Position statutaire et inéligibilité. Par Benoit Fleury, Juriste.

Position statutaire et inéligibilité.

Par Benoit Fleury, Juriste.

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Explorer : # inéligibilité # Élection municipale # code électoral # conseil d'État

Les élections municipales sont fréquemment le théâtre d’un mélange des genres, compréhensible pour qui s’intéresse aux ressorts de la démocratie locale, mais parfois dangereux : la candidature d’agents de collectivités territoriales. Le Conseil d’Etat vient d’en livrer un beau témoignage, classique, mais précieux par le rappel des principes applicables (CE 17 oct. 2012, n° 358762, Mme B.)

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En l’espèce, une élection municipale partielle s’est déroulée à Ailly-sur-Noye (Somme), le 5 février 2012 afin de procéder au renouvellement de huit membres du conseil municipal. A l’issue du premier tour de scrutin, les huit sièges à pourvoir ont été attribués à une liste conduite par Monsieur M., alors chef de cabinet du président du conseil général de la Somme et sur laquelle a été élue Madame A., responsable, à la date de l’élection, de la mission de la communication interne di conseil régional de Picardie.

Le maire de la commune a saisi le tribunal administratif d’Amiens, d’une protestation électorale tendant à l’annulation de l’élection municipale partielle et à ce que soient déclarés inéligibles les deux candidats sur le fondement de l’article L. 231 8° du code électoral suivant lequel « ne peuvent être élus conseillers municipaux dans les communes situées dans le ressort où ils exercent ou ont exercés leurs fonctions depuis moins de six mois […] les directeurs de cabinet du président du conseil général et du président du conseil régional, les directeurs généraux, les directeurs, les directeurs adjoints, chefs de service et chefs de bureau de conseil général et de conseil régional, le directeur de cabinet du président de l’assemblée et le directeur de cabinet du président du conseil exécutif de Corse, les directeurs généraux, les directeurs, les directeurs adjoints, chefs de service et chefs de bureau de la collectivité territoriale de Corse et de ses établissements publics, les directeurs de cabinet des présidents d’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre et les directeurs des services d’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ».

Par un jugement du 27 mars 2012, le magistrat administratif a fait droit à la requête du maire, seulement en ce qu’elle concerne M. M. L’édile a alors formé un pourvoi, sur le fondement de l’article R. 116 du code électoral.
La Haute juridiction administrative réitère son approche classique en pareil cas en recherchant, lorsque le poste que l’intéressé occupe au sein d’une collectivité territoriale n’est pas mentionné en tant que tel au 8° de l’article L. 231, si la réalité des fonctions exercées ne confère pas à leurs titulaires des responsabilités équivalentes à celles exercées par les personnes mentionnées par ces dispositions ; peu importe d’ailleurs à cet égard que les fonctions exercées soient purement internes à la collectivité ou, au contraire, en rapport avec les autres collectivités territoriales.

Pour M. M., chef de cabinet au conseil général à la date de son élection, la réponse ne faisait guère de doute et l’on peut même s’étonner d’une telle candidature tant la jurisprudence est claire sur la question depuis l’arrêt de section Elections municipales de Louhans de 1983 par lequel le Conseil d’Etat a étendu l’inéligibilité alors prévue par l’article L. 231 7°, précisément à une personne exerçant les fonctions de chef de cabinet du président du conseil général (CE, sect., 16 déc. 1983, El. mun. de Louhans : Lebon, 520 ; D. 1984, 144, note Prétot ; AJDA 1984, p. 336, concl. Thiriez). Cette inéligibilité frappe également les membres du cabinet ou autres « conseillers techniques auprès du président de l’assemblée » (TA Versailles, 2 déc. 1983, Rochon : Lebon, t. 735), alors même que ledit conseiller ne détiendrait aucun pouvoir de décision et que son ne figure pas sur l’organigramme des services (CE 12 déc. 1997, El. mun. de Saint-Philippe : Lebon, t. 830 et 1013).

Plus délicate pouvait être la situation de Madame A. Dans cette hypothèse, le magistrat administratif procède à une analyse in concreto en recourant à plusieurs critères, un faisceau d’indices en quelque sorte. Pour apprécier si les fonctions de l’intéressé tombent sous le couperet des incompatibilités susvisées, il peut ainsi prendre en considération la place occupée par l’agent dans l’organigramme de la collectivité : « est inéligible le candidat qui exerçait, à la date de l’élection, les fonctions de directeur général adjoint en charge de la délégation économie et développement des compétences au conseil régional de Franche-Comté, cette délégation regroupant, au vu de l’organigramme des services de la région, trois directions » (CE 19 déc. 2008, n° 317043, El. mun. de Doulaize, cne associée d’Eternoz : AJDA 2009, p. 1304, chron. Liéber et Botteghi ; JCP A 2009, 22 ; BJCL 2009, 128, concl. Thiellay, obs. M. G.). Cette place révèle en définitive le niveau hiérarchique de la personne  : « est inéligible l’adjoint au directeur de l’agriculture dans les services de la région, compte tenu de son niveau hiérarchique, même s’il ne disposait pas de délégation de pouvoir ou de signature » (CE 29 juin 1990, El. mun. de Castanet-Tolosan : Lebon, t. 788).
L’analyse ainsi opérée peut naturellement conduire à valider une candidature :

« une personne, employée dans les services administratifs d’un conseil général, n’occupant pas des fonctions de chef de service et ne disposant pas d’une délégation générale de signature du directeur départemental des routes, qui n’était placé, sous l’autorité du chef de bureau administration et finances, qu’à la tête de celle des deux cellules composant ce bureau dénommée comptabilité-marchés et qui ne disposait que d’une délégation partielle de signature en cas d’absence ou d’empêchement du chef de bureau, pour la mise en œuvre des opérations matérielles de publication des appels d’offre et la constitution des dossiers de marchés, contrats, conventions ; eu égard à la nature des tâches qui lui étaient confiées, qui était de pure exécution, les fonctions qu’elle exerçait, qui ne lui conféraient aucun pouvoir de décision, ne sauraient être assimilées à celles qui sont visées par l’article L. 231-8° » (CE 10 juill. 1996, n° 174111, El. mun. de Lédignan). »

Faisant application de cette méthode au cas d’espèce, le Conseil d’Etat souligne que, dans le cadre de ses fonctions, Madame A. « encadrait trois agents, disposait d’une délégation de signature, notamment à l’effet de signer des marchés et bons de commande et occupait dans l’organigramme du conseil régional une place identique à celle d’autres chefs de bureau ». Dès lors, il ne peut que constater son inéligibilité au regard des dispositions de l’article L. 231 du code électoral.


Notes :

CE 17 oct. 2012, n° 358762, Mme B.
http://www.juricaf.org/arret/FRANCE-CONSEILDETAT-20121017-358762

CE 19 déc. 2008, n° 317043, El. mun. de Doulaize
http://droit-finances.commentcamarche.net/jurisprudence/administrative-3/mentionnes-3/1047043-conseil-d-etat-5eme-et-4eme-sous-sections-reunies-19-12-2008-317043

Benoit Fleury
Directeur Général adjoint des services du Conseil Général de Vendée en charge du pôle juridique et du contrôle de gestion (en détachement de l’université de Poitiers).
Membre du comité de rédaction de la Semaine Juridique - Administrations Collectivités territoriales (JCP A)
http://benoit-fleury.blogspot.fr/

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