne doit pas comporter de fonctions moins valorisantes (Cour de Cassation chambre sociale 17 mars 2010 n° 08-44127).

Une salariée adjointe de rédaction se voit proposer à son retour de congé parental un emploi qu’elle estime moins valorisant compte tenu de l’obligation de reporter à un salarié ne faisant pas partie de l’encadrement. La salariée prend acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur.

La rupture est requalifiée de licenciement sans cause réelle et sérieuse par la cour d’appel et employeur forme un pourvoi devant la Cour de Cassation qui rejette sa demande en considérant que :

« la cour d’appel, qui a relevé, par une appréciation souveraine des éléments de preuve, que le poste de travail de la salariée ayant été supprimé, il lui avait été proposé par l’employeur un poste comportant des fonctions qui étaient moins valorisantes que les précédentes, ne correspondaient pas à sa classification conventionnelle, et dont elle devait s’acquitter sous le contrôle d’une personne d’un statut inférieur au sien, a pu décider que l’emploi offert n’était pas similaire à celui qu’elle occupait précédemment ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ».

Trois conditions sont retenues par la Cour :

- des fonctions moins valorisantes que les précédentes

- des fonctions qui ne correspondent pas à la classification conventionnelle du salarié

- des fonctions exercées sous le contrôle d’une personne d’un statut inférieur au sien.

4/ La mutation hâtive du salarié est déloyale (Cour de Cassation chambre sociale 12 juillet 2010 n° 08-45516)

Une salariée vendeuse à temps partiel est mutée à son retour de congé parental dans un autre arrondissement, ce qu’elle refuse, elle est alors licenciée pour faute grave et conteste son licenciement qu’elle estime sans cause réelle et sérieuse.

Condamné en appel, l’employeur prétend qu’il appartient au salarié d’établir que cette mutation aurait été opérée de mauvaise foi pour des raisons étrangères à l’intérêt de l’entreprise.

La Cour de cassation approuve la cour d’appel ayant jugé ce licenciement sans cause réelle et sérieuse : le contrat ne comportant pas de clause de mobilité et l’employeur ne s’étant pas suffisamment expliqué sur les motifs de cette mutation :

« Mais attendu que... la cour d’appel, qui a retenu, sans inverser la charge de la preuve, que la société X avait imposé à Mme Y malgré sa situation familiale une mutation rapide et sans explication, par une décision exclusive de la bonne foi contractuelle, a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision ».

Trois critiques sont faites par la Cour à l’encontre de l’employeur qui a :

- imposé une mutation inadéquate à la situation familiale du salarié

- imposé une mutation rapide et sans explication

- pris une décision déloyale.

Ces arrêts confirment une jurisprudence protectrice du salarié.
Cette jurisprudence est en adéquation avec l’esprit de la loi et la volonté du législateur de permettre aux salariés de partir en congé parental sans nuire à leur carrière professionnelle.

Judith Bouhana Avocat spécialiste en droit du travail
www.bouhana-avocats.com

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Discussions en cours :

  • Bonjour,
    Je termine mon congé maternité aujourd’hui lundi 17 novembre 2014. Mi septembre, je suis allée voir mon directeur pour lui indiquer que je souhaitais prendre un congé parental d’éducation, 24h sur 3 jours. Il m’a donné son accord verbal en me demandant de lui adresser ma demande par courrier. J’ai donc envoyé ma demande par LRAR le 24 septembre 2014 en indiquant les jours et horaires souhaités.
    Jeudi 13 novembre 2014, j’ai eu un appel de mon directeur pour me dire qu’il se souvenait vaguement que je lui avais parlé d’un congé parental. Je lui ai répondu que je lui avais adressé un courrier dans ce sens ce à quoi il m’a répondu ne pas l’avoir en sa possession. Je lui ai alors proposé d’envoyer une copie dudit courrier par mail, ce que j’ai fait jeudi après-midi. Il m’a également confirmé par téléphone à cette occasion que je reprenais mercredi à 8h30 tel qu’indiqué dans mon souhait d’horaires (mon congé maternité prend fin le lundi 17, j’ai demandé à ne pas travailler les mardi et jeudi).
    Vendredi dernier, j’ai appris par un collègue que ma demande serait acceptée jusque la fin d’année en me laissant en double avec ma remplaçante car ils sont un peu courts en délai de réponse mais qu’à partir du 1er janvier 2015, ils m’imposeraient d’effectuer 24h sur 5 jours et que si je refusais, ils me dégageaient (ma remplaçante, que j’ai recruté, formé, je suis revenue par deux fois d’AM pathologique pour finir de la former et j’ai répondu de chez moi à toutes ses sollicitations mails et téléphone, fait du très bon travail, a un salaire moins élevé que le mien et est....plus docile, bref, ils préfèreraient la garder plutôt que je ne revienne).
    J’ai 2h de route aller/retour et je me suis organisée avec ma nounou avec laquelle j’ai signé un contrat basé sur l’accord verbal (et l’absence de réponse) de mon directeur.
    Quels sont mes recours et droits ? Ils veulent clairement faire entrave à mon droit d’exercer mon congé parental puisqu’ils savent pertinemment que je vais refuser de venir travailler 5h par jours sachant que j’ai 2h de route. Si je refuse, quelles sont les conséquences ?
    Je vous remercie par avance pour vos aides et conseils.
    Cordialement

    • par Judith Bouhana , Le 25 novembre 2014 à 23:42

      Bonsoir,
      L’envoi de votre lettre recommandée suffit à prouver que votre employeur a bien été informé de votre congé parental d’éducation. Votre courriel est une preuve complémentaire à votre lettre recommandée.
      L’employeur doit faire preuve de bonne foi contractuelle dans les décisions prises à l’égard du salarié de retour de congé parental d’éducation. Toute décision opérée par l’employeur de mauvaise foi pour des raisons étrangères à l’intérêt de l’entreprise est susceptible d’être sanctionnée par les juges. Dès lors je vous suggère de rappeler par lettre recommandée votre demande et faire part à votre employeur de vos contraintes de garde et de temps de trajet pour arguer de votre bonne foi contractuelle à l’appui de votre demande et de solliciter un accord écrit sur vos horaires et jours de travail. Puis en cas de refus de votre employeur, d’en solliciter les raisons et si nécessaire en cas de mauvaise foi avérée et que vous pouvez établir, je vous suggère de saisir sans délai le conseil de prud’hommes de votre différend.

      Judith Bouhana
      Avocat spécialiste en droit du travail.
      www.bouhana-avocats.com

    • par BOZETINE , Le 5 février 2016 à 10:10

      bonjour,

      je me suis tromper sur ma date de retour de congé parental, celle-ci etais prevus au 1 janvier 2016 et moi j’avais indiquer sur mon courier le 11 juin . il y a eu un changement de proprietaire et actuellement des travaux dans la boutique qui est fermer mon nouveau patron ne veu pas me payer avant la date du 11 juin actuellement je n’es plus de revenus que faire ??

    • par Stéphanie , Le 12 septembre 2018 à 09:55

      Bonjour j’ai pris un temps partiel à 86% pour l’éducation de mon fils et je Voudrais savoir combien d’heures supplémentaires j’ai le droit de faire c’est à dire combien peut m’imposer mon patron ? On m’a dit 1/10 de mon temps de travail ce qui ferai 3h/ semaines hors ma direction peine à me le dire donc j’aimerais savoir concrètement svp ? Merci par avance .

    • par Judith Bouhana , Le 14 septembre 2018 à 09:06

      Bonjour,
      il faut vérifier au préalable le contenu de votre convention collective applicable ou de l’accord d’entreprise sur le temps partiel : un accord collectif peut en effet porter le plafond des heures complémentaires à 1/3 de la durée stipulée au contrat. A défaut, c’est en effet la règle du 1/10 qui s’applique.

      Judith Bouhana
      Avocat spécialiste en droit du travail
      Défense des salariés
      www.bouhana-avocats.com

    • par Judith Bouhana , Le 14 septembre 2018 à 09:12

      Bonjour, 2 options sont possibles mais la stratégie reste à affiner en fonction des éléments de votre dossier à faire analyser par un avocat spécialiste en droit du travail : soit démontrer que la date de retour est erronée, ce qui va dépendre du contenu des courriers échangés avec l’employeur, et s’il s’agit d’une 1ère demande de congé parental ou d’un renouvellement …, soit utiliser l’option offerte par l’art. L1225-52 du code du travail à savoir que en cas de diminution importante des ressources du foyer "le salarié a droit […] soit de reprendre son activité initiale, soit d’exercer son activité à temps partiel dans la limite de la durée initialement prévue par le contrat. […] Le salarié adresse une demande motivée à l’employeur un mois au moins avant la date à laquelle il entend bénéficier de ces dispositions".

      Judith Bouhana
      Avocat spécialiste en droit du travail
      Défense des salariés
      www.bouhana-avocats.com

  • Dernière réponse : 14 septembre 2018 à 09:14
    par GUILLOT JESSICA , Le 11 septembre 2017 à 22:19

    Bonjour,
    J’ai fait une demande de congé parental à temps partiel (80%) à mon employeur.
    Celui est OK sur le principe de mon jour chômé (le vendredi) mais nous avons des divergences sur la base horaire hebdomadaire. En effet, j’ai un contrat de travail aujourd’hui sur 37h hebdo et 0.92 jour de RTT par mois.
    Mon employeur me demande aujourd’hui de faire 80% de 37h soit 29h36 en me supprimant les RTT. Il me dit qu’en dessous de 35h, je n’ai plus de RTT.
    Or, en se basant sur 35h, je devrai ne travailler que 28h par semaine... pourquoi cette 1h36 supplémentaire n’amènerait pas une compensation via RTT ou heure supplémentaire ?
    AI-je raison ? Y a-t-il une jurisprudence / un texte de loi le stipulant ?
    Ma convention collective est industrie de l’habillement mais je n’y vois aucune référence...
    Merci de votre aide,
    Bien cordialement,
    Jessica

    • par Julie , Le 13 janvier 2018 à 19:50

      Bonjour,

      je suis moi moi aussi en congés parental à temps partiel 80% mais sans RTT. Je me permets de réagir car dans mon entreprise une amie est elle aussi en CPE à temps partiel 80% et elle garde ses RTT, puisque comme vous l’avez bien souligné vous travaillez 1h36 de plus qu’une personne en 28h (cela est mon cas je suis à 28h par semaine).

      voila je voulais tout simplement vous indiquer que ce que vous soulignez est JUSTE. Au même titre que je garde l’intégralité de mes congés payés (5 semaines).

      cdt

    • par Judith Bouhana , Le 14 septembre 2018 à 09:14

      Bonjour, dès lors que votre durée de travail est inférieure à 35h, il n’y a plus d’heure supplémentaire ou de RTT.Vous avez plutôt intérêt à convenir d’un temps partiel de 28h/ semaine, pour que toute heure accomplie au-delà bénéficie d’une majoration de salaire.

      Judith Bouhana
      Avocat spécialiste en droit du travail
      Défense des salariés
      www.bouhana-avocats.com

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