L’entraîneur de l’O.M. pouvait-il être licencié pour faute grave ?

Par Pierre Robillard, Avocat.

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Explorer : # faute grave # licenciement # droit du travail # entraîneur de football

La nouvelle est presque passée inaperçue tant les médias avaient fait leurs choux gras des déboires du club de football marseillais au mois d’avril : l’entraîneur de l’équipe principale, l’Espagnol Michel, vient pourtant d’être licencié pour faute grave.

Il n’est ni le premier, ni le dernier de son espèce à subir les aléas d’un sport collectif professionnel mais sa médiatisation est justement l’occasion de faire un point sur les règles juridiques : en effet, un entraîneur est (aussi) un salarié comme un autre.

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Rappelons tout d’abord aux plus footeux et aux moins juristes de nos lecteurs que la notion de « faute grave » n’est pas définie par le Code du travail, mais par la jurisprudence. Depuis 2007, la Cour de cassation [1] considère que c’est celle qui « rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise ». Elle suppose donc un effet immédiat et, par conséquent, l’absence de préavis. Qu’il soit sous contrat à durée déterminée ou indéterminée, le salarié concerné quitte ses fonctions sur le champ et se voit privé de toute indemnité de licenciement (il conserve en revanche l’indemnité compensatrice des congés payés acquis et non pris).

Cette absence de définition textuelle permet donc une appréciation très concrète et subjective de ce qui constitue (ou pas) une faute grave, selon ceux qui disposent à cet égard d’une « appréciation souveraine » : ce sont les « juges du fond » c’est-à-dire les hommes et les femmes qui siègent dans les Conseils de Prud’hommes et les cours d’appel. Toutefois, bien qu’en principe pas concernée par les aspects factuels, mais seulement juridiques, la Cour de cassation reconnaît systématiquement la gravité de certains faits : manifestations de racisme ou d’antisémitisme [2], propos ou écrits à connotation sexuelle [3], fraude ou malversation [4], et évidemment en cas violence [5]. En revanche, une absence, voire des retards répétés, n’entraînent pas forcément une telle faute [6].

Donne-moi ton classement, je te dirai si ton entraineur est fautif…

Cette première énumération pourrait laisser penser que des résultats sportifs décevants ne peuvent en aucun cas constituer une faute grave. Revenons en effet au cas de l’entraîneur phocéen, qui fut démis de ses fonctions le 19 avril dernier alors que son club évoluait à la 16ème place de la ligue 1 et s’approchait dangereusement de la zone de relégation… Le moins que l’on puisse dire est que le communiqué émis alors par son employeur laissait entrevoir des griefs extrêmement sévères. Que le lecteur en juge par lui-même : « Compte tenu du comportement de Michel notamment durant ses trois dernières semaines, le club l’a suspendu avec effet immédiat et convoqué à un entretien préalable » ( !).

Cette suspension à effet immédiat correspond juridiquement à « mise à pied conservatoire », qui constitue habituellement la première étape de la procédure de licenciement pour faute grave. Elle permet de mettre sur la touche le salarié en question, pour qu’il cesse précisément de commettre les fautes qu’on lui reproche. Ici, l’Olympique de Marseille a souhaité mettre un terme à sa série de matches sans victoire qui aurait pu la conduire directement en division inférieure, un crime de lèse majesté sur la Canebière !

Au-delà de la passion marseillaise, les enjeux financiers du football moderne ont transformé les équipes en entreprises classiques, avec des objectifs de chiffre d’affaires et de performances. Il est loin le temps des associations à but non lucratif, même si la plupart des clubs actuels sont comptablement déficitaires. Il n’est donc pas étonnant que le droit du travail ordinaire s’y applique dans toute sa rigueur. Les joueurs, salariés comme l’entraineur et sous CDD comme lui, semblent toutefois moins exposés au risque de licenciement (par exemple, Serge Aurier, joueur au PSG, a « simplement » écopé d’une amende de 160.000 euros + quelques matches de suspension après avoir traité son entraineur de « fiotte » en février 2016).

La mise à pied constitue aussi un outil juridique stratégique au service de l’employeur : il peut la déclencher afin de régler rapidement une situation stagnante. C’est manifestement la voie choisie par le Tours Football Club à l’égard de son entraineur Marco Simone, mis à pied en pleine négociation sur son départ, à un an de la fin de son CDD (l’Équipe du 15 06 2016).

La faute grave, à quel prix ?

Revenons au cas Michel : à 4 journées de la fin du championnat, il ne pouvait pas être question de préavis, l’urgence imposait de le remplacer. Mais, au-delà des considérations purement sportives, chacun aura compris qu’en agissant avec une certaine brutalité, l’employeur cherche aussi ici à ne pas verser la moindre indemnité à son salarié. En l’occurrence, le contrat liait en principe les parties jusqu’en juin 2017. A environ 120.000 euros de salaire mensuel, cela signifie que l’OM aurait du verser une indemnité compensatrice d’environ 14 mois de salaire à l’entraîneur pour s’en séparer avant terme à l’amiable, soit la bagatelle de 1.650.000 euros, selon les calculs du journal La Provence repris par le quotidien 20 minutes. Une des particularités des CDD consiste en effet à ne pouvoir être rompu avant terme qu’en cas de faute grave. Au point que les journalistes de l’Équipe ont recensé sur le ton humoristique plusieurs « astuces » pour licencier gratuitement son entraîneur, autant de pseudo « fautes graves » permettant à l’employeur d’échapper aux indemnités…

Appréciation souveraine par les juges du fond

Quel que soit le motif invoqué, il peut être soumis à l’appréciation d’un Conseil de Prud’hommes dont les magistrats auront la tâche d’apprécier si le motif invoqué constitue (ou pas) une faute grave. Dans ce domaine, il existe autant de motifs que de situations. C’est ainsi qu’au mois de novembre 2015, l’entraîneur du Havre Athlétique Club (Thierry Goudet) a été exclu pour des motifs qui laissent songeur : ne pas avoir utilisé un joueur de son effectif, avoir donné des consignes « non appropriées » à ses attaquants lors d’un match (pourtant gagné) et de ne pas avoir prévenu sa direction de la stratégie qu’il allait mettre en place pour une autre rencontre… (lequipe.fr - 10 11 2015). N’oublions pas que dans ce cas de figure, l’employeur licencie d’abord pour faute grave et discute ensuite (à condition que le salarié saisisse la juridiction prud’homale) ; nombre de procès n’ont d’ailleurs pas réellement eu lieu, dans la mesure où une conciliation peut être atteinte entre temps.

On se souvient d’ailleurs d’un autre cas très médiatique, celui de l’ancien sélectionneur de l’équipe de France, Raymond Domenech, qui avait été licencié en 2010 pour… faute grave. Parmi les griefs, il lui était reproché d’avoir lu le communiqué des joueurs grévistes isolés dans leur car en pleine coupe du monde à Knysna (Afrique du sud). Cette scène télévisée avait défrayé la chronique. Finalement, un accord amiable avait été conclu (pour 975.000 euros d’après Challenges).

Preuve et doute

Une dernière particularité procédurale relative à la faute grave doit être soulignée : la preuve en incombe à l’employeur, c’est-à-dire qu’il lui faudra démontrer les griefs invoqués. Le Code du travail (art. L 1235-1) rappelle d’ailleurs que le doute éventuel profite au salarié ; autrement dit, il s’agit de la présomption d’innocence appliquée au salariat. La justice étant rendue par des êtres humains et, a fortiori, par des juges non professionnels composant le Conseil de Prud’hommes, il n’est pas impossible que, sur une terre de football comme à Marseille, les 4 magistrats qui auront peut-être à examiner le dossier Michel contre OM aient une conception personnelle de la notion de « faute grave »… et en tout cas toute différente de celle de leurs collègues d’un des 209 autres Conseils de Prud’hommes français. « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » écrivait déjà Pascal (Blaise, pas Olmetta) au XVIIème siècle.

Responsabilité personnelle ou collective ?

Le cas de Michel pose enfin la question de la responsabilité individuelle d’une débâcle collective : certes, le rôle d’un entraîneur est primordial pour une équipe de football mais comment, en dehors de cas évidents, lui imputer les erreurs commises sur le terrain par les 11 autres (eux aussi salariés du même employeur) qu’il a la charge de diriger ? De plus, la faute grave implique un comportement volontaire : certes, Michel n’a pas pu faire exprès de perdre les matches ; mais a-t-il déployé toutes ses compétences pour tenter de les gagner ?

Même si l’OM parvient à le démontrer, cela risque bien de ne pas suffire pour valider la faute grave. En effet, les juges de la Cour de cassation restent droit dans leurs chaussures à crampons et considèrent constamment que, « sauf abstention volontaire ou mauvaise volonté délibérée du salarié  [7], l’insuffisance professionnelle n’a pas un caractère fautif » [8]. En se plaçant sur le terrain disciplinaire l’employeur prononcerait un licenciement sans cause réelle ni sérieuse [9].

Tout cela, l’OM ne l’ignore pas. C’est donc en toute connaissance de cause que ses dirigeants ont choisi d’invoquer une faute grave. Cette décision obéit à des impératifs plus sportifs qu’économiques, au moins dans un premier temps. Les indemnités dues à Michel avaient d’ailleurs été provisionnées (l’Équipe du 24 04 2016) ; l’éviction de l’entraineur permet de se donner de l’oxygène à un moment où l’entreprise est d’ailleurs à la recherche d’un repreneur… qui héritera sans doute du procès prud’homal.

Maître Pierre ROBILLARD, avocat, spécialiste en droit du travail, diplômé de Sciences Po Paris.

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Notes de l'article:

[1Chambre sociale, n°06-43867.

[2Par exemple Cass. Soc. 25 janvier 1995, n°93-42610 ; 2 juin 2004, n°03-45269.

[3Cass. Soc. 2 juin 2004, n° 02-44904.

[4Cass. Soc. 23 janvier 2007, n° 04-47947.

[5Par exemple : Soc 22 mars 2007, n°05-41179 ; Soc. 24 janvier 2008, n°06-42208.

[6Cass. Soc. 26 janvier 2010, n°06-46140, Soc. 26 juin 2012, n°10-28751.

[7Cass. soc. 27-11-2013, n°12-19.898.

[8Cass. soc. 25-1-2006 n°04-40.310 ; 27-11-2013 n° 11-22.449.

[9Cass. soc. 11-3-2008 n°07-40.184.

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