L’exemple du projet fort controversé d’Oléron montre qu’elle doit en effet être particulièrement vigilante au respect du droit de l’environnement [1], au risque de connaître des déconvenues contentieuses.
A l’heure de la conception et du lancement de nombreux projets d’importance et après les annonces de la ministre de la Mer, affirmant qu’en 2050, 25% de l’électricité française pourrait être produite en mer [2], rien ne semble entraver les ambitions des promoteurs des EMR en France (dotée, en vertu de la Convention de Montego Bay du 10 décembre 1982, du deuxième espace maritime au monde).
Pour autant, au-delà des questions toujours sensibles liées à l’acceptabilité sociale de l’éolien industriel (à terre comme en mer), il est indispensable de rappeler les grandes exigences du Code de l’environnement, auxquelles les EMR n’échappent pas [3]. Dans ce cadre et nonobstant la simplification (abusive) du contentieux des EMR, désormais confié au seul Conseil d’Etat avec la loi « Asap » du 7 décembre 2020 [4], les enjeux de protection de la biodiversité marine doivent faire l’objet d’une attention toute particulière et pourront parfois primer sur l’implantation d’un parc éolien.
Le respect de la procédure de débat public.
Cette procédure, sous la responsabilité de la Commission Nationale du Débat Public (CNDP), est incontestablement montée en puissance concernant les projets éoliens marins, lesquels, au regard des questions sociaux-économiques et environnementales qu’ils soulèvent, y sont bien soumis. Les questions posées au public doivent être à la hauteur des enjeux en présence et des dispositions législatives en vigueur. Le choix de l’emplacement n’est pas le seul objet du débat public, même si le sujet s’impose incontestablement, puisqu’aux termes de l’article L121-8-1 du Code de l’environnement, la consultation doit effectivement porter « sur le choix de la localisation de la ou des zones potentielles d’implantation des installations envisagées ». Mais l’objet du débat public est bien plus large et ne saurait donc se limiter à cette question ; il doit permettre également de débattre de l’opportunité même du projet, de l’existence de solutions alternatives et, le cas échéant, de son absence de mise en œuvre :
Article L121-1 du Code de l’environnement :
« La Commission nationale du débat public peut décider d’organiser un débat public ou une concertation préalable permettant de débattre de l’opportunité, des objectifs et des caractéristiques principales du projet ou des objectifs et des principales orientations du plan ou programme, des enjeux socio-économiques qui s’y attachent ainsi que de leurs impacts significatifs sur l’environnement et l’aménagement du territoire. Ce débat ou cette concertation permet, le cas échéant, de débattre de solutions alternatives, y compris, pour un projet, son absence de mise en œuvre » [5].
Vu l’impact des grands parcs éoliens en mer sur la pêche et l’environnement, certes variable mais qui ne peut être sous-évalué de manière a priori, les questions posées au public doivent être ouvertes afin de garantir un débat sincère. Il est certain que les maîtres d’ouvrage doivent être vigilants sur le respect des principes gouvernant le droit de la participation du public, dont l’ancrage est constitutionnel, au risque de voir les autorisations contestées sur ce fondement en cas de manquement manifeste aux dispositions du Code de l’environnement en la matière.
Les débats publics par façade maritime ne sauraient avoir pour conséquence d’amoindrir les garanties du public.
Les dérogations relatives aux espèces protégées.
Pour rappel, la procédure de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces animales ou végétales protégées (et de leurs habitats), prévue à l’article L411-2 du Code de l’environnement, doit être respectée et s’impose bien évidemment au secteur de l’éolien offshore, ce qui a d’ailleurs été rappelé par le juge administratif :
« (…) un projet d’aménagement ou de construction d’une personne publique ou privée susceptible d’affecter la conservation d’espèces animales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s’il répond, par sa nature, à une raison impérative d’intérêt public majeur. En présence d’un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d’une part, il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et, d’autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle » [6].
D’abord, il résulte de ces dispositions que l’omission de la demande de dérogation au principe d’interdiction posé entache d’illégalité l’autorisation administrative accordée (autorisation environnementale en l’occurrence). La Cour administrative de Nantes, dans l’affaire des éoliennes flottantes en Méditerranée, l’a bien souligné : « Cette autorisation est enfin illégale en tant qu’elle n’incorpore pas la dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces animales non domestiques et de leurs habitats, prévue à l’article L411-2 du code de l’environnement » [7]. Ajoutons que cette omission est pénalement répréhensible et est susceptible de faire naître un préjudice moral réparable pour une association de protection de l’environnement [8].
Ensuite, lorsque cette dérogation (préfectorale ou ministérielle) est sollicitée, elle doit bien répondre aux trois conditions cumulatives exigées, tenant à l’absence de solution alternative satisfaisante, au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et à l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur, laquelle n’a pas été systématiquement été reconnue pour l’éolien terrestre [9].
Dans l’affaire du parc éolien « Yeu - Noirmoutier », la Cour administrative d’appel de Nantes souligne que :
« la réalisation d’un projet doit être d’une importance telle qu’il puisse être mis en balance avec l’objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvage poursuivi par la législation, justifiant ainsi qu’il y soit dérogé. Ce n’est qu’en présence d’un tel intérêt que les atteintes portées par le projet en cause aux espèces protégées sont prises en considération, en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, afin de vérifier s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et si la dérogation demandée ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle » [10].
La notion de « raison impérative d’intérêt public majeur » comporte une part évidente de subjectivité et nous emmène, concernant les EMR, sur le terrain sensible et complexe de la juste proportion du nucléaire et des énergies renouvelables dans la production d’électricité, dans un contexte national et européen… Comment le juge pourrait-il échapper à cette « controverse sociétale » ?
Concernant le parc au large de Dieppe et du Tréport, la Cour administrative d’appel de Nantes avait notamment mis en avant (non sans un brin de manichéisme) la contribution du parc aux engagements énergétiques européens, nationaux et régionaux, ainsi que le fait que « les énergies nucléaires, si la production d’électricité qui en est issue est décarbonée, contrairement aux éoliennes en mer, font courir d’autres risques de santé publique liés aux risques d’exploitation, aux déchets produits, à leur longévité, aux coûts de démantèlement » [11]. L’arrêt rendu sur l’affaire « Yeu - Noirmoutier » s’inscrivait bien dans cette optique [12].
Mais cet argumentaire ne pourra sans doute pas toujours être avancé, pour tous les nombreux projets EMR en cours et à venir, sauf à considérer qu’ils bénéficient d’une présomption d’intérêt public majeur, ce qui est pour le moins discutable, notamment lorsque la richesse écologique d’un site protégé appelle un examen critique quant à la possibilité d’accueillir un grand parc éolien. L’exemple incontournable, qui n’est pas une hypothèse d’école, est celui d’un projet localisé au cœur d’une zone Natura 2000 et/ou un parc naturel marin.
L’importance particulière des évaluations environnementales en zone Natura 2000.
Le Conseil d’Etat a très récemment souligné l’importance du champ d’application de l’évaluation environnementale [13]. Un parc éolien (ou hydrolien) marin nécessite une étude d’impact dans le cadre des conditions fixées à l’article L122-1 (II) du Code de l’environnement :
« Les projets qui, par leur nature, leur dimension ou leur localisation, sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine font l’objet d’une évaluation environnementale en fonction de critères et de seuils définis par voie réglementaire et, pour certains d’entre eux, après un examen au cas par cas ».
Le tableau annexé à l’article R122-2 précise que les éoliennes en mer exigent automatiquement une évaluation environnementale alors que les « autres installations » (comme les hydroliennes) relèvent de la procédure de l’examen au cas par cas. Comme à terre, les irrégularités et insuffisances pouvant affecter l’étude d’impact d’une EMR « ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d’entraîner l’illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative » [14].
Mais c’est surtout sur le terrain de l’évaluation d’incidences au titre du dispositif Natura 2000 qu’il convient de prêter une attention toute particulière, dès lors que des EMR sont envisagées à proximité ou au sein d’une zone classée Natura 2000 (zone de protection spéciale au titre de la directive « oiseaux » et/ou zone spéciale de conservation au titre de la directive « habitats »). Avec le développement concomitant de l’éolien offshore et du réseau écologique européen Natura 2000 en mer, l’hypothèse est devenue réalité. On pense bien évidemment aux projets éoliens au large de Dunkerque (Nord) et de l’île d’Oléron (Charente-Maritime).
L’apparente souplesse des dispositions du Code de l’environnement, qui s’inscrit dans une logique de conciliation, doit être cependant bien comprise… Les activités économiques ne sont certes pas proscrites : les mesures prescrites, en effet, « tiennent compte des exigences économiques, sociales, culturelles et de défense, ainsi que des particularités régionales et locales » [15].
Toutefois, on ne saurait oublier l’objectif premier poursuivi : « Les sites Natura 2000 font l’objet de mesures destinées à conserver ou à rétablir dans un état favorable à leur maintien à long terme les habitats naturels et les populations des espèces de faune et de flore sauvages qui ont justifié leur délimitation. Les sites Natura 2000 font également l’objet de mesures de prévention appropriées pour éviter la détérioration de ces mêmes habitats naturels et les perturbations de nature à affecter de façon significative ces mêmes espèces » [16].
Sur le plan procédural, l’évaluation d’incidences Natura 2000 nécessaire pour tout projet susceptible d’affecter une ZPS ou une ZSC (comme les EMR) exprime parfaitement les exigences du dispositif de protection : « L’autorité chargée d’autoriser, d’approuver ou de recevoir la déclaration s’oppose à tout document de planification, programme, projet, manifestation ou intervention si l’évaluation des incidences requise (…) n’a pas été réalisée, si elle se révèle insuffisante ou s’il en résulte que leur réalisation porterait atteinte aux objectifs de conservation d’un site Natura 2000 » [17].
Dans une affaire remarquée faisant office d’avertissement, relative à l’installation de trois éoliennes flottantes en Méditerranée [18], le juge administratif français a récemment eu l’occasion, à la lumière du cap fixé depuis longtemps par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), de tirer toutes les conséquences s’imposant au regard de la procédure d’évaluation d’incidences, en estimant en l’espèce que l’évaluation en cause - qui faisait état d’incertitudes - « aurait dû conclure que la réalisation du projet porterait atteinte aux objectifs de conservation de plusieurs sites Natura 2000 » [19]. La Cour administrative d’appel de Nantes a jugé en conséquence que l’arrêté préfectoral d’autorisation litigieux a été délivré en violation de l’article L414-4 du Code de l’environnement.
On ajoutera que la Cour de Nantes a pris soin de rappeler solennellement l’un des points phares de la jurisprudence européenne sur ce sujet, relatif à la notion de doute raisonnable :
« Il résulte des dispositions de l’article L414-4 du code de l’environnement, éclairées par l’interprétation donnée par la Cour de justice de l’Union européenne aux dispositions de la directive européenne qu’elles transposent, que l’autorisation d’un projet entrant dans leur champ d’application ne peut être accordée qu’à la condition que les autorités compétentes, une fois identifiés tous les aspects dudit projet pouvant, par eux-mêmes ou en combinaison avec d’autres plans ou projets, affecter les objectifs de conservation du site Natura 2000 concerné, et compte tenu des meilleures connaissances scientifiques en la matière, aient acquis la certitude qu’il est dépourvu d’effets préjudiciables sur les objectifs de conservation du site. Il en est ainsi lorsqu’il ne subsiste aucun doute raisonnable d’un point de vue scientifique quant à l’absence de tels effets » [20].
On ne saurait bien sûr transposer l’analyse des juges nantais dans cette affaire méditerranéenne (qui a par ailleurs fait l’objet d’une procédure de régularisation [21]) à l’ensemble des projets éoliens et hydroliens marins qui pourraient directement ou indirectement impacter un site Natura 2000, chaque cas étant spécifique, lié aux circonstances locales et aux caractéristiques propres du site en cause. Cela étant, il serait peu responsable de ne pas s’interroger sur les grands projets de parcs éoliens localisés en pleine zone Natura 2000, qui plus est au cœur d’un parc naturel marin…
D’ailleurs, une communication de la Commission européenne, rappelant la jurisprudence de la CJUE, affirme subtilement que « L’implantation de l’aménagement éolien en mer sur un site adéquat est le moyen le plus efficace d’éviter les conflits potentiels avec les sites Natura 2000 et les espèces et les habitats protégés par l’UE » [22].
Reste donc, semble-t-il, l’ultime étape que constitue la procédure dérogatoire prévue à l’article L414-4 (VII) du Code de l’environnement, ici encore pour « raison impérative d’intérêt public majeur » :
« Lorsqu’une évaluation conclut à une atteinte aux objectifs de conservation d’un site Natura 2000 et en l’absence de solutions alternatives, l’autorité compétente peut donner son accord pour des raisons impératives d’intérêt public majeur. Dans ce cas, elle s’assure que des mesures compensatoires sont prises pour maintenir la cohérence globale du réseau Natura 2000… ».
Cette dérogation ne peut être que d’interprétation stricte, s’agissant de circonstances exceptionnelles [23] qui ne se présument pas (tout comme l’absence de solutions alternatives) ; il serait tout à fait hasardeux pour les maîtres d’ouvrages (publics et privés) de l’éolien offshore de l’UE de miser sur le déclenchement systématique de cette procédure, en arguant avec dogmatisme que l’installation de grandes centrales éoliennes en mer doit primer sur toute autre considération…
En particulier, la condition de l’absence de solutions alternatives doit conduire les maîtres d’ouvrage à s’inscrire, bien en amont, dans une logique sincère d’évitement des zones protégées [24]. Si, dans l’affaire méditerranéenne des trois éoliennes flottantes [25], le juge a retenu l’absence de solutions alternatives, c’est après avoir pris soin de souligner (entre autres et dans le cadre d’un argumentaire motivé) le caractère expérimental et novateur du projet (mode flottant), son emprise limitée (0,8 km²), l’importance du processus de planification et de concertation, ainsi que les difficultés réglementaires -à l’époque- d’une implantation hors zone Natura 2000 en l’espèce (en zone économique exclusive).
Il est enfin intéressant de mentionner le tout récent avis du Conseil National de la Protection de la Nature (CNPN) sur les EMR et la biodiversité, très ferme sur le respect du dispositif Natura 2000 : « (...) il convient d’éviter absolument les zones Natura 2000, et notamment les ZPS Oiseaux, qui par définition représentent les zones les plus riches en termes de biodiversité, sélectionnées après une démarche rigoureuse de près de dix ans sur critères scientifiques objectifs imposés par l’Europe, sous peine de fragiliser les dossiers du point de vue juridique » [26].
Dans ce cadre, la loi EnR sur le développement des énergies renouvelables du 10 mars 2023 (art. 56) révèle clairement ses insuffisances, se contentant d’affirmer que pour l’élaboration de la cartographie des zones prioritaires pour l’implantation de parcs éoliens en mer
« sont ciblées en priorité des zones (…) situées dans la zone économique exclusive et en dehors des parcs nationaux ayant une partie maritime ».
Le législateur fait ainsi fort peu de cas des zones Natura 2000 en mer et des parcs naturels marins, ce qui pourrait ne pas convaincre les autorités compétentes de l’UE (Commission et CJUE).
Le respect des parcs naturels marins.
Il existe neuf parcs naturels marins, relevant de l’Office français de la biodiversité (établissement public administratif de l’Etat). Cet instrument relativement récent de protection de l’environnement, issu de la loi n° 2006-436 du 14 avril 2006 sur les parcs naturels, relève bien d’une logique de « droit souple », qui le distingue des réserves et des parcs nationaux. Il n’en représente pas moins une catégorie importante et respectable d’aires marines protégées, dont les objectifs sont ainsi définis dans la loi [27] :
« Des parcs naturels marins peuvent être créés dans les eaux placées sous la souveraineté de l’Etat et, le cas échéant, en continuité avec celles-ci, dans les eaux placées sous sa juridiction, ainsi que sur les espaces appartenant au domaine public maritime, pour contribuer à la connaissance du patrimoine marin ainsi qu’à la protection et au développement durable du milieu marin ».
Ces parcs ne sauraient être considérés comme des « parcs de papier », même si le législateur a fait preuve de prudence, dans un souci de conciliation entre les différents usages de la mer. On conviendra, en tout état de cause, que les parcs naturels marins n’ont pas été conçus pour accueillir de grands projets éoliens, lesquels, s’ils concourent à la politique de transition énergétique, ne contribuent en rien « à la protection et au développement du milieu marin », comme l’affirme la loi.
Ainsi, l’implantation de tels projets dans le périmètre d’un parc marin doit faire l’objet d’une réflexion approfondie, dans la mesure où s’ils ne sont pas proscrits de manière a priori, on ne saurait conclure, loin s’en faut, à l’absence de difficultés juridiques… Ce cas de figure a pu se rencontrer concernant le parc éolien envisagé au large de Dieppe et du Tréport (avec le parc naturel marin des estuaires picards et de la mer d’Opale) et semble aujourd’hui trouver son point culminant avec le parc voulu par le gouvernement au large d’Oléron (en procédure de débat public).
En la matière, la procédure de « l’avis conforme », prévue à l’article L334-5 du Code de l’environnement, est incontournable : « Lorsqu’une activité est susceptible d’altérer de façon notable le milieu marin d’un parc naturel marin, l’autorisation à laquelle elle est soumise ne peut être délivrée que sur avis conforme de l’Office français de la biodiversité [OFB] ou, sur délégation, du conseil de gestion » [28].
Pour les parcs éoliens offshore (qui relèvent de la procédure du débat public), il appartient à l’OFB, établissement public de référence en matière de biodiversité terrestre et marine, de se prononcer. La motivation des avis conformes pouvant être rendus dans ce cadre par l’OFB devra être convaincante, eu égard à sa mission statutaire, sachant que par principe, on sera tenté de questionner son impartialité en raison de la fiscalité fort problématique de l’éolien offshore, l’OFB étant l’un des (nombreux) bénéficiaires de la fameuse taxe annuelle sur les installations de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent situées dans les eaux intérieures, la mer territoriale ou la zone économique exclusive (assise sur le nombre de MW installés) [29].
Quoi qu’il en soit, cette procédure de l’avis conforme n’épuise pas à elle seule la problématique des activités susceptibles d’être accueillies au sein des parcs naturels marins. Le contentieux sur ce sujet en est à ses débuts et ne devrait pas, à l’avenir, ignorer les arguments tirés de la protection de la biodiversité. On peut donc, sur le fond, oser mobiliser la législation sur les parcs marins pour contester les projets d’EMR envisagés dans le périmètre de ces derniers…
Dans cette optique, on peut se demander en quoi un parc éolien offshore contribue au développement durable du milieu marin au sens de la loi de 2006. Est-il seulement compatible avec les enjeux écologiques des aires marines protégées (lesquelles n’ont pas vocation à accueillir de tels projets industriels, fussent-ils liés à la transition énergétique) ? La jurisprudence administrative sera probablement amenée à apporter des précisions sur ce sujet fondamental, mettant en exergue l’effectivité des instruments dits « souples » de protection de l’environnement, qui ne sauraient être pour autant totalement vidés de leur substance.
Dans ces conditions, l’actuel projet éolien au large de l’île d’Oléron, situé au cœur du parc naturel marin « de l’estuaire de la Gironde et de la mer des Pertuis », (créé par un décret du 15 avril 2015) et d’une vaste zone Natura 2000 (au titre des directives « oiseaux » et « habitats »), apparaît éminemment problématique, d’autant que le gouvernement annonce (déjà) une éventuelle extension du projet initial, au-delà du périmètre des 300 km2 retenu, pour une puissance électrique totale qui pourrait aller jusqu’à 2 GW… De la phase de travaux (y compris de raccordement au réseau électrique) à celle du fonctionnement, sans oublier, en fin d’activité, celle du démantèlement, un tel projet est-il sérieusement acceptable au regard des enjeux écologiques en présence, solennellement reconnus par le décret de création du parc [30] ?
Le raccordement des EMR et la dimension environnementale du domaine public maritime.
Dès lors que l’installation d’une EMR est localisée sur le domaine public maritime naturel français (lequel comprend notamment les rivages ainsi que le sol et sous-sol de la mer territoriale), l’obtention d’un titre adéquat d’occupation privative du domaine public est indispensable, dans le cadre des dispositions du Code général de la propriété des personnes publiques. Il s’agit précisément d’une concession d’utilisation du DPM [31], dont la dimension environnementale, dans une perspective moderne de gestion intégrée des zones côtières, doit être prise au sérieux :
« Les décisions d’utilisation du domaine public maritime tiennent compte de la vocation des zones concernées et de celles des espaces terrestres avoisinants, ainsi que des impératifs de préservation des sites et paysages du littoral et des ressources biologiques ; elles sont à ce titre coordonnées notamment avec celles concernant les terrains avoisinants ayant vocation publique » [32] [33].
L’invocation de ces dispositions à l’encontre d’un parc éolien offshore, même éloigné des côtes, n’est pas inenvisageable [34]. En outre, la question du raccordement au réseau électrique (spécialement dans la partie « côtière ») n’échappe pas à cette exigence de préservation « des sites et paysages du littoral et des ressources biologiques ». Là encore, les assouplissements introduits par le législateur, dérogeant au régime strict des aménagements légers possibles lorsqu’est identifié un espace remarquable au sens de la loi littoral, ne confèrent aucunement un blanc-seing aux maîtres d’ouvrage (RTE en l’occurrence).
Le Code de l’urbanisme affirme clairement que « Les techniques utilisées pour la réalisation de ces ouvrages électriques (…) sont souterraines et toujours celles de moindre impact environnemental », que « Leur réalisation est soumise à enquête publique », et surtout que « L’autorisation d’occupation du domaine public (…) est refusée si les canalisations ou leurs jonctions (…) sont de nature à porter atteinte à l’environnement ou aux sites et paysages remarquables » [35]. Le choix du site de raccordement n’est donc pas qu’une affaire technique, il n’est pas insusceptible de recours.
On s’interroge par ailleurs sur la pertinence, en matière de raccordement, de la dérogation générale relative aux « ouvrages du réseau public de transport d’électricité », issue de la loi EnR du 10 mars 2023 : « Les lignes électriques sont souterraines, sauf si leur enfouissement s’avère plus dommageable pour l’environnement ou techniquement excessivement complexe ou financièrement disproportionné par rapport à l’installation de lignes aériennes (...) » [36]. Comment ces différentes dérogations vont-elles s’articuler ?
Au final, il est nécessaire de rappeler la volonté affichée de l’Etat de renforcer la protection des aires marines protégées, comme en témoignent les récentes déclarations de la ministre de la Transition écologique (le 14 janvier à l’Assemblée nationale), affirmant que « les enjeux liés à la préservation des paysages et à la biodiversité, mais également à la cohabitation entre les usagers de la mer, sont centraux dans le choix de la localisation des parcs » [37]. Ce discours de l’Etat implique fort logiquement d’articuler de manière cohérente le développement des EMR et l’indispensable préservation effective de la biodiversité en localisant les parcs en dehors des zones protégées, tout spécialement en présence d’une zone Natura 2000 et d’un parc naturel marin.
Au-delà des choix politiques existants (qui peuvent être appelés à évoluer), il serait aventureux de croire que les grands projets éoliens offshore sont par principe à l’abri d’une annulation contentieuse, surtout s’ils ont pour conséquence de dénaturer ou de priver d’effet les outils de protection de l’environnement marin.
Une régulation nous paraît s’imposer, recadrant le cas échéant les documents stratégiques de façade [38]. Est-il absolument indispensable de « tester » les limites du juge administratif suprême en la matière ?