[Tribune] Faut-il déshabiller les huissiers-audienciers ?

Par Rémi Oliveras, Juriste Assistant.

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Explorer : # histoire des huissiers # tenue vestimentaire # droit pénal # tradition juridique

Le port de la robe par l’huissier de Justice, désormais commissaire de Justice, s’inscrit dans une symbolique de dignité de la fonction, effaçant l’individualité au profit de la compagnie. Elle lui rappelle le poids du passé, et les rigueurs de sa charge. Néanmoins, a-t-il légalement le droit de porter la robe ?

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Historiquement, les sergents (ancêtres de nos commissaires de justice actuels) devaient porter un habit « rayé ou parti » [1], imposé par une ordonnance d’octobre 1485 [2]. Elle précise que l’habit doit être porté en tout temps, même en dehors de ses fonctions. On retrouve là le « sacerdoce » des professions juridiques, la défense de la loi ne devant pas s’arrêter aux horaires d’exercice de la profession.

Pour les huissiers des juridictions supérieurs, la tenue était des plus dignes. Le premier huissier du Parlement de Paris (qui avait en outre le titre de maître, la qualité d’écuyer et celle de noble) portait un costume semblable à celui des membres de la cour, alors que les huissiers ordinaires des juridictions souveraines portaient seulement la robe noire. Ce haut personnage était vêtu d’une robe rouge écarlate et portait un bonnet de drap d’or retroussé d’hermine avec une rose de perles. Il recevait également chaque année, un écritoire et une paire de gants offerts par les religieux de Saint-Martin-des-Champs. Les huissiers de la grande Chancellerie (dont la charge conférait la noblesse) portaient ordinairement une robe de satin noir avec rabat plissé, une toque de velours et des gants à franges d’or.

Hors de tout ce faste, les huissiers-audienciers assuraient le service avec une robe noire et une fraise blanche. Les sergents de la douzaine - sergents à verge affectés temporairement à la garde du prévôt de Paris - portaient sur leurs habits douze petites bandes de soie blanche, rouge et verte [3]. Quand ces derniers accompagnent le prévôt au Châtelet ou aux cérémonies publiques, ils portent hocqueton et hallebarde. Puis, lors de l’accompagnement du prévôt aux obsèques des Rois de France, les quatre d’entre eux choisis revêtaient pour l’occasion la robe de deuil des autres officiers du roi.

Point d’habits rayés au XVIᵉ siècle : l’article 89 de l’ordonnance d’Orléans du 15 janvier 1560 [4] prévoit un écusson à trois fleurs de lys : « porteront nos sergens un écusson de trois fleurs de lys, pour estre conneüs et obéys en l’exercice de leurs estats et charges ». Ces derniers se retrouvent ainsi marqués du signe de la royauté, confirmant à nouveau la confiance que le Roi portait en leur travail.

Jusqu’à la Révolution, les huissiers semblaient porter uniquement un habit noir, comme le confirma Molière dans Tartuffe, ou encore Alexandre Dumas : « C’était un homme de quarante-cinq ans, long, mince, grave, tout vêtu de noir, comme il convenait à sa profession » [5]. La révolution n’a pas fait énormément évoluer la tenue : seul une chaîne dorée descendant sur la poitrine leur a été rajouté, et ils n’ont plus été obligés de porter leur uniforme en dehors de leur travail.

Le Directoire [6], voulant renouer avec la tradition de l’huissier à Fleur de Lys, digne serviteur du Roy, imposera aux huissiers un habit de drap bleu national, veste et culotte rouge, ainsi qu’un chapeau à la française, et toujours une médaille attestant de leurs fonctions. Le ridicule de la tenue n’échappera à personne, et elle semble ne pas avoir été utilisée.

C’est l’arrêté du 2 nivôse an II qui règle jusqu’à nos jours la question de la tenue : le costume de l’huissier se compose d’un habit noir complet à la Française, avec manteau de laine noir revenant par devant, de la largeur de l’habit. Ils tiennent à la main une baguette noire (réminiscence de la fameuse verge). Jamais abrogé, cet arrêté constitue encore le texte officiel.

En dehors des audiences, l’huissier ne revêt plus son habit : on peut voir sur de nombreuses illustrations de Daumier un huissier effectuer une signification en costume de ville. L’usage [7] a consacré la robe de laine noire avec rabat plissé et toque, sans épitoge, avant que la toque ne tombe en désuétude.

Cependant, l’usage, ainsi rappelé, entre en contradiction avec les termes de la loi.

Le port illégal d’uniforme est, en droit pénal Français, prévu et réprimé par l’article 433-14 du Code pénal. Il est défini et sanctionné de la manière suivante :

« Est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait, par toute personne, publiquement et sans droit : 1° De porter un costume, un uniforme ou une décoration réglementés par l’autorité publique […] ».

Il convient de s’assurer de la robe portée lors de l’audience, et les différents tailleurs consultés renvoient généralement vers la robe de greffier en guise de robe d’huissier.

Cependant, cette dernière, tout comme celle de l’avocat, est protégée juridiquement.

Définie dans le Code de l’organisation judiciaire comme étant une robe noire sans simarre ni toque noire.

L’infraction est matérialisée par le port d’un costume ou uniforme réglementé par l’autorité publique.

Le port de ce costume est interdit, dès lors que l’individu le portant ne remplit pas les conditions légales qui légitiment le port de ce dernier. Ainsi, seul un greffier régulièrement nommé a le droit de porter le « costume des huissiers-audienciers ».

Le caractère public de l’action est matérialisé par la présence de l’huissier-audiencier lors de l’audience.

Les huissiers seraient-ils donc en infraction lorsqu’ils portent leur robe devant les cours et tribunaux ?

A contrario des avocats dont le port de la robe est prévu par l’article 3 de la loi du 31 décembre 1971 ; l’ordonnance du 2 novembre 1945, les décrets du 29 février 1956 et celui du 10 décembre 2021 relatifs aux huissiers de justice et aux commissaires de justice, restent silencieux sur le port de la robe.

Cependant, notre huissier-audiencier, souvent un clerc, échappera aux foudres de la loi par sa méconnaissance de l’absence de texte l’autorisant à porter la robe. L’intention est indispensable pour que soit constitué le délit.

L’intention est la conscience de n’avoir pas le droit de porter le costume, et dans la volonté d’agir avec la connaissance que son acte illicite pouvait porter atteinte à la dignité et au prestige du costume officiel. L’erreur de droit est ici manifeste, l’usage perdurant au sein des tribunaux depuis de nombreuses années sans que cette question ne se soit réellement posée.

Jusqu’à aujourd’hui ?

Rémi Oliveras
Juriste Assistant - Tribunal Judiciaire de Montargis

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Notes de l'article:

[1Robert Jacob, Licteurs, sergents et gendarmes : pour une histoire de la main-forte, in Entre justice et justiciables : les auxiliaires de justice du Moyen Age au XXᵉ siècle, PP.49-50, Les Presses Universitaires de Laval, 2005.

[2Répertoire méthodique et alphabétique de législation, de doctrine, etc. p.153, Dalloz, Tome 27, 1853.

[3Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, P.81, tome XV, Diderot et d’Alembert, 3ᵉ édition, 1775.

[4Recueil général des anciennes lois Françaises, P.85, tome XIV, Par Isembert, Decresy, Taillandier, juin 1829.

[5Alexandre Dumas, Ange Pitou, Chapitre XVI.

[6Collection de décisions nouvelles et de notions relatives à la jurisprudence, Tome XI, P.514, Ed. Lamy, 1806.

[7T. Guinot, Huissier de Justice : Normes et valeurs, EJT 2004.

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