Le système du contrôle des structures agricoles, créé par une ordonnance du 27 décembre 1958 relatives aux « cumuls et réunions d’exploitations », puis réformé par les lois d’orientation agricole du 5 août 1960 et du 8 août 1962, a pour objet de réguler l’accès des agriculteurs au foncier agricole. L’objectif initial de ce système de contrôle administratif d’accès aux terres agricoles était d’harmoniser les exploitations agricoles françaises, en favorisant le développement d’exploitation de taille moyenne et en évitant les agrandissements excessifs. Depuis la réforme de 2014, les deux principaux objectifs de ce contrôle des structures sont, d’une part, d’éviter les concentrations de terres agricoles, et d’autre part, de favoriser l’installation de nouveaux agriculteurs [1].
Le contrôle des structures se traduit par une obligation pesant, dans un certain nombre de cas, sur les agriculteurs qui souhaitent mettre en valeur de nouvelles terres, dans le cadre d’une installation ou d’un agrandissement, de solliciter une autorisation d’exploiter ces terres. Dans la plupart des cas, il ne suffit pas de conclure un bail rural ou de devenir propriétaire de terres agricoles pour pouvoir les exploiter : encore faut-il, préalablement, obtenir l’autorisation de les exploiter.
Cette autorisation d’exploiter est une autorisation administrative délivrée par le préfet de région, après avis de la commission départementale d’orientation de l’agriculture (CDOA). Elle ne concerne que la mise en valeur des terres agricoles, c’est-à-dire, leur exploitation. Elle ne doit pas être confondue avec les décisions de préemption prises par les SAFER dans le cadre des opérations d’achat ou de vente de terres agricoles.
La procédure d’attribution des autorisations d’exploiter est régie par les dispositions des articles L331-1 et suivants et R331-1 et suivants du Code rural et de la pêche maritime. Ce dispositif a été assez profondément modifié par la loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (dite « loi LAAAF »), qui a eu principalement pour objet de « sécuriser juridiquement le contrôle des structures ». Les conditions de mise en œuvre du contrôle des structures sont précisées, au niveau régional, par les schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles (SDREA).
Cette étude, principalement destinée aux agriculteurs et aux propriétaires fonciers, a pour objectif de présenter le mécanisme du contrôle des structures, dans une perspective résolument pratique. Après avoir rappelé les cas dans lesquels l’autorisation d’exploiter devait être sollicitée (1.), nous évoquerons successivement la procédure d’autorisation d’exploiter (2.), les voies de recours disponibles (3.) et plus brièvement, les risques juridiques encourus en cas de manquements au contrôle des structures (4.).
1. Dans quels cas une autorisation d’exploiter doit-elle être sollicitée ?
Le contrôle des structures concerne, en application de l’article L331-2 du Code rural et de la pêche maritime, les opérations d’installation, d’agrandissement ou de réunion d’exploitations. Le champ de ce contrôle, qui est large, repose essentiellement sur des seuils de surface, mais également sur un seuil de distance. Il s’étend par ailleurs à certaines opérations en fonction de leurs conséquences ou de la situation du demandeur.
Premier cas : l’autorisation d’exploiter justifiée par la surface exploitée.
Le contrôle des structures repose, principalement, sur un critère de surface : sont soumises à autorisation d’exploiter les opérations d’installation, d’agrandissement ou de réunion d’exploitations, lorsque la surface exploitée à l’issue de l’opération excède les seuils de surface fixés, au niveau régional, par le SDREA.
Ainsi, ce seuil de déclenchement du contrôle des structures, à partir duquel une autorisation d’exploiter doit être sollicitée, est actuellement fixé à 38 hectares (ha) en Bretagne (depuis le 1ᵉʳ janvier 2024), à 45 ha dans les Pays-de-la-Loire, à 59 ha en Auvergne-Rhône-Alpes, entre 55 et 95 ha en Occitanie (depuis le 15 juin 2024), à 70 ha en Normandie, à 45 ou 70 ha en Nouvelle-Aquitaine (depuis le 8 septembre 2023), à 110 ha en Centre-Val-de-Loire, ou encore, entre 75 et 140 ha en Bourgogne-Franche-Comté.
Des équivalences sont fixées par les SDREA pour les ateliers de production hors sol et pour certaines productions animales (ateliers naisseurs, volailles, lapins, porcs…) ou végétales (cultures maraichères, horticulture, pépinières, plantes aromatiques…). Dans ces situations, le seuil de contrôle est abaissé.
Deuxième cas : l’autorisation d’exploiter justifiée par les conséquences de l’opération.
Quelle que soit la superficie en cause, et même en deçà de ces seuils de surface, une autorisation d’exploiter doit également être sollicitée lorsque l’opération (installation, agrandissement ou réunion d’exploitations) a pour conséquence :
- de supprimer une exploitation de taille moyenne, d’une surface supérieure au seuil de contrôle ;
- ou de priver une exploitation agricole « d’un bâtiment essentiel à son fonctionnement ».
Troisième cas : l’autorisation d’exploiter justifiée par la situation du demandeur.
Quelle que soit également la superficie en cause, une autorisation d’exploiter doit encore être demandée dans trois autres cas, liés à la situation de l’exploitant demandeur :
- si l’opération (installation, agrandissement ou réunion d’exploitations) bénéficie à une exploitation agricole ne comportant pas d’associé exploitant,
- si elle bénéficie à une exploitation comprenant un exploitant ne remplissant pas les conditions de capacité ou d’expérience professionnelle requises,
- ou encore, si elle bénéficie à un exploitant pluriactif ayant un revenu extra-agricole supérieur à 3 120 fois le Smic horaire (soit 37 065,60 euros brut en 2024).
Les SDREA peuvent également imposer une autorisation d’exploiter lorsque les agrandissements ou réunion d’exploitations concernent des terres situées à une certaine distance du siège d’exploitation. Ce seuil de distance est également très variable entre les régions puisqu’il est actuellement fixé à 2,5 km en Bretagne, à 10 km en Normandie et en Pays-de-la-Loire, ou encore à 10 ou 30 km en Nouvelle-Aquitaine.
Quatrième cas : la déclaration d’exploiter (dérogation).
Par dérogation, une simple déclaration préalable d’exploiter peut être adressée au préfet, « lorsque le bien agricole à mettre en valeur est reçu par donation, location, vente ou succession d’un parent ou allié jusqu’au troisième degré inclus » et que quatre conditions cumulatives sont remplies :
- le déclarant satisfait aux conditions de capacité ou d’expérience professionnelle requises ;
- les terres agricoles sont libres de location ;
- ces terres sont des terres familiales, détenues par un parent ou allié depuis au moins 9 ans ;
- ces terres sont destinées à l’installation d’un nouvel agriculteur ou à la consolidation de l’exploitation du déclarant.
Ce système simplifié de déclaration préalable a vocation à favoriser la transmission d’exploitations familiales aux enfants, aux cousins et aux neveux et nièces.
Cinquième cas : l’absence de formalités préalables.
En dehors des cas qui viennent d’être mentionnés, c’est-à-dire dans le cas d’opération portant sur des surfaces inférieures au seuil de contrôle, ne conduisant pas à supprimer une exploitation agricole, bénéficiant à un agriculteur à titre exclusif ou principal qui satisfait aux conditions de capacité et d’expérience professionnelle, aucune autorisation d’exploiter n’est nécessaire.
Il n’est pas inutile de rappeler que le contrôle des structures ne s’applique qu’aux exploitations agricoles [2]. La mise en valeur de terres agricoles dans le cadre d’une simple activité agricole « de loisir », non professionnelle, ne donnant lieu à la perception d’aucun revenu, n’est pas non plus soumise à autorisation d’exploiter.
En cas de doute, il est toujours possible de demander à la DDT(M) si une opération envisagée relève du contrôle des structures [3]. L’administration doit alors prendre position dans un délai de 3 mois [4].
2. Comment l’autorisation d’exploiter peut-elle être obtenue ?
Les autorisations d’exploiter sont délivrées (ou refusées) par le préfet de région, à l’issue d’une procédure administrative qui dure habituellement de quatre à six mois.
Le dépôt de la demande d’autorisation d’exploiter.
Lorsqu’un agriculteur souhaite exploiter des terres, il doit adresser un dossier de demande aux services préfectoraux. Si la décision finale est prise par le préfet de Région, les dossiers doivent en principe être adressés aux directions départementales des territoires (et de la mer), les DDT(M). Un accusé de réception est adressé au demandeur.
En pratique, cette demande d’autorisation d’exploiter peut être déposée soit par l’envoi à la DDT(M) du formulaire de demande (et de ses annexes), soit par l’outil de téléprocédure « logics », qui permet de faire la demande en ligne [5].
En parallèle, s’il n’est pas propriétaire des terres agricoles concernées, le demandeur doit informer par écrit le propriétaire de sa candidature. Le propriétaire n’a pas à y répondre.
La publicité de la demande d’autorisation d’exploiter.
Les demandes d’autorisation d’exploiter font ensuite l’objet d’une publicité, qui est assurée par le service instructeur [6]. La liste des demandes d’autorisation d’exploiter est publiée sur le site de la préfecture, pendant une durée de deux mois. Ces demandes d’autorisation d’exploiter doivent par ailleurs être affichées en mairie pendant un mois [7].
L’avis de la CDOA.
Dans le cadre de l’instruction des demandes, la commission départementale d’orientation de l’agriculture (CDAO) doit être saisie et rendre un avis sur les candidatures lorsqu’un refus d’autorisation d’exploiter est susceptible d’être opposé [8]. S’il n’y a qu’une seule candidature, la CDOA n’est donc généralement pas consultée.
Le propriétaire doit être informé de la date d’examen des demandes par le CDOA [9] et doit être mis en mesure de présenter des observations écrites devant la CDOA [10].
La délivrance de l’autorisation d’exploiter.
Après la phase de publicité et l’avis éventuel de la CDOA, la décision d’autorisation d’exploiter, ou de refus d’autorisation d’exploiter, est prise par le préfet de région.
Le préfet doit statuer sur les demandes dans un délai de 4 mois [11]. Ce délai peut être prorogé à 6 mois par décision motivée. À défaut de notification d’une décision dans ce délai, l’autorisation « est réputée accordée ». Cela signifie que si le préfet n’a pris aucune décision dans ce délai de 4 ou 6 mois, le demandeur bénéficie d’une autorisation d’exploiter tacite.
La décision doit, dans tous les cas, être motivée, en tenant compte des orientations et des rangs de priorité fixés, au niveau régional, par le SDREA.
Les cas dans lesquels un refus d’autorisation d’exploiter peut être opposé par le préfet sont désormais (depuis 2014) fixés à l’article L331-3-1 du CRPM.
Cet article prévoit que ce refus d’autorisation d’exploiter peut être fondé sur quatre motifs, limitativement énumérés :
1. lorsqu’il existe un candidat à la reprise ou un preneur en place répondant à un rang de priorité supérieur (au regard des priorités et sous-priorités fixées par le SDREA) ;
2. lorsque l’opération « compromet la viabilité de l’exploitation du preneur en place » ;
3. lorsque l’opération conduit à une agrandissement excessif ou à une concentration d’exploitations excessive, au bénéfice d’une même personne ;
4. lorsque l’opération conduit à une réduction du nombre d’emplois agricoles sur les exploitations concernées.
Sur le premier point, le Conseil d’État a récemment précisé que l’autorisation d’exploiter devait en principe être accordée au(x) candidat(s) le(s) plus prioritaire(s), mais qu’« il peut toutefois délivrer une autorisation concurrente à une demande de rang inférieur si l’intérêt général ou des circonstances particulières, en rapport avec les objectifs du schéma directeur, le justifient » [12].
La durée de validité de l’autorisation d’exploiter.
Il importe de préciser que, lorsque les terres sont libres d’occupation, l’autorisation d’exploiter devient caduque si le fonds n’a pas été mis en culture « avant l’expiration de l’année culturale qui suit la date de sa notification » [13]. Autrement dit, le bénéficiaire de l’autorisation d’exploiter dispose d’un délai d’un an pour exploiter le fonds. Passé ce délai, il « perd » son autorisation d’exploiter.
En revanche, une fois que l’agriculteur dispose d’une autorisation d’exploiter et met en valeur le fonds concerné, il conserve cette autorisation sans limite de temps.
3. Quels sont les recours contre les décisions préfectorales d’autorisation ou de refus d’autorisation d’exploiter ?
Les décisions du préfet de région accordant ou refusant une autorisation d’exploiter peuvent faire l’objet, dans un délai de deux mois :
- d’un recours gracieux adressé au préfet de région [14] ;
- d’un recours contentieux devant le tribunal administratif territorialement compétent.
S’agissant de l’intérêt à agir, les candidats (agriculteurs) sont toujours recevables à contester les décisions de refus d’autorisation d’exploiter et les autorisations d’exploiter accordées à d’autres candidats concurrents.
L’intérêt à agir des propriétaires est plus discuté. En l’état actuel de la jurisprudence, qui pourrait encore évoluer, le juge administratif considère que les propriétaires sont recevables à contester les autorisations d’exploiter délivrées, mais non les refus d’autorisation d’exploiter opposées à des tiers [15].
Le recours formé devant le tribunal administratif contre un arrêté préfectoral d’autorisation ou de refus d’autorisation d’exploiter est un recours pour excès de pouvoir. Il est possible de demander l’annulation de l’arrêté préfectoral contesté, et à titre subsidiaire, en cas de refus, qu’il soit enjoint au préfet de région de réexaminer la demande d’autorisation d’exploiter.
Dans le cadre d’un tel recours, il est nécessaire de développer des arguments (les « moyens »). Il peut s’agit de moyens critiquant la régularité externe de la décision (irrégularité de la procédure, insuffisance de motivation…) ou de moyens contestant la légalité interne de la décision (erreur d’appréciation des critères de priorité du SDREA…).
4. Quelles sont les conséquences d’un manquement au contrôle des structures ?
Les conséquences d’un manquement à la législation relative au contrôle des structures peuvent être de plusieurs ordres.
Sur le plan administratif, s’il est constaté qu’un agriculteur exploite un fonds sans avoir obtenu d’autorisation d’exploiter ou malgré un refus d’autorisation d’exploiter, les services préfectoraux peuvent le mettre en demeure soit de présenter une demande d’autorisation, soit, si une décision de refus d’autorisation est intervenue, de cesser l’exploitation des terres concernées [16].
Si la mise en demeure est restée sans effet, et que l’agriculteur continue d’exploiter les terres en litige, le préfet peut prononcer à son encontre une sanction financière, d’un montant compris entre 304,90 et 914,70 euros par hectare [17]. Le cas échéant, cette sanction administrative peut elle-même être contestée devant le tribunal administratif.
En outre, l’agriculteur en infraction peut être privé des aides agricoles (DPB, MAEC, ICHN…) qui lui avaient été accordées au titre de la campagne en cause [18].
Sur le plan civil, si l’agriculteur qui n’avait pas sollicité d’autorisation d’exploiter ou qui s’était vu opposer un refus d’autorisation d’exploiter était titulaire d’un bail rural, ce bail peut être déclaré nul, en application de l’article L331-6 du Code rural et de la pêche maritime.
Le régime du contrôle des structures tend, selon un mouvement malheureusement assez général, à se complexifier. Pour répondre à des objectifs et orientations multiples, et parfois contradictoires (favoriser l’installation, améliorer la structure parcellaire des exploitations, favoriser les exploitations viables, prioriser les systèmes de production agrobiologiques…), les SDREA ont tendance à multiplier les rangs de priorité, et au sein de ces rangs de priorité, les sous-critères de départage, tout en aménageant nombre d’exceptions.
Dans ce contexte, il peut être utile, selon les enjeux, de solliciter un accompagnement pour constituer un dossier de demande d’autorisation d’exploiter, mais aussi, de bénéficier de conseils techniques et juridiques avisés. Car comme le rappelle le dicton, une personne avertie en vaut deux !
Discussion en cours :
Un article clair sur un sujet ardu, comme souvent en droit rural et règlementations agricoles, avec les informations essentielles (surfaces visées) qui ont été recherchées par région.
Bravo confrère