L’obligation légale d’aménagements raisonnables pour les travailleurs handicapés.
Le cadre législatif national et international.
L’article L5213-6 du Code du travail impose à l’employeur de prendre, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs handicapés :
- D’accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification.
- D’exercer leur activité professionnelle ou d’y progresser.
- De bénéficier d’une formation adaptée à leurs besoins.
Ces mesures doivent être prises à condition qu’elles n’imposent pas une charge disproportionnée à l’employeur, en tenant compte des aides financières prévues à l’article L5213-10 du Code du travail.
Au niveau international, la Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations Unies, ratifiée par la France, stipule à son article 2 que le refus d’aménagement raisonnable constitue une discrimination fondée sur le handicap. De plus, l’article 5 de la Directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 impose aux États membres de prévoir des aménagements raisonnables pour garantir le principe d’égalité de traitement.
La notion d’aménagement raisonnable.
Un aménagement raisonnable est défini comme une modification ou un ajustement nécessaire et approprié, n’imposant pas une charge disproportionnée, pour permettre à une personne handicapée de jouir pleinement de ses droits au travail. Le refus de mettre en place de tels aménagements peut constituer une discrimination directe ou indirecte, comme le prévoit l’article L1133-3 du Code du travail.
La distinction entre l’obligation de reclassement et la discrimination liée au handicap.
L’obligation de reclassement en cas d’inaptitude.
Lorsque le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail, l’employeur a l’obligation de rechercher un reclassement approprié, conformément aux articles L1226-2 et L1226-10 du Code du travail. Le non-respect de cette obligation prive le licenciement de cause réelle et sérieuse, entraînant des indemnités pour le salarié.
La discrimination en raison du handicap.
La discrimination intervient lorsque l’employeur refuse de prendre des mesures d’aménagement raisonnable pour le salarié handicapé, sans justification légitime. Dans ce cas, le licenciement est nul, en application de l’article L1132-1 du Code du travail, qui prohibe toute discrimination fondée sur le handicap.
Jurisprudence récente : l’arrêt du 15 mai 2024.
Dans l’arrêt Cass. soc., 15 mai 2024, n° 22-11.652, la Cour de cassation a clarifié la distinction entre le manquement à l’obligation de reclassement et la discrimination liée au handicap. Elle a souligné que le régime probatoire et les sanctions diffèrent selon que l’on se situe dans le cadre de l’inaptitude ou de la discrimination.
Dans cette affaire, une salariée reconnue travailleur handicapé avait été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement. La Cour a cassé l’arrêt d’appel qui avait déclaré le licenciement nul pour discrimination, en reprochant aux juges de ne pas avoir appliqué le régime probatoire spécifique prévu à l’article L1134-1 du Code du travail.
Le régime probatoire de la discrimination : une approche en deux temps.
Première étape : les éléments présentés par le salarié.
Selon l’article L1134-1 du Code du travail, le salarié doit présenter des éléments de fait laissant supposer une discrimination. Dans le contexte du handicap, cela peut inclure :
- Le refus, même implicite, de l’employeur de prendre des mesures d’aménagement raisonnable, sollicitées par le salarié ou préconisées par le médecin du travail.
- L’absence de réponse de l’employeur aux demandes d’aménagement.
- Le non-respect des recommandations du comité social et économique.
Dans l’arrêt du 15 mai 2024, la salariée n’avait pas apporté de tels éléments permettant de présumer une discrimination de la part de l’employeur.
Deuxième étape : la justification de l’employeur.
Si le salarié parvient à présenter des éléments laissant supposer une discrimination, l’employeur doit alors démontrer que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, tels que :
- L’impossibilité matérielle de mettre en place les aménagements sollicités.
- Le caractère disproportionné des charges liées à leur mise en œuvre, compte tenu des aides disponibles.
L’employeur doit prouver qu’il a envisagé toutes les solutions possibles et qu’il a consulté, le cas échéant, des organismes spécialisés.
Les implications pratiques pour les employeurs et les salariés.
Pour les employeurs.
Les employeurs doivent être vigilants et proactifs pour se conformer à leurs obligations légales :
- Évaluation des besoins : consulter le salarié, le médecin du travail et le CSE pour identifier les aménagements nécessaires.
- Recherche de solutions : explorer toutes les possibilités d’aménagement raisonnable, en tenant compte des aides financières.
- Documentation : conserver des preuves écrites des démarches entreprises et des raisons objectives en cas d’impossibilité.
Pour les salariés.
Les salariés handicapés doivent :
- Informer leur employeur de leur situation et de leur statut de travailleur handicapé.
- Solliciter explicitement les aménagements raisonnables nécessaires.
- Fournir les préconisations du médecin du travail.
- Conserver les échanges avec l’employeur.
Conclusion.
La jurisprudence récente, notamment l’arrêt Cass. soc., 15 mai 2024, n° 22-11.652, souligne l’importance de distinguer le manquement à l’obligation de reclassement et la discrimination liée au handicap. Le régime probatoire en matière de discrimination impose au salarié de présenter des éléments concrets laissant supposer une discrimination, ce qui n’était pas le cas dans l’affaire précitée.
Pour les employeurs, il est essentiel de respecter scrupuleusement leurs obligations en matière d’aménagements raisonnables, afin d’éviter tout risque contentieux et de favoriser l’inclusion des travailleurs handicapés. Les salariés, quant à eux, doivent être informés de leurs droits et actifs dans leurs démarches.
En somme, une application rigoureuse des dispositions légales et une communication transparente entre les parties sont indispensables pour assurer le respect des droits des travailleurs handicapés et prévenir les discriminations.