Pour mémoire après avoir été maire pendant plus de seize années de la Ville de Drancy, pour des raisons de non-cumul de mandats [1], Jean-Christophe Lagarde a choisi, en 2017, de démissionner de ses fonctions d’édile mais il est resté conseiller municipal. Son épouse, Aude Lagarde a été élue pour le remplacer.
N’ayant pas été réélu lors du second tour des dernières élections législatives du 19 juin 2022, Jean-Christophe Lagarde pouvait prétendre être élu adjoint de la Ville de Drancy. Après la démission « opportune », le 1er juillet 2022 du 11ème adjoint de la maire de Drancy, cette dernière a, le jour même, convoqué son conseil municipal pour procéder à l’élection d’un nouvel adjoint et a proposé à ce poste, son mari, Jean-Christophe Lagarde.
Par délibération du 7 juillet 2022, ce dernier a été élu adjoint au même rang que l’élu démissionnaire [2].
Toutefois, s’apercevant que le conseil municipal avait été convoqué avant que la démission du 11ème adjoint ne soit acceptée par le préfet, la maire de Drancy a décidé de convoqué un nouveau conseil municipal qui, par délibération du 14 juillet 2022, a :
annulé la délibération du 7 juillet précédent ;
pris, à nouveau, acte de la démission du 11ème adjoint ;
élu Jean-Christophe Lagarde, nouvel 11ème adjoint.
Ces élections ont, chacune, fait l’objet d’une protestation électorale. La première dirigée à l’encontre de la délibération du 7 juillet 2022 se fondait notamment sur l’absence d’effectivité de la démission du 11ème adjoint. Il était également soutenu que l’élection était irrégulière, faute pour la séance du conseil municipal d’avoir été publique.
Le second recours reposait sur le moyen tiré de l’impossibilité pour le conseil municipal de décider du retrait d’une délibération relative à une élection, le pouvoir d’annulation d’un scrutin n’appartenant qu’au seul juge électoral.
I. Le maire peut-il renoncer à proclamer les résultats d’une élection et le conseil municipal peut-il annuler des opérations qui se sont déroulées en son sein ?
I-1. En droit, l’article L2122-4 du Code général des collectivités territoriales dispose notamment que :
le conseil municipal élit le maire et les adjoints parmi ses membres, au scrutin secret.
En 1992, saisi d’un recours formé à l’encontre de l’élection, par le conseil municipal de Mirabeau, de ses délégués au sein d’un organisme extérieur, le Conseil d’Etat a jugé qu’une fois les résultats proclamés, l’organe délibérant n’avait pas le pouvoir d’organiser un nouveau scrutin même au motif que le premier scrutin faisait l’objet d’un recours devant le juge électoral [3].
Ainsi que l’indiquait, Monsieur Francis Gazier, Rapporteur public sous la décision d’assemblée du Conseil d’Etat du 31 mai 1957 :
« Admettre qu’en matière électorale, pour un vice de fond ou même de procédure, la proclamation de résultats puisse
être qualifiée d’inexistante, c’est offrir une grande tentation à d’éventuels administrateurs autoritaires qui, prenant prétexte d’irrégularités spontanées ou provoquées, pourraient ainsi justifier une intervention dans des élections directement contraire aux exigences les plus élémentaires de la légalité démocratique » [4].
En 2010, dans un contentieux relatif à l’élection, par le conseil municipal de ses représentants au sein d’une communauté urbaine [5], qui avait fait l’objet de deux délibérations successives, le Conseil d’Etat a considéré que :
« les opérations électorales du 22 janvier 2009 n’étaient entachées d’aucune irrégularité justifiant que le maire de L’Union renonce à en proclamer les résultats ; qu’il ne pouvait, dès lors, légalement se fonder sur le motif que le scrutin n’avait pas abouti à la désignation des délégués pour convoquer le conseil municipal à de nouvelles opérations électorales ». [6].
Il pouvait être déduit de cette décision que, a contrario, certaines irrégularités auraient permis au maire de renoncer à proclamer les résultats d’une élection.
Plus récemment, dans une décision publiée au recueil, le Conseil d’Etat a expressément jugé que tel n’était pas le cas :
« à l’issue d’opérations électorales au sein d’une assemblée délibérante, le président de celle-ci est tenu d’en proclamer les résultats. Toutefois, en cas d’irrégularité de nature à vicier la sincérité du scrutin, l’assemblée peut, après avoir été informée des résultats de celui-ci et de la nature de l’irrégularité invoquée, décider à l’unanimité de procéder à un second vote. Le juge de l’élection, saisi d’une protestation contre le nouveau scrutin, doit se voir transmettre les éléments lui permettant de se prononcer sur l’existence de l’irrégularité invoquée pour justifier la nullité des premières opérations électorales afin, en l’absence d’une telle irrégularité, d’annuler les résultats issus du second vote et de proclamer, le cas échéant, les résultats initiaux » [7].
Selon cette décision :
le président de l’organe délibérant ou le maire est contraint de proclamer les résultats même s’il est informé d’une irrégularité ;
en revanche, averti de la situation, l’organe délibérant peut décider à l’unanimité de procéder à un second vote s’il a connaissance d’une irrégularité de nature à altérer la sincérité du vote et ce, sous contrôle, du juge de l’élection.
Si l’on se réfère aux conclusions de Monsieur Vincent DAUMAS, Rapporteur public sous cette affaire, cette dérogation autorisant l’organe délibérant à annuler l’élection qui s’est tenue en son sein doit être limitée aux seuls cas d’irrégularités évidentes et incontestables et ce, bien évidemment, sous contrôle du juge.
I-2. Dans notre affaire, Jean-Christophe Lagarde avait été proclamé élu après le scrutin du 7 juillet 2022.
Par conséquent, ainsi que le rappelle le Tribunal administratif de Montreuil dans sa décision du 8 septembre 2022 :
« lorsqu’un scrutin a été tenu et que les résultats en ont été proclamés par l’autorité administrative chargée de son organisation, cette dernière ne saurait légalement « annuler » l’élection, ni prétendre convoquer un second scrutin, alors même que la tenue du second scrutin serait motivée par des irrégularités entachant le premier, sous peine d’empiéter sur les attributions du juge de l’élection ».
Le juge de l’élection rejette donc l’exception de non-lieu à statuer opposée par la Ville qui prétendait que la tenue de la seconde élection du 14 juillet 2022 avait couvert l’irrégularité du premier scrutin du 7 juillet précédent :
« Il est constant que M. Lagarde a été proclamé élu onzième adjoint au maire à l’issue de la séance du conseil municipal du 7 juillet 2022, la décision ultérieure du maire de reconvoquer le conseil municipal aux fins de procéder à une nouvelle élection, ainsi que la délibération du 14 juillet 2022 « annulant » les opérations électorales du 7 juillet précédent à l’issue desquelles M. Lagarde avait été proclamé élu en qualité de onzième adjoint au maire de Drancy, doivent être regardées comme nulles et non avenues ».
Toutefois, le Tribunal vient ajouter que :
« Il eut été loisible, postérieurement à la tenue du premier scrutin, en cas d’irrégularité de nature à vicier la sincérité dudit scrutin, au maire de s’abstenir d’en proclamer les résultats et à l’assemblée délibérante, après avoir été informée des résultats du scrutin et de la nature de l’irrégularité invoquée, de décider à l’unanimité de procéder à un second vote ».
Même si, le Tribunal conditionne la possibilité d’organiser un nouveau vote à la décision unanime de l’assemblée délibérante, on peut regretter qu’il soit expressément écrit que le chef de l’exécutif aurait eu le pouvoir de ne pas proclamer les résultats.
En effet, ainsi que cela a été précédemment exposé, le Conseil d’Etat est formel : le président de l’assemblée délibérante « est tenu de proclamer les résultats ». On aurait, peut-être, préféré que le Tribunal se limite à indiquer qu’il aurait été loisible au maire, après la tenue du scrutin et avant la proclamation des résultats, d’informer l’assemblée délibérante de l’irrégularité dont le scrutin était entaché et de proposer à cette dernière de décider, à l’unanimité, d’organiser un second vote.
Quoiqu’il en soit, les résultats ayant été proclamés, seul le juge de l’élection pouvait se prononcer sur la légalité du scrutin et décider ou non de son annulation.
La décision du maire de reconvoquer le conseil municipal aux fins de procéder à une nouvelle élection du 11ème adjoint, ainsi que la délibération du 14 juillet 2022 « annulant » les opérations électorales du 7 juillet précédent sont alors qualifiées par le Tribunal de « nulles et non avenues ».
II. Sur l’irrégularité du scrutin du 7 juillet 2022 : absence d’acceptation par le préfet de la démission du 11ème adjoint à la date de la convocation du conseil municipal.
Aux termes de sa première protestation électorale, le requérant arguait de l’illégalité de l’élection d’un nouvel adjoint le 7 juillet 2022 puisque, à cette date, la démission de « l’ancien » 11ème adjoint n’avait pas encore été acceptée par le préfet, l’élu démissionnaire était donc toujours en fonction.
II-1. En droit, l’article L2122-15 du Code général des collectivités territoriales dispose notamment que :
« la démission du maire ou d’un adjoint est adressée au représentant de l’Etat dans le département. Elle est définitive à partir de son acceptation par le représentant de l’Etat dans le département ou, à défaut de cette acceptation, un mois après un nouvel envoi de la démission constatée par lettre recommandée ».
Il est de jurisprudence constante que la démission d’un maire ou d’un adjoint est effective qu’une fois qu’elle a été acceptée par le préfet et que cet accord a été porté à la connaissance de l’intéressé.
Le conseil municipal ne peut être convoqué qu’à compter de cette date [8].
II-2. En l’espèce, le protestataire ne faisait pas référence à la date de convocation du conseil municipal mais indiquait que le courrier d’acceptation de la démission du préfet n’avait été reçu en mairie que le 8 juillet 2022 soit un jour après l’élection du nouvel 11ème adjoint.
Le conseil municipal avait, quant à lui, été convoqué le 1er juillet 2022 et l’élection du 11ème adjoint s’était tenue le 7 juillet 2022.
Quelle que soit la date retenue : le jour du scrutin ou, a fortiori, la date de la convocation des électeurs, ces dernières précédaient celle de la notification du courrier d’acceptation de la démission. Il était donc impossible d’organiser le scrutin dès le 7 juillet.
Ce point de droit ne faisait d’ailleurs pas débats puisque c’est cette irrégularité qui a conduit la maire de Drancy à organiser une nouvelle élection, le 14 juillet 2022.
Le Tribunal juge donc, sans surprise, que :
« Il résulte de l’instruction que l’élection du 7 juillet 2022 a été organisée afin de désigner un nouvel adjoint au maire en remplacement de M. Lastapis, onzième adjoint, qui a transmis sa démission de ses fonctions d’adjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis par courrier du 1er juillet 2022. Or, à la date de convocation du conseil municipal, le 1er juillet 2022, il est constant que l’accord du préfet sur la démission de M. Lastapis n’avait pas encore été notifié à ce dernier. Partant, la convocation du conseil municipal pour procéder à l’élection de son remplaçant le 7 juillet 2022 était prématurée, entachant d’irrégularité ce scrutin, ainsi au demeurant que l’avait constaté la commune ».
Sur ce fondement, le Tribunal annule les opérations électorales du 7 juillet 2022 à l’issue desquelles Jean-Christophe Lagarde avait été proclamé élu en qualité de 11ème adjoint.
III. Sur la demande d’annulation de la délibération du 14 juillet 2022 en ce qu’elle a annulé l’élection du 7 juillet précédent.
Aux termes de la seconde protestation électorale formée à l’encontre de la nouvelle élection du 14 juillet 2022, le protestataire demandait, outre l’annulation dudit scrutin, l’annulation de la délibération en ce qu’elle annulait l’élection du 7 juillet précédent.
Le Tribunal administratif de Montreuil devait alors déterminer si, en sa qualité de juge électoral, il était compétent pour connaitre de cette demande.
La question était la suivante : la décision du conseil municipal portant annulation du scrutin du 7 juillet 2022 était-elle détachable ou non de la demande principale d’annulation de l’élection du 14 juillet suivant ?
III-1. En droit, lorsqu’un acte administratif est qualifié de détachable des opérations électorales, il doit faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, indépendant d’une protestation électorale.
Ainsi, à titre d’exemple, le refus de convoquer les électeurs est un acte détachable de l’élection qui ne relève pas de la compétence du juge électoral [9]. Cette solution est assez logique puisque, par définition, en cas de refus d’organiser une élection, il n’y aura pas d’opération électorale.
Désormais, il en va de même de l’acte portant convocation des électeurs qui doit être directement contestée devant le juge de l’excès de pouvoir. Toutefois, ce recours devient dépourvu d’objet postérieurement à la date du scrutin et entrainera un non-lieu à statuer de la part du juge administratif [10].
Ainsi, pour que les élections ne se tiennent pas du fait de l’illégalité de la décision portant convocation des électeurs, encore faut-il que le juge de l’excès de pouvoir puisse être mis en mesure de statuer avant le jour du scrutin. La procédure du référé suspension trouve alors tout son intérêt [11].
Le juge électoral pourra, néanmoins, toujours être amené à se prononcer sur la régularité de l’acte de convocation des électeurs via une demande d’exception d’illégalité formée à l’appui d’une protestation électorale [12].
Il sera précisé que le Conseil Constitutionnel qui est le juge des élections générales du Président de la République, des députés et des sénateurs considère qu’il a la compétence pour statuer exceptionnellement sur les requêtes « mettant en cause l’élection à venir, dans les cas où l’irrecevabilité qui serait opposée à ces requêtes risquerait de compromettre gravement l’efficacité de son contrôle de l’élection, vicierait le déroulement général des opérations électorales ou porterait atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics » [13] [14].
Tel ne sera pas le cas du décret de convocation à un élection partielle [15].
III-2. En l’espèce, le Tribunal considère que la décision du conseil municipal de Drancy d’annuler la précédente élection du 7 juillet 2022 de Jean-Christophe LagardE comme 11ème adjoint « n’est pas détachable des opérations électorales du 14 juillet suivant ».
Ainsi, le juge électoral est compétent pour apprécier la légalité de cette décision qui, en effet, ne présente pas d’intérêt en dehors du contentieux électoral.
Il vient d’être dit que le maire et le conseil municipal étaient respectivement incompétents pour décider d’organiser une nouvelle élection et annuler la précédente alors que les résultats avaient été précédemment proclamés.
Le juge électoral du Tribunal administratif de Montreuil considère donc que le protestataire était fondé à exciper de « l’inexistence » de ces deux décisions.
IV. Sur l’absence de caractère public du scrutin.
Le protestataire soulevait également une critique tirée de l’absence de caractère public des séances des 7 et 14 juillet 2022 au cours desquelles les deux scrutins avaient été organisés.
Le Tribunal estime qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur ce grief puisqu’il a retenu les autres moyens développés par le protestataire pour considérer que devaient être annulées les deux élections successives de Jean-Christophe Lagarde comme 11ème adjoint, les 7 et 14 juillet 2002.
Il s’agit là de la technique de l’économie des moyens qui, dans certains contentieux, autorise le juge à ne pas se prononcer expressément sur toutes critiques soulevées par un requérant.
Il sera, néanmoins, rappelé qu’en droit, l’article L2121-18 du Code général des collectivités territoriales prévoit que les séances du conseil municipal sont publiques mais qu’à la demande de trois membres ou du maire, « le conseil municipal peut décider, sans débat, à la majorité absolue des membres présents ou représentés, qu’il se réunit à huis clos ».
Ainsi, si la tenue du huis n’a pas été décidée conformément aux dispositions de l’article L2121-18 précitée, l’élection sera annulée [16].
Le juge vérifiera également si la décision de recours au huis clos « ne repose pas sur un motif matériellement inexact et n’est pas entaché d’erreur de droit, d’erreur de manifeste d’appréciation ou de détournement de pouvoir » [17].
Cette décision du Tribunal administratif de Montreuil a le mérite de rappeler la marge de manœuvre très limitée dont dispose les assemblées délibérantes pour annuler une élection une fois qu’elle s’est tenue mais lorsque les résultats n’ont pas été proclamés.