En effet, suivant l’article L100-3 du CRPA, on entend par « Administration : les administrations de l’Etat, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale ». Cette simple disposition signifie, sauf exception, que les relations URSSAF/cotisants entrent dans le champ d’application du CRPA et lui sont donc soumises.
Or, il n’est pas inutile s’interroger sur le respect de ces dispositions par la jurisprudence. Sur quatre points particuliers (et essentiels), nous constaterons que ces dispositions sont méconnues des praticiens ou que la jurisprudence les ignore gravement.
1. La décision de la Commission de recours amiable se substitue à la mise en demeure.
Les mots ont ici leur importance. On relèvera trois points essentiels :
- D’abord, la mise en demeure, doit être considérée comme une « décision de recouvrement » [1].
- Ensuite, le recours devant la Commission de recours amiable est désormais considéré comme un recours préalable obligatoire (V. article R142-1 inclus dans une section 2 intitulée : « Recours préalable obligatoire », et une sous-section 1 qui dans le décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 était intitulée : « Recours administratif préalable obligatoire mentionné à l’article L142-4 »). C’est en effet l’article L142-4 du Code de la sécurité sociale qui dispose que « les recours contentieux formés dans les matières mentionnées aux articles L142-1, à l’exception du 7°, et L142-3 sont précédés d’un recours préalable, dans des conditions prévues par décret en Conseil d’Etat ».
- Enfin, « la décision prise à la suite d’un recours administratif préalable obligatoire se substitue à la décision initiale » [2].
La situation semble claire et s’interpréter ainsi s’agissant du contentieux applicable en matière de sécurité sociale : la décision de la CRA se substitue et donc, remplace la mise en demeure qui disparaît donc de l’ordre juridique.
Dès lors, on comprend mal (voire pas du tout) la position de maintes cours d’appel suivant laquelle la juridiction judiciaire est dans l’interdiction « se prononcer sur la régularité de la décision de la commission de recours amiable, compte tenu de la nature administrative des décisions qu’elle rend » [3].
En effet, à partir du moment où la décision de la CRA s’est substituée à la mise en demeure, il appartient au juge de se prononcer uniquement sur cette première décision.
Non seulement cette dernière position serait conforme au droit mais, elle permettrait de mettre fin à des situations pratiques sans issue. Ainsi, lorsqu’une CRA donne partiellement gain de cause au cotisant sur un point précis, c’est ce nouveau chiffrage qui est retenu lors du contentieux judiciaire. Le juge judiciaire considère donc parfois que le contenu de la décision de la CRA se substitue à la mise en demeure…Il serait donc nécessaire d’aller jusqu’au bout de cette logique et de considérer que la décision prise sur recours se substitue à la mise en demeure et ce, même lorsque ce recours est rejeté.
2. Le contenu de la décision administrative.
Encore une fois, la mise en demeure est une décision administrative.
Or, suivant l’article L212-1 du CRPA , « toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ». Pour le Conseil d’État, « la présence de ces mentions dans une décision administrative constitue une formalité substantielle, quand bien même cette décision, prise au terme d’un recours préalable obligatoire, se serait substituée à une première décision qui répondait à ces exigences » [4]. Selon M. Vincent Villette, rapporteur public sous la décision du Conseil d’État n° 425796 du 18 décembre 2020, cette mention vise en réalité « à permettre aux administrés d’identifier facilement l’auteur de l’acte, pour qu’ils soient à même de vérifier sa compétence et son impartialité - notamment en cas de contentieux ».
On ne peut donc qu’être étonné, dans ces conditions, de la position de la juridiction judiciaire, sans cesse répétée, suivant laquelle aucun texte ne prévoit une obligation de signature, les dispositions de l’article R244-1 du Code de la sécurité sociale prévoyant seulement que la mise en demeure doit préciser la cause, la nature et le montant des sommes réclamées, les majorations et pénalités qui s’y appliquent ainsi que la période à laquelle elles se rapportent [5].
Ces mêmes remarques peuvent être élargies aux décisions rendues par les commissions de recours amiables puisque, seules ces décisions subsistent dans l’ordonnancement juridique après exercice du RAPO devant la CRA. La jurisprudence administrative applicable en matière d’aide sociale foisonne ainsi de décisions concernant justement le cas des commissions de recours amiables [6].
Sans doute une nouvelle approche de la jurisprudence est elle nécessaire en la matière.
3. La faculté de présenter des observations orales.
C’est un lieu commun d’affirmer que les URSSAF ne recherchent absolument pas le dialogue pendant la procédure appelée (bien à tort) contradictoire ou devant la commission de recours amiable. Faut-il rappeler que pendant les échanges contradictoires, le cotisant n’aura comme seul interlocuteur que l’inspecteur qui a diligenté le contrôle et qui ne changera donc pas d’avis, sauf à lui apporter des éléments nouveaux…Quant à la commission de recours amiable (qui porte très mal son nom), le cotisant n’est même pas invité à s’y présenter afin de défendre son point de vue.
Cette procédure est très confortable pour les organismes de recouvrement qui ne perdent pas de temps en discussion. Elle est en revanche beaucoup plus discutable au niveau juridique.
En effet, suivant l’article L122-1 du CRPA,
« les décisions mentionnées à l’article L211-2 n’interviennent qu’après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. L’administration n’est pas tenue de satisfaire les demandes d’audition abusives, notamment par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique ».
Quant à l’article L211-2, auquel il est fait référence, il vise les décisions qui « infligent une sanction » (rappelons en outre que ces dispositions sont incluses dans un Titre II du livre I du CRPA (intitulé « Les procédures préalables à l’intervention de certaines décisions » [7], avec un article L120-1 suivant lequel « Le présent titre est applicable, outre aux administrations mentionnées au 1° de l’article L100-3… », donc aux URSSAF).
Reste à savoir si les redressements opérés par les organismes de recouvrement constituent des « sanctions ».
La réponse est évidente s’agissant du travail dissimulé avec des majorations de retard prévues à l’article L243-7-7 du Code de la sécurité sociale (« cette majoration revêt le caractère d’une punition » [8].
La réponse peut en revanche paraître moins claire dans le cadre d’un redressement normal de cotisations. Mais, à y regarder de près, les majorations de retard incluses dans chaque redressement, constituent bien une sanction. En effet :
- à la différence des cotisations, les majorations de retard n’ont pas vocation à financer les prestations, mais ont principalement un caractère comminatoire et répressif, destiné à sanctionner et éviter le paiement tardif de l’intégralité des cotisations dues en dehors des délais légaux [9].
- par ailleurs, le cotisant conserve la possibilité de solliciter une remise gracieuse (totale ou partielle) de cette majoration, permettant ainsi aux organismes de moduler la sanction en fonction des agissements du cotisant.
Et comme le résume le même auteur, « l’ensemble de ces arguments plaide donc plutôt en faveur d’une évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation en faveur de la classification des majorations initiales de retard parmi la catégorie des sanctions punitives susceptibles d’être prononcées par l’Urssaf ».
Or, la jurisprudence administrative, constante en la matière, précise qu’en matière de sanction, les dispositions du CRPA : « font obligation à l’autorité administrative de faire droit, en principe, aux demandes d’audition formées par les personnes intéressées en vue de présenter des observations orales, alors même qu’elles auraient déjà présenté des observations écrites. Ce n’est que dans le cas où une telle demande revêtirait un caractère abusif qu’elle peut être écartée » [10].
Qui plus est, l’organisme est tenu de faire droit aux demandes d’audition alors même que l’intéressé aurait déjà présenté des observations écrites [11]. Et bien entendu, dès lors que la présentation d’observations orales constitue une garantie, le non-respect de cette garantie rend la décision irrégulière [12].
Ainsi, il semble bien que le cotisant, dans tous les cas de figure, puisse revendiquer un entretien oral avec l’organisme (en plus des échanges écrits) et ce avant la mise en demeure. Et il appartient aux organismes de se conformer à ces dispositions.
4. La possibilité pour le cotisant de demander les motifs de la décision implicite de rejet par la CRA.
On sait qu’après la saisine de la Commission de recours amiable, deux hypothèses peuvent être retenues :
- Soit le cotisant laisse la commission statuer sur sa réclamation. Dans ce cas, il attendra la notification de la décision ;
- Soit il fera application des dispositions de l’article R142-6 du Code de la Sécurité sociale suivant lequel lorsque la décision du conseil d’administration ou de la commission n’a pas été portée à la connaissance du requérant dans le délai de deux mois, l’intéressé peut considérer sa demande comme rejetée et se pourvoir devant le tribunal. Le délai de deux mois court à compter de la réception de la réclamation par l’organisme de Sécurité sociale. Toutefois, si des documents sont produits par le réclamant après le dépôt de la réclamation, le délai ne court qu’à compter de la réception de ces documents.
Ainsi, le cotisant dispose d’un choix : soit laisser la commission statuer sur son différend, soit accélérer la procédure en saisissant le tribunal en l’absence de décision de la commission un mois après sa saisine.
Mais, ces dispositions doivent désormais être combinées avec l’article L232-4 du CRPA suivant lequel « à la demande de l’intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande ».
En d’autres termes, si le cotisant a fait application de l’article R142-6 susvisé, celui-ci après le délai de deux mois, et « dans les délais du recours contentieux » (deux mois), peut demander les motifs de la décision implicite de rejet. Et ces motifs devront être communiqués dans le mois suivant la demande (et dans cette hypothèse, « le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu’à l’expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués »).
En matière administrative, il est constant que l’absence de réponse à une demande de communication des motifs d’une décision qui devait être motivée entache cette décision d’illégalité [13].
Ainsi, c’est à une nouvelle approche à laquelle le CRPA nous invite. Et nul ne devrait s’en plaindre : ni les cotisant qui voient s’ouvrir devant eux de nouvelles possibilités de contestation, ni les URSSAF qui voient ainsi se renforcer la procédure contradictoire.