Avant de voir les nouveautés apportées par cet arrêt du 9 janvier 2025, reprenons les bases.
Les conditions antérieures de recours à la procédure sans publicité ni mise en concurrence - Droits d’exclusivité.
Les dispositions textuelles actuelles identifient deux conditions de recours à la procédure sans publicité ni mise en concurrence :
D’une part, il faut qu’il y ait des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité liées à l’objet du marché.
D’autre part, il faut que ces raisons rendent absolument nécessaire l’octroi du marché à un opérateur économique déterminé.
Article R2122-3 du Code de la commande publique :
« L’acheteur peut passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables lorsque les travaux, fournitures ou services ne peuvent être fournis que par un opérateur économique déterminé, pour l’une des raisons suivantes :
1° Le marché a pour objet la création ou l’acquisition d’une œuvre d’art ou d’une performance artistique unique ;
2° Des raisons techniques. Tel est notamment le cas lors de l’acquisition ou de la location d’une partie minoritaire et indissociable d’un immeuble à construire assortie de travaux répondant aux besoins de l’acheteur qui ne peuvent être réalisés par un autre opérateur économique que celui en charge des travaux de réalisation de la partie principale de l’immeuble à construire ;
3° L’existence de droits d’exclusivité, notamment de droits de propriété intellectuelle.
Le recours à un opérateur déterminé dans les cas mentionnés aux 2° et 3° n’est justifié que lorsqu’il n’existe aucune solution de remplacement raisonnable et que l’absence de concurrence ne résulte pas d’une restriction artificielle des caractéristiques du marché. »
Ainsi, spécifiquement pour la 3ᵉ hypothèse, il ne suffit qu’il y ait un droit d’exclusivité, encore faut-il que ce droit impose le recours au prestataire détenant ce droit.
On vise ici les cas dans lesquels le prestataire initial dispose d’un droit interdisant toute intervention extérieure pour de la maintenance, l’ajout de nouvelles fonctionnalités, le développement d’un connecteur pour interfacer la solution avec d’autres outils...
L’intervention d’un prestataire extérieur violerait le droit détenu par le prestataire initial.
Antérieurement, nous avions donc notre justification pour recourir à notre procédure dérogatoire (I.E. dérogatoire dans la mesure où le principe édicté par les directives européennes, reprises par le Code de la commande publique, érigent la mise en concurrence comme principe).
Depuis le 9 janvier 2025, cela ne suffit plus. Pour la CJUE, il ne faut pas que la création ou le maintien de cette situation d’exclusivité soit imputable à la personne publique :
« Un pouvoir adjudicateur est tenu de faire tout ce qui est susceptible d’être raisonnablement attendu de lui pour éviter l’application de l’article 31, point 1, sous b), de la directive 2004/18, et ce afin de recourir à une procédure plus ouverte à la concurrence.
Or, il serait incompatible avec cette exigence de permettre à un tel pouvoir adjudicateur d’appliquer cette disposition alors que la création ou le maintien de la situation d’exclusivité qu’il invoque à cet effet lui est imputable »
Les conditions actuelles de recours à la procédure sans publicité ni mise en concurrence - Droits d’exclusivité.
Actuellement le recours à une procédure sans publicité ni mise en concurrence est à justifier comme suit :
Démontrer qu’il existe des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité liées à l’objet du marché.
Démontrer que ces raisons rendent absolument nécessaire l’octroi du marché à un opérateur économique déterminé.
Démontrer que l’existence des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité liées à l’objet du marché ne soient pas imputables à la personne publique
La CJUE livre tout de même quelques indices permettant de savoir si l’existence des droits d’exclusivité sont imputables à la personne publique ; il faut analyser les circonstances de droit et de faits entourant le "premier contrat" et celles entourant la conclusion du contrat passé sous exclusivité :
« 39 Eu égard aux motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 31, point 1, sous b), de la directive 2004/18 doit être interprété en ce sens que, pour justifier le recours à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché, au sens de cette disposition, le pouvoir adjudicateur ne peut invoquer la protection de droits d’exclusivité lorsque la raison d’une telle protection lui est imputable.
Une telle imputabilité s’apprécie sur la base non seulement des circonstances de fait et de droit entourant la conclusion d’un contrat portant sur une première prestation, mais également de toutes celles qui caractérisent la période allant de la date de cette conclusion à celle à laquelle le pouvoir adjudicateur choisit la procédure à suivre pour la passation d’un marché public subséquent ».
Deux éléments sont alors ici avancés pour caractériser l’imputabilité :
Le fait que la personne publique n’avait pas besoin de générer la situation d’exclusivité.
Le fait que la personne publique disposait de moyens réels et raisonnables du point de vue économique pour mettre fin à une telle situation.
En cela, la CJUE sanctionne les pouvoirs adjudicateurs qui, dès l’origine, pouvaient prévoir dans leur marché une cession des droits, la possibilité d’une intervention ultérieure d’une autre entreprise, ou encore le choix d’une solution non ouverte.
Et lorsque seul un prestataire existe sur le marché, la CJUE sanctionne le recours à la procédure sans publicité ni en concurrence du fait que le pouvoir adjudicateur ait eu un temps suffisamment long, et dispose de suffisamment de capacité économique pour changer de solution informatique ; mettant ainsi fin à la situation d’exclusivité.
Pour le dire autrement, une situation d’exclusivité est imputable à la personne lorsque :
Plusieurs prestataires peuvent fournir une solution informatique mais la personne publique, dans son cahier des charges, s’enferme dans une situation comportant un droit d’exclusivité.
La personne publique disposait de suffisamment de temps et moyens financiers, depuis le marché initial, pour changer sa solution informatique et ainsi mettre fin à la situation d’exclusivité. (Dans le cas d’espèce, la CJUE relève que plus de 20 ans sont passés ; laissant un temps suffisamment long pour changer de solution.
Fort de cette nouvelle décision, le recours à votre procédure d’exclusivité est-il justifié ?
Indépendamment de la réponse à cette question, et pour les marchés à venir, je ne saurai que trop vous conseiller d’imposer que la maintenance doive pouvoir être réalisée par toute entreprise, une cession des droits de propriété intellectuelle, ou encore choisir une solution ouverte...
Quand on sait ce qu’investissent les personnes publiques dans les systèmes d’informations, l’avenir n’est pas à la réduction des dépenses...