Les environnements économiques et juridiques connaissent désormais très bien la notion de « rupture brutale des relations commerciales établies » et manient l’usage de ce mécanisme à la perfection. Si ce comportement susceptible de sanctions civiles est apparu à l’origine afin de lutter contre les effets pervers du pouvoir des grands groupes dotés d’une puissance économique redoutable dans le domaine de la grande distribution (loi Galland du 1er juillet 1996) ; le législateur et les tribunaux l’ont très vite adapté et ont étendu son champ d’application. Ainsi la loi NRE du 15 mai 2001 et les lois du 3 janvier 2003 et 2 août 2005 sont venues élargir la matière à laquelle la notion s’applique et ont édicté l’obligation de loyauté telle qu’exposée supra.
Ainsi, à la lecture de l’article L.442-6, I, 5 du Code de commerce, et de la notion de « rupture brutale des relations commerciales établies » à laquelle il fait référence, il est possible d’identifier trois critères cumulatifs composant de manière impérative ce délit civil.
I) Des relations commerciales doivent exister
Le législateur se veut très peu prolixe au sujet de ce critère et il est possible d’entendre par l’existence de relations commerciales, l’ensemble des relations commerciales susceptibles d’exister entre deux professionnels. La jurisprudence a permis de faire la lumière sur la notion et continue encore aujourd’hui d’être l’un des premiers vecteurs d’évolution de son champ d’application. Ainsi, la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 18 mai 2010 nous apprenait que le professionnel à l’origine de la rupture peut être toute personne morale inscrite au répertoire des métiers, tout commerçant ou industriel ; alors que le professionnel victime de cette rupture abusive peut demander en justice l’application du texte de référence, et ce, quel que soit son statut.
II) Les relations commerciales doivent être « établies »
Sur ce critère, la jurisprudence joue une fois encore un rôle déterminant. Ainsi, il apparait par exemple que le délit civil est applicable indifféremment aux relations contractuelles à durée déterminée ou indéterminée. Il faut également souligner que la chambre commerciale de la Cour de cassation a rappelé en 2008, qu’il est nécessaire de prendre en considération l’intégralité de la relation commerciale entre les deux professionnels, et non pas seulement le dernier engagement, pouvant être de courte durée, mais s’inscrivant dans une relation de longue date. C’est justement le critère de stabilité qui permet de déterminer si la relation commerciale peut être considérée comme « établie » ou non, et cela en plus du critère d’intensité de la relation, comme par exemple le cas d’un professionnel qui réaliserait l’essentiel de son activité et donc de son chiffre d’affaires dans le cadre de cette relation commerciale.
III) Les relations commerciales doivent être totalement et brutalement rompues
Même si dans certaines circonstances, le Code de commerce admet la possibilité d’appliquer la notion à une rupture simplement partielle, il demeure que la rupture brutale sera essentiellement caractérisée dans les hypothèses de ruptures totales.
En plus d’une rupture totale, il faut que celle-ci soit brutale, c’est-à-dire totalement inattendue et immédiate. Dès lors, l’absence de respect d’un préavis convenable au regard du lien d’ancienneté caractérisant les relations commerciales permet d’établir le caractère brutal de la rupture.
IV) L’application de la notion aux relations entre la banque et son client personne morale
Dans un arrêt récent en date du 25 octobre 2017, la chambre commerciale semble faire une application singulière de la notion aux relations entre une banque et son client personne morale.
Dans cette affaire, une société confrontée à des difficultés financières avait demandé à sa banque le renouvellement de ligne de crédits, qu’elle lui accordait depuis plusieurs années. La banque avait accepté sous certaines conditions et notamment sous réserve de la fourniture de certains documents. La dernière prolongation des concours financiers était accordée pour une durée d’un mois. La banque avait averti la société qu’au terme de cette période d’un mois, elle se réservait le droit de réduire ses niveaux d’engagement mais pas de supprimer les lignes de crédit.
La banque a rejeté et ce sans avertissement et quelques jours avant l’expiration du délai d’un mois, une lettre de change-relevée tirée sur la société dont l’échéance était elle-même fixée avant la fin du délai d’un mois.
C’est alors que les représentants de la société ont assigné la banque en rupture brutale des relations commerciales établies sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5 du Code de commerce. Déboutés par les juges du fond, la Cour de cassation est venue approuver leur position et cela en se basant sur trois considérants tout à fait novateurs.
Dans un premier temps, elle tire de l’ambiguïté des termes des courriers échangés entre la société et la banque, une solution avantageuse pour la banque, puisqu’elle considère qu’il est possible de voir dans le positionnement de cette dernière, non pas une modification des modalités des concours bancaires mais tout simplement une substitution de ceux-ci qui étaient à durée indéterminée par des concours à durée déterminée. Ainsi le non renouvellement ne relève pas selon la cour d’une rupture brutale mais simplement de la survenance du terme sans avoir à respecter un préavis.
Ce premier argument est déstabilisant dans la mesure où il semble être en rupture avec la jurisprudence antérieure qui considérait jusqu’alors qu’il ne devait pas être fait de différence entre les relations commerciales à durée déterminée et indéterminée. Ainsi, il parait étrange que l’intégralité de la relation commerciale entre la société et la banque n’ait pas été prise en compte. La stabilité de la relation était établie dans ce cas d’espèce. La chambre commerciale ferait elle une application différente de la règle et de sa jurisprudence parce que la société était en situation de redressement judiciaire ? Ceci semble difficilement envisageable dans la mesure où à ce stade d’une telle procédure, les concours financiers de la banque sont essentiels à son redressement, et remplissent à part entière le critère d’intensité de la relation.
Dans un second temps, elle estime que l’octroi de concours financiers est une décision discrétionnaire de la part de la banque, qui, en décidant de renouveler à durée déterminée des concours bancaires précédemment octroyés à durée indéterminée et résiliés en respectant un délai de préavis, n’était pas de nature à constituer une promesse de reconduction du crédit.
Si le raisonnement de la cour semble logique en théorie, il n’en demeure pas moins en discordance avec son positionnement habituel en la matière. La notion de durée qui logiquement n’est pas décisive dans la mesure où c’est la relation commerciale globale qu’il faut considérer, semble ici revêtir une importance majeure voir prépondérante. Si la banque avait décidé de mettre fin aux concours à durée indéterminée, pourquoi a-t-elle décidée d’octroyer de nouveaux concours à durée déterminée, et ce, à la suite de cette résiliation, si ce n’est pour éviter de se voir opposer les dispositions de l’article L. 442-6, I, 5 du Code de commerce en cas de rupture d’octroi de ligne de crédits ?
Dans un troisième temps, et pour définitivement exclure toute interprétation de sa décision, elle considère que les dispositions de l’article L. 442-6, I, 5 ne s’appliquent pas à la rupture ou au non renouvellement de crédits consentis par une banque à une entreprise, puisque ces opérations relèvent des dispositions du code monétaire financier.
En effet, sur les opérations de crédits au sens strict, nous comprenons la chambre commerciale, mais au regard des relations d’une banque envers son client qui ne peuvent être qualifiées que de « commerciales », nous assistons à un détournement de l’application de la notion au profit de l’établissement financier.