La faute lourde dont on disait jadis qu’elle est « équipollente au dol » a été définie par le Conseil d’Etat, dans un avis du 31 mars 1950, comme une faute caractérisée d’une gravité particulière qui, en principe, révèle une intention de nuire et qui ne peut être excusée par les circonstances de l’espèce.
Dans un arrêt du 5 avril 1990 [1] la chambre sociale a estimé qu’il ne pouvait y avoir de faute lourde en l’absence de l’intention de nuire à l’employeur.
Dans cette affaire la salariée avait été licenciée pour faute lourde du fait de la falsification habituelle de ses fiches de contrôle et de production mais si elle avait reconnu avoir sérieusement majoré les quantités déclarées, sa motivation avait été la "peur de faire l’objet d’une sanction pour travail insuffisant de la part du chef de fabrication ".
Elle n’avait eu aucune intention de nuire à son employeur, cherchant plutôt à se mettre à l’abri d’une éventuelle sanction disciplinaire et à préserver son emploi. [2]
Par 2 arrêts rendus le 22 octobre 2015, la Cour de cassation affine sa définition restrictive de la faute lourde et précise :
« La faute lourde est caractérisée par l’intention de nuire à l’employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d’un acte préjudiciable à l’entreprise. »
La 1ère espèce [3] concernait un responsable import export licencié pour faute lourde.
La Cour d’appel de Bordeaux a estimé que le licenciement était justifié par une faute lourde et rejeté les demandes du salarié au titre de la rupture de son contrat de travail.
L’arrêt a retenu que celui-ci :
a détourné sur son compte personnel une somme de 60 000 euros venant en règlement partiel, par un client, d’une facture correspondant à la livraison d’une commande de vins,
qu’il a reconnu avoir sollicité cette somme auprès du client et l’avoir perçue et ne démontre pas qu’il s’agissait d’un prêt personnel ni en avoir informé l’employeur,
qu’il n’apporte aucune preuve contraire de ce qui constitue un abus de confiance au préjudice de son employeur et une tentative d’enrichissement personnel au détriment de la société.
Pour la Cour d’appel, il a manifestement commis une faute grave avec intention de nuire à son employeur.
Cet arrêt est cassé par la haute Cour car en se déterminant comme elle l’a fait, sans caractériser la volonté de nuire du salarié, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
La 2ème espèce [4] concernait le directeur d’un établissement d’accueil aux personnes âgées géré par une association, également licencié pour faute lourde.
Pour décider que le licenciement repose sur une faute lourde et limiter la condamnation de l’employeur à payer au salarié une certaine somme à titre d’indemnité de congés payés, la cour d’appel de Lyon, après avoir constaté que celui-ci :
s’est fait octroyer une augmentation de sa rémunération de sujétion spéciale et de son coefficient ainsi qu’une prime exceptionnelle de 3 000 euros,
qu’il s’est accordé des acomptes sur salaires de 15 000 euros sans prévoir les modalités de remboursement,
qu’il a fait bénéficier d’avantages anormaux deux salariés, dont sa soeur qu’il avait engagée,
retient que de telles dérives financières tant en sa faveur qu’au profit de proches, qui ont préjudicié gravement à l’association sur le plan financier, caractérisent une intention de nuire du salarié.
Cet arrêt est également cassé pour le même motif par la haute Cour car en se déterminant comme elle l’a fait, sans caractériser la volonté de nuire du salarié, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
Ainsi donc, malgré des actes préjudiciables à l’entreprise et la gravité toute particulière des faits fautifs relevés à l’encontre de ces salariés, la Cour de cassation exige que soit caractérisée leur intention de nuire à l’entreprise.
Les conséquences de la faute lourde sur les indemnités de rupture
Les licenciements pour faute lourde sont assez rares dans la pratique. Dans le doute, les employeurs restent sur le terrain de la faute grave qui ne leur impose pas d’établir que la motivation du salarié reposait sur l’intention de lui nuire ou de nuire à l’entreprise.
Au demeurant, l’incidence financière est toute relative voire inexistante si le salarié n’a pas acquis ou a épuisé ses congés payés pour la période de référence en cours.
En cas de faute grave, qui est définie comme celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant le préavis [5], le salarié se trouve privé des indemnités de préavis et de licenciement.
La faute lourde entraîne, en outre, la perte de l’indemnité compensatrice de congés payés pour la période de référence en cours [6] sauf si cette indemnité est versée à une caisse de congés payés.
Sur ce point, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a été transmise par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel.
La haute Cour avait suggéré la suppression de cette restriction que -d’aucuns considèrent comme une sanction supplémentaire- dans son rapport pour l’année 2013 rédigé en ces termes :
"L’article L. 3141-26 du code du travail prévoit, en son alinéa 2, que la faute lourde du salarié est privative de congés payés. Or, la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail ne prévoit pas de perte des droits à congés payés, lesquels sont fixés par ce texte à quatre semaines au minimum par an. Une restriction de la définition actuelle de la faute lourde par la jurisprudence ne suffirait pas à rendre conforme le texte à la directive, sauf à opter pour une interprétation contra legem, ce qui est exclu.
Il est donc suggéré une modification de l’article L. 3141-26 du code du travail : soit la suppression de la perte de congés payés en cas de licenciement pour faute lourde, soit la limitation de cette perte aux jours de congés payés excédant les quatre semaines irréductibles issues du droit communautaire. Si cette dernière option était retenue, se poserait une question délicate quant à l’imputation des jours de congés déjà pris, afin de déterminer s’ils s’imputent sur les jours issus du droit communautaire ou sur ceux issus du droit interne.
Le Conseil constitutionnel devrait trancher en mars 2016.
Dans le cadre d’un contentieux prud’homal, il demeure délicat pour un employeur lorsqu’un comportement lui a causé un dommage et quelle que soit l’importance du préjudice, d’établir quel était réellement le but recherché par le salarié.
La charge de la preuve pèse sur l’employeur qui ne pourra donc se contenter d’invoquer l’importance du préjudice qui lui a été causé ; il devra établir que le salarié a agi avec la volonté délibérée de porter atteinte aux intérêts de l’entreprise.
Cependant, lorsque les agissements sont constitutifs d’infractions pénales telles que l’abus de confiance ou le vol notamment, l’employeur peut engager la responsabilité pénale du salarié.