« Si on touche à la loi Littoral, on va la détricoter », s’inquiétait Guy Lengagne dans la Voix du Nord (20 juin 2018), lors de l’adoption de la loi Elan. L’ancien secrétaire d’État à la Mer, qui compte parmi les artisans de la loi du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, n’a pas tort de parler de détricotage.
Lois de transition énergétique d’hier (2013 et 2015), lois Elan et énergie-climat d’aujourd’hui (sans oublier le très maladroit décret « thalasso » du 21 mai 2019), loi d’adaptation au changement climatique de demain, les occasions de modifier et d’affaiblir la loi Littoral sont devenues légions, ce qui pose la question de la cohérence de ce qui fut le grand texte de loi régissant nos zones côtières.
A l’heure où elle est (encore) souvent perçue comme une somme de contraintes au développement de l’urbanisme, il n’est pas inutile de rappeler que la loi Littoral eut l’immense mérite d’apporter un cadre juridique solide, de haut rang, à la problématique complexe de l’aménagement et de la préservation des littoraux français, en métropole et dans les départements d’outre-mer.
Contrairement à l’image parfois véhiculée, les règles qu’elle pose ne sont pas toujours drastiques, loin s’en faut : les principes d’extension en continuité du bâti existant (règle anti-mitage) et d’urbanisation limitée dans les espaces proches du rivage n’ont rien d’insurmontable pour les communes et leurs groupements. Quant au noyau dur, constitué de l’inconstructibilité de la fameuse bande des cent mètres et des espaces dits « remarquables », il n’a pas démérité dans sa fonction basique de protection. Que l’on imagine un instant le visage du littoral sans la loi du 3 janvier 1986 !
Mais le problème ne tient pas véritablement à l’existence d’une remise en cause frontale de la loi Littoral, dont chacun s’accorde à souligner les vertus (avec plus ou moins de sincérité). C’est sa capacité dans le temps à s’adapter à l’évolution des circonstances socio-économiques qui pose question. Cette interrogation légitime n’est pas dépourvue de simplismes dans la manière d’y répondre : ainsi, la généralité des règles de la loi face à la diversité des territoires est souvent mise en avant, comme un obstacle à leur application raisonnée. C’est oublier un peu vite que dès son adoption en 1986, à un moment où l’urbanisme était déjà décentralisé, la loi Littoral ne demandait qu’à être intelligemment traduite dans les POS de l’époque…
Combien d’années a-t-il fallu attendre pour que le sujet de la « territorialisation » des principes de la loi soit sérieusement abordé ? Les progrès en la matière ont été importants mais butent sur le mal contemporain de l’extrême technocratisation du droit, en particulier de l’aménagement et de l’environnement. Les documents d’urbanisme et de planification des communes littorales se sont multipliés et la législation ne cesse de changer. Il doit y avoir un document pilote. Le PLU ? Le SCOT ? Le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires de la loi NOTRE ? Le nouveau document stratégique de façade ? Il y a trop de prétendants au titre de meilleur instrument de planification de l’espace terre-mer. On ne peut ici que saluer la loi Elan d’avoir mis clairement l’accent sur les SCOT (lesquels peuvent comporter un volet ayant valeur de schéma de mise en valeur de la mer), mais la question de leur bonne articulation avec la montée en puissance des PLU intercommunaux se pose.
Reste que le texte de la loi Littoral, en dehors de ses déclinaisons locales, ne cesse d’évoluer. Par quel mode opératoire ? Il est urgent de rompre avec cette suite sans fin d’assouplissements ponctuels, le plus souvent portés par voie d’amendements parlementaires rapidement écrits pour donner satisfaction à des intérêts très variables (des énergies renouvelables -vent ou soleil- à la thalasso). Il n’est pas interdit de croire en une réflexion globale sur l’avenir de la loi de 1986, en ne se focalisant pas uniquement sur les risques, dans une logique de gestion intégrée des zones côtières (dont on parle de moins en moins).
Cet article a été publié sur SudOuest.fr le 22 juillet 2019.
Discussion en cours :
Actualité du projet de loi énergie-climat :
La Commission mixte paritaire du 25 juillet 2019 n’a pas retenue l’amendement sénatorial qui prévoyait de déroger à la loi Littoral (principe de continuité) au bénéfice des centrales photovoltaïques. Néanmoins, le sujet du "détricotage de la loi Littoral" demeure entier...
Laurent Bordereaux