Il est vrai que la question méritait d’être posée : le décès de la victime directe est-il la condition sine qua non de l’indemnisation du préjudice d’angoisse de mort imminente ?
La 2ᵉ chambre civile de la Cour de cassation, peu encline à la reconnaissance de l’autonomie du préjudice, a eu à se prononcer sur la question et sa réponse est pour le moins ... peu claire.
Il suffit de reprendre l’attendu de principe posé par la 2ᵉ chambre civile pour en faire le constat.
Celle-ci indique effectivement que :
"A compter de la survenance du fait dommageable, la victime d’une atteinte corporelle ou d’une menace d’atteinte corporelle suffisamment graves pour qu’elle envisage légitimement l’imminence de sa propre mort, subit un préjudice spécifique".
Jusqu’ici tout va bien ! La 2ᵉ chambre civile ne faisant finalement qu’appliquer la jurisprudence rendue par la chambre mixte qui a reconnu le caractère autonome de l’indemnisation du préjudice d’angoisse de mort imminente, qui n’est donc pas en principe à inclure dans les souffrances endurées [1].
La 2ᵉ chambre civile poursuit :
"Dans le cas où la victime a survécu, ce préjudice se réalise dès qu’elle a conscience de la gravité de la situation et tant qu’elle n’est pas en mesure d’envisager raisonnablement qu’elle pourrait survivre".
On pourrait ainsi croire à la reconnaissance du préjudice d’angoisse de mort imminente même en cas de survie de la victime mais la cour indique ensuite que :
"Ce préjudice d’angoisse de mort imminente en cas de survie se rattache au poste des souffrances endurées, qui indemnise toutes les souffrances physiques et psychiques, quelles que soient leur nature et leur intensité, ainsi que les troubles associés qu’endure la victime à compter du fait dommageable et jusqu’à la consolidation de son état de santé".
Il ne s’agirait donc pas réellement d’un préjudice d’angoisse de mort imminente autonome, mais une composante des souffrances endurées. La Cour de cassation ne précise toutefois pas à quel titre et de quelle manière la prise en compte de ce préjudice d’angoisse, au titre des souffrances endurées, doit être effectuée.
La 2ᵉ chambre civile ne s’arrête toutefois pas en si bon chemin.
Précisons que, dans l’espèce dont elle était saisie, l’arrêt attaqué avait accepté le principe de l’indemnisation autonome du préjudice d’angoisse de mort imminente, outre celle des souffrances endurées que l’Expert avait quantifié à 4/7.
La Cour de cassation n’a pas censuré l’arrêt sur ce point, en indiquant que
"son indemnisation du préjudice d’angoisse de mort imminente, par un poste un autonome ne peut donner lieu à cassation que si ce préjudice a été indemnisé deux fois, en violation du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime".
Au cas d’espèce, l’Expert avait procédé à l’évaluation des souffrances endurées à 4/7 en tenant compte des souffrances liées aux lésions consécutives aux multiplex plaies que présentait la victime mais également en raison de son vécu douloureux. En l’absence de précision par l’Expert quant au fait de savoir si ce vécu douloureux englobait, ou non, la sensation de fin prochaine éprouvée par la victime, il y a lieu de considérer que cette dernière ne l’était pas... Par suite, la victime pouvait légitimement en poursuivre l’indemnisation autonome.
A noter que, la 2ᵉ chambre civile de la Cour de cassation s’était montrée par le passé peu favorable à la reconnaissance d’un préjudice autonome d’angoisse de mort imminente qu’elle incluait bien volontiers dans les souffrances endurées [2]. Sur ce point, il existait une véritable disparité avec la Chambre criminelle qui a accepté le principe d’une indemnisation autonome dès le début des années 2010.
La Chambre mixte avait mis fin à la querelle en reconnaissant l’autonomie de ce préjudice (précité). Elle n’avait toutefois pas pris la peine d’en donner une définition claire, laissant ainsi peser un flou non négligeable.
La 2ᵉ chambre civile a manifestement saisi l’occasion pour faire renaître son ancienne jurisprudence de ses cendres, tout en s’évitant les fourches caudines de la chambre mixte.
Le lecteur attentif aura effectivement remarqué que la 2ᵉ chambre civile ne pouvait conditionner l’indemnisation de ce poste au décès de la victime directe, sous peine de fabrication d’un pretium mortis qu’elle a elle-même rejeté par le passé [3]. Elle n’avait pour autant vraisemblablement aucune envie de reconnaître purement et simplement l’autonomie du préjudice même en cas de survie de la victime directe, déjà qu’il lui a été imposé pour la victime décédée alors qu’elle estimait déjà que l’indemnisation devait être rattachée aux souffrances endurées.
La 2ᵉ chambre civile poursuit, persiste et signe ainsi sa tendance, déjà remarquée depuis plusieurs, à limiter les prétentions indemnitaires des victimes. Ce qui est particulièrement regrettable puisque laisse à penser que les victimes, et leurs Conseils, ne font finalement qu’exagérer.
Reste que cette chambre est celle compétente en matière d’indemnisation des actes du terrorisme, lesquels sont à l’origine de la reconnaissance du préjudice d’angoisse de mort imminente.