1. Une recevabilité conditionnée des témoignages anonymisés.
1.1. La distinction entre témoignage anonyme et témoignage anonymisé.
Il convient de distinguer deux notions qui répondent à des régimes probatoires distincts.
Le témoignage anonyme est celui dont l’auteur reste inconnu de toutes les parties, y compris celle qui le produit.
Le témoignage anonymisé, en revanche, est celui qui a été rendu anonyme a posteriori afin de protéger son auteur, mais dont l’identité est connue par celui qui le produit, comme l’employeur.
La recevabilité et la force probante de ces témoignages diffèrent sensiblement.
1.2. L’apport de l’arrêt du 19 mars 2025 : un contrôle de proportionnalité.
Jusqu’à présent, la chambre sociale admettait la recevabilité des témoignages anonymisés uniquement lorsqu’ils étaient corroborés par d’autres éléments permettant d’en analyser la crédibilité [1].
L’arrêt du 19 mars 2025 va plus loin en précisant que même en l’absence d’autres éléments corroborant ces témoignages, le juge doit procéder à un contrôle de proportionnalité.
Il appartient ainsi au juge d’apprécier si la production du témoignage anonymisé porte atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble.
Pour ce faire, le juge doit mettre en balance le principe d’égalité des armes et les droits antinomiques en présence.
Le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte au principe d’égalité des armes à deux conditions cumulatives :
- Cette production doit être indispensable à son exercice.
- L’atteinte doit être strictement proportionnée au but poursuivi.
2. Les garanties associées à la recevabilité des témoignages anonymisés.
2.1. La protection des témoins face à l’obligation de sécurité de l’employeur.
L’arrêt du 19 mars 2025 prend en compte l’obligation de sécurité de l’employeur envers ses salariés.
En effet, l’employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs [2].
Cette obligation implique notamment la prévention des risques de violence auxquels sont exposés les salariés du fait d’autres salariés.
En l’espèce, l’anonymisation des témoignages répondait à un impératif de protection des témoins qui craignaient des représailles de la part du salarié licencié.
2.2. Le rôle du commissaire de justice comme tiers de confiance.
Dans l’affaire jugée le 19 mars 2025, les témoignages anonymisés avaient été recueillis par un huissier de justice (aujourd’hui : commissaire de justice).
Cette intervention d’un officier public et ministériel assermenté constitue une garantie importante pour la fiabilité des témoignages.
En effet, les constatations recueillies par l’huissier font foi jusqu’à preuve contraire [3].
La Cour de cassation retient que cette intervention est un élément à prendre en considération lors de l’appréciation de la crédibilité et de la pertinence des témoignages anonymisés.
3. Les limites de cette recevabilité.
3.1. Le respect du principe du contradictoire.
La recevabilité des témoignages anonymisés ne dispense pas du respect du principe du contradictoire.
Même si l’identité des témoins est protégée, le contenu des témoignages doit être porté à la connaissance du salarié poursuivi pour lui permettre d’en discuter les éléments matériels.
La Cour de cassation précise que le salarié licencié avait pu débattre de manière contradictoire de la matérialité des griefs formulés à son encontre.
3.2. La nécessité de justifier l’anonymisation.
L’employeur doit justifier que l’anonymisation était indispensable pour protéger les témoins.
En l’espèce, la cour relève que la crainte de représailles était étayée par la nature même des faits reprochés (violences verbales et physiques).
Par ailleurs, il était établi que le salarié avait déjà été affecté à une équipe de nuit pour un comportement similaire, ce qui crédibilisait les craintes exprimées par les témoins.
En définitive, cet arrêt clarifie utilement les conditions de recevabilité des témoignages anonymisés tout en préservant un équilibre entre les droits de la défense du salarié et la nécessaire protection des témoins.
Il s’inscrit dans une évolution jurisprudentielle tendant à une appréciation plus souple des conditions de recevabilité des preuves, sous réserve d’un contrôle de proportionnalité rigoureux, à l’image de la jurisprudence récente en matière de preuve déloyale [4].