La dissolution de la société est une arme « atomique », excessive dans ses effets et risque de desservir autant le minoritaire que son opposant. La responsabilité pour faute est un instrument aléatoire et n’emporte pas dessaisissement du dirigeant qui conserve la haute main sur la gestion sociale.
Il peut être tentant pour le minoritaire de rechercher satisfaction en usant d’un texte fourre-tout du code de procédure civile permettant au Président du tribunal de commerce d’ordonner toute mesure justifiée par le péril ou le caractère manifestement incontestable de la demande : il s’agit de l’article 873 du Code de procédure civile relatif au juge des référés.
Gêner le dirigeant en le dessaisissant.
Aux motifs du péril social encouru, le minoritaire demandera le dessaisissement du dirigeant au profit d’un administrateur désigné par le juge dont la mission sera de gérer la société pendant la période intercalaire nécessaire pour faire la lumière sur les griefs allégués.
Le grief sera parfois un prétexte, suffisamment crédible toutefois, et le juge sera tenté d’accorder satisfaction en ignorant les protestations du dirigeant. La raison en est que la mesure ordonnée, le dessaisissement, n’étant que conservatoire, elle est neutre en théorie, et ne doit pas nuire aux intérêts d’une partie. En l’ordonnant, le juge échappe au grief de la passivité si le grief était fondé.
Nous nous trouvons dès lors dans une situation à trois acteurs, l’administrateur, le minoritaire et le dirigeant dessaisi, qui, pendant une certaine durée vont devoir cohabiter en se présentant sous leur meilleur jour en vue du rendez-vous futur avec le juge qui sera amené à trancher le litige en gestation et, le cas échéant à restituer son pouvoir au dirigeant.
Cette période transitoire peut être longue. L’administrateur est rarement saisi pour moins de trois à six mois et sa première demande de reconduction est libéralement accordée. La gestion sociale peut donc passer entre les mains d’un tiers pour une bonne année.
La course à la crédibilité du dirigeant dessaisi.
Pendant cette période l’administrateur agit sous sa propre responsabilité et se gardera, et il le lui sera rappelé si nécessaire, de prendre des décisions affectant profondément la vie sociale au mépris de la volonté de la majorité des associés (en pratique du dirigeant dessaisi). En revanche il se montrera intraitable dans l’exercice facial de sa mission, en exigeant sans ménagements la remise de la documentation sociale et des comptes et en posant toute question jugée utile au dirigeant dessaisi. Ce dernier se hâtera de répondre et de faire la preuve de sa bonne volonté à donner satisfaction à l’administrateur qui agit sur instruction d’un magistrat qu’il sera amené à revoir à échéance.
Cet exercice d’humilité réussi, l’administrateur aura intérêt à profiter de la bonne connaissance des affaires par le dirigeant et à se décharger sur lui autant que faire se peut. Ainsi le dessaisi, s’il est habile, deviendra celui qui préparera en amont les actions de l’administrateur qui finira par signer la documentation après un simple contrôle formel et de cohérence.
Si les grandes décisions d’affaire deviennent impossibles sans consensus du minoritaire et du dessaisi, la gestion courante perdure et revient de facto petit à petit entre les mains du dessaisi jusqu’au moment où il devient possible de faire la lumière sur la réalité des griefs énoncés par le minoritaire.
Démontrer ses griefs au risque de la liquidation, le dilemme du minoritaire.
Si le minoritaire a agi légitimement et a permis d’éviter un péril social il sera davantage écouté par l’administrateur et le rapport que ce dernier présentera au magistrat lui sera favorable. Ceci peut ouvrir la voie à une décision de dissolution de la société pour mésentente entre associés avec mission confiée à l’administrateur, devenu liquidateur, de mettre fin à l’existence de la société. Cette mission, beaucoup plus rémunératrice pour l’administrateur devenu liquidateur peut le pousser à présenter une oreille attentive aux griefs du minoritaire. Le dirigeant dessaisi fera feu de tout bois pour éviter cette issue et cherchera à démontrer l’inanité des griefs allégués pour pouvoir reprendre le plein exercice de ses fonctions.
Si le dessaisi y parvient, après donc avoir orienté favorablement le rapport de l’administrateur et la décision du magistrat, il aura désarmé le minoritaire qui aura peu de chance d’être entendu s’il venait à engager une nouvelle action, par exemple en responsabilité du dirigeant.
Si le minoritaire parvient à démontrer ses griefs sans pousser à la liquidation, il aura accumulé les éléments de preuve permettant d’engager la responsabilité du dirigeant. Cette avancée est substantielle mais n’entrave pas en elle-même le capacité de décision du dirigeant, sauf à prolonger indéfiniment l’administration provisoire. Or le provisoire ne saurait durer indéfiniment et le juge finira par suggérer la liquidation ou résoudre l’affaire par le paiement de dommages intérêts.
Une période d’incertitude lors de laquelle la communication doit être maitrisée.
On perçoit mieux le caractère critique de la période intercalaire pendant laquelle l’administrateur est aux commandes, puisque d’impressions en analyse factuelle, se dessine pendant cette période l’avenir de la société et des pouvoirs du dirigeant provisoirement dessaisi.
Le conseil du dirigeant dessaisi aura à cœur de convaincre ce dernier de coopérer autant qu’il est possible et de façon avenante avec l’administrateur afin de démontrer qu’il ne fait pas obstacle à la justice et que, de bonne foi, il n’a rien (ou peu) à cacher. Ce moment qui ne dure que trois semaines à un mois déterminera la qualité de la relation entre l’administrateur et le dirigeant. Si la confiance s’établi, le sort de la demande du minoritaire est quasiment scellé à moins qu’un gigantesque pot aux roses ne soit amené à émerger.
A l’inverse, le conseil du minoritaire aura à cœur de convaincre son client de ne pas déverser son acrimonie et de procéder à une analyse aussi froide et rationnelle que possible des pièces que la présence de l’administrateur aura permis de mettre à jour afin de fonder la réalité de ses griefs. Il devra donc apparaître assez passif dans un premier temps pour laisser l’administrateur exhumer les informations utiles et sera incisif dans un deuxième temps pour tenter d’anéantir le rapport de confiance que le dirigeant dessaisi aurait pu commencer à construire avec l’administrateur. S’il parvient à apparaitre objectif dans sa présentation et qu’il démontre sans outrance les dommages causés par le dirigeant dessaisi, il tient dans sa main le sort du dirigeant dessaisi mais risque une victoire à la Pyrrhus. S’il l’emporte, les parties vont tout droit à la dissolution liquidation de la société dont le seul gagnant financièrement sera vraisemblablement l’administrateur.
Ce risque révélé permettra aux conseils de tenter de rapprocher les associés majoritaire et minoritaire en leur faisant prendre conscience que le fruit de leur querelle atterrira probablement dans l’escarcelle de l’administrateur.
L’administration provisoire est donc un moment critique de la vie sociale lors duquel chacun donnera des gages de sa bonne foi et de sa volonté de coopérer avec la justice sachant qu’en définitive il faudra tenter d’éviter la liquidation qui est le cimetière des espoirs financiers des associés.
Discussions en cours :
Merci de cet article qui reflète en effet une problématique que nous pourrions rencontrer auprès de nos clients.
Le problème devient cependant plus épineux et encore plus insurmontable, lorsque c’est l’associé dirigeant qui est minoritaire, qu’il fait face seul aux exigences et aux difficultés de l’entreprise, et qu’il ne trouve pas d’écoute ou de répondant auprès d’un associé majoritaire dormant.
Que faire dans ce cas ? Comme pouvoir se séparer d’un associé majoritaire qui freinerait toute velléité de changement ou de croissance ?
L’associé dirigeant minoritaire confronté à un majoritaire défaillant n’est pas entravé dans sa gestion tant qu’une décision d’assemblée n’est pas nécessaire. A moins que les statuts ou un pacte ne prévoient une approbation a priori pour requérir un financement ou mener certaines opérations, il dispose de la latitude d’action nécessaire pour agir.
Si le blocage survient néanmoins il reste la possibilité d’évoquer l’abus de majorité. L’outil juridique existe mais, comme souvent, les délais inhérents à son utilisation peuvent être en décalage avec le temps de la gestion et de la décision en entreprise.