La Cour d’appel de Besançon est amenée à statuer sur un litige opposant la maîtrise d’œuvre et la maîtrise d’ouvrage et, aux termes de son arrêt du 21 mars 2017, juge notamment irrecevable la demande de dommages et intérêts de l’architecte comme nouvelle en cause d’appel pour n’avoir pas été soumise aux premiers juges. L’architecte se pourvoit en cassation et si ses moyens relatifs aux modes de preuve sont écartés, celui faisant grief à la cour d’avoir estimé irrecevable sa demande d’indemnisation du préjudice personnel professionnel présentée pour la première fois en appel ne pouvait que retenir l’attention de la Haute juridiction.
Pour le demandeur au pourvoi, cette demande ne pouvait être jugée irrecevable puisqu’il s’agissait du complément de ses demandes relatives à la réparation des préjudices matériel et moral résultant du défaut de paiement de ses honoraires. Au visa des articles 565 et 566 du code de procédure civile, la troisième chambre civile casse sur ce point l’arrêt de la cour de Besançon puisque « cette demande tendait aux mêmes fins que les demandes tendant à la réparation des préjudices matériel et moral résultant du défaut de paiement des honoraires ».
Il est encore étonnant de voir combien d’arrêts de censure sont rendus chaque année par la Cour de cassation sur la question des demandes nouvelles en cause d’appel tant la règle posée par les articles 565 et 566 du code civil a été rappelée, et c’est peut-être en partie pour cela que cet arrêt de la troisième chambre civile est destiné à la plus large diffusion. Si l’article 564 pose le principe qu’ "à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.", les exceptions – pour lesquelles les textes ont été très peu modifiés par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 – viennent immédiatement après : « Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent » (C. pr. civ., art. 565) et "Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire". (C. pr. civ., art. 566).
Ce n’est donc pas l’abandon des demandes « virtuellement comprises dans les demandes et défenses » avec le ledit décret qui change fondamentalement les choses et le praticien sera plus alerté par le nouveau principe de concentration des prétentions, dès le premier jeu de conclusions, imposé par l’article 910-4 du Code de procédure civile s’il veut préserver une possibilité de présenter une demande accessoire ou complémentaire à une demande originelle.
Si la prétention pour la première fois avancée en appel se rattache donc, selon les conditions susvisées, aux demandes initiales présentées en première instance, la demande présentée devant la cour n’est pas nouvelle en cause d’appel. Dresser une liste d’exemples ressemblerait presque à un inventaire à la Prévert tant la Cour de cassation ne cesse, d’années en années, de rappeler le droit applicable dans les situations les plus diverses. Il suffit de lire les hypothèses visées sous les articles 565 et suivants pour en avoir une première idée. L’élévation du quantum de la demande entre la première instance et l’appel ne constitue ainsi pas une prétention nouvelle, la demande restant bien évidemment la même. La demande pour la première fois en appel que les sommes allouées soient assorties de frais d’agios, d’intérêts ou d’une capitalisation n’est pas plus nouvelle mais une prétention accessoire, complémentaire. Tout comme la demande d’indemnité d’éviction est l’accessoire de l’indemnité d’expropriation, la demande d’indemnité d’occupation est l’accessoire d’une demande de résiliation de bail et d’expulsion. L’action en nullité de la vente tend pour sa part aux mêmes fins que la demande derésolution initiée en première instance.
Aussi, le fait originaire (la faute médicale, l’accident, le sinistre, la rupture du contrat...) permet, presque systématiquement, de raccrocher l’ensemble des prétentions, à première vue nouvelles, comme un accessoire, une conséquence ou un complément nécessaire. Dans une hypothèse tout à fait transposable à d’autres contentieux, la deuxième chambre civile a ainsi censuré une cour d’appel pour avoir jugé irrecevables les demandes d’une victime relatives à sa perte de revenus et à son préjudice d’affection non soumis au premier juge alors que de telles demandes présentaient le même fondement que les demandes initiales et poursuivaient la même fin indemnitaire du préjudice résultant de l’accident. [1]
En réalité, et ce qui ne résulte pas des textes, le critère d’analyse de la demande nouvelle est plutôt celui de la contradiction entre les demandes formulées en première instance et en appel. Les demandes de nullité ou de résolution contractuelle présentées en première instance s’accordent mal avec celles en exécution du contrat en appel et celles-ci apparaissent nouvelles comme ne poursuivant pas la même fin, sans pouvoir non plus être qualifiées d’accessoire, de conséquence ou de complément. Et s’il n’y a pas de contradiction visible, attention tout de même à observer que la demande est bien présentée contre la même partie et sous la même qualité. Ainsi, sont irrecevables comme nouvelles en cause d’appel les demandes formulées contre un assureur pris en sa qualité d’assureur non réalisateur (CNR) lorsque deux polices ont été souscrites, que cet assureur a été assigné en sa qualité d’assureur dommages-ouvrage et qu’en première instance, aucune demande n’a été formée contre lui en qualité d’assureur CNR [2]. Le piège de la demande nouvelle n’est donc pas forcément là où on l’attend.
Rappelons enfin, tant l’on trouve de décisions en sens contraires, que ne sont pas nouvelles en cause d’appel les prétentions présentées par une partie qui n’avait pas comparu en première instance. Si, non comparante, elle n’a pas présenté de demandes en première instance, les prétentions présentées pour la première fois en appel ne peuvent être, par définition, considérées comme nouvelles, sauf à nier le droit même de cette partie à relever appel.
Article paru initialement sur Dalloz Actualité.