Dans un premier temps, l’étranger concerné est placé en rétention pour 4 jours au bout desquels il passera devant le JLD pour une demande de première prolongation. Le JLD pourra soit prolonger la rétention, soit ordonner la mainlevée de la rétention, c’est-à-dire décider de la remise en liberté de l’étranger.
Si le juge fait droit à la demande de la préfecture, la rétention est alors prolongée de 26 jours. À l’issue de cette deuxième période de rétention, l’étranger sera à nouveau présenté au juge qui pourra prolonger la rétention de 30 jours selon les dispositions de l’article L742-4 du Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile (CESEDA). En ce moment, l’étranger aura fait ( 4 + 26 + 30) = 60 jours de rétention administrative.
Les 30 derniers jours de la rétention relèvent du régime dérogatoire des prolongations exceptionnelles de la rétention administrative (troisième et quatrième prolongations de quinze jours chacune). Ces prolongations exceptionnelles obéissent à des conditions limitativement énumérées par les dispositions du CESEDA.
En vertu des dispositions de l’article L742-5 du CESEDA :
« À titre exceptionnel, le magistrat du siège du tribunal judiciaire peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L742-4, lorsqu’une des situations suivantes apparaît dans les quinze derniers jours :
1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;
2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement :
a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L631-3 ;
b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L754-1 et L754-3 ;
3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.
Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.
L’étranger est maintenu en rétention jusqu’à ce que le juge ait statué.
Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l’expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d’une durée maximale de quinze jours.
Si l’une des circonstances mentionnées aux 1°, 2° ou 3° ou au septième alinéa du présent article survient au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée en application de l’avant-dernier alinéa, elle peut être renouvelée une fois, dans les mêmes conditions. La durée maximale de la rétention n’excède alors pas quatre-vingt-dix jours ».
Ces conditions de prolongations exceptionnelles de la rétention administrative étant alternatives seront étudiées successivement.
I- La condition liée à la délivrance à bref délai d’un laissez-passer consulaire (LPC).
À ce stade de la procédure, l’administration, pour obtenir la prolongation exceptionnelle de la rétention auprès du JLD,au-delàà des 60 premiers jours, doit démontrer ou justifier que la délivrance d’un LPC interviendrait à bref délai. Cette justification s’inscrit dans le cadre du but poursuivi par la rétention administrative elle-même : l’éloignement de l’étranger dans un délai raisonnable.
En effet, l’application de cet article L742-5 du CESEDA doit tenir obligatoirement compte des dispositions de l’article L.741-3 du CESEDA.
Selon ce dernier article :
« un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L’administration exerce toute diligence à cet effet ».
Lorsqu’une personne est placée en rétention administrative, et qu’elle ne possède pas de document de voyage, notamment de passeport en cours de validité, son éloignement n’est pas possible. L’Administration effectue dès lors des diligences auprès du consulat dont relève l’intéressé.
Ces diligences concernent concrètement des demandes de laissez-passer consulaire (LPC), seul document permettant dans ce contexte, un éloignement. Il s’agit en clair de transmettre au consulat concerné toutes les informations sur l’étranger retenu (empreintes digitales, photographies, documents d’identité périmés etc.). Il peut arriver que la préfecture n’obtienne pas tout de suite de réponses à ses sollicitations, auquel cas, elle est amenée dans la pratique à multiplier des diligences (relances adressées aux consulats, envoi à plusieurs reprises des éléments permettant l’identification rapide de l’étranger retenu…). Elle peut même effectuer, de manière parallèle, des diligences auprès d’autres consulats dont relèverait l’étranger.
La question qui s’est posée est de savoir si la multiplicité et la multiplication de ces diligences permet de conclure qu’un laissez-passer interviendrait à bref délai.
La réponse à cette question est cruciale, car elle permet, soit de prolonger de manière exceptionnelle la rétention, soit de mettre en liberté l’étranger retenu.
Pour certains juges, le nombre de relances effectuées par la préfecture ne garantit pas la délivrance d’un LPC à bref délai. Autrement, la multiplication des diligences ne permet pas de conclure qu’un document de voyage interviendrait rapidement de sorte qu’il ne puisse pas être procédé à une prolongation exceptionnelle de la rétention.
Pour d’autres juges, il s’agit du raisonnement inverse : ces diligences sont un indice suffisant pour ordonner une prolongation exceptionnelle de la rétention administrative.
Dans une telle situation, la Cour de Cassation a été saisie et dans un arrêt de cassation en date du 14 novembre 2024, Pourvoi n° C 23 -15.665, la Cour a indiqué que les diligences ou les nombreuses relances effectuées à l’endroit du consulat dont relève le retenu ne permettent pas de conclure qu’un LPC va intervenir à bref délai.
Il n’est cependant pas rare de constater dans la pratique que cette décision de la Cour de cassation n’est pas toujours suivie.
Dans une ordonnance du 18 février 2025 de la juridiction du premier président de la Cour d’Appel de Lyon, N°RG 25/01259, il est affirmé que :
« Attendu que les diligences engagées, en l’état de ce que M (A). n’ a pas entendu en faciliter l’avancement en se refusant à une prise d’empreintes, et l’absence de réponse des autorités kosovares sollicitées dernièrement constituent un faisceau d’indices permettant de retenir qu’il est établi que la délivrance des documents de voyage va intervenir dans le délai de la rétention administrative ».
II- La condition liée à l’obstruction à l’éloignement.
Selon les dispositions de l’article L742-5 – 1° du CESEDA, le juge peut faire droit à la demande de prolongation exceptionnelle si l’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement dont il fait l’objet.
L’obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement correspond à tous faits ou actes qui entravent le bon déroulement du processus d’éloignement. À défaut d’une définition précise donnée par le législateur, la caractérisation d’un acte d’obstruction est laissée à la libre appréciation des juges.
Généralement, trois actes sont considérés d’une manière régulière et unanime comme des actes d’obstruction à l’éloignement :
- le refus pour l’étranger de donner ses empreintes afin de faciliter son identification ;
- le refus pour l’étranger de se présenter aux rendez-vous consulaires ;
- le refus d’embarquer.
En revanche, certains actes ne sont pas retenus par la Cour de Cassation comme étant des actes d’obstruction à l’éloignement. En effet, la Cour de cassation a déjà considéré que le fait pour l’étranger de présenter un document d’identité non valide et/ou de donner des informations sur son identité et sur sa nationalité qui sont jugées fausses par l’administration ne sont pas de nature à caractériser des actes d’obstruction [1].
Aussi, pour permettre la prolongation exceptionnelle de la rétention administrative, ces actes d’obstruction doivent impérativement intervenir dans le délai des quinze derniers jours. Il s’agit d’une condition très importante au stade des prolongations exceptionnelles. Par exemple, un étranger qui refuse de donner ses empreintes ou qui refuse de se présenter aux rendez-vous consulaires ne peut être retenu en rétention dans le cadre d’une prolongation exceptionnelle sur le seul fondement d’une obstruction si ces actes d’obstruction sont intervenus antérieurement aux quinze derniers jours.
La Cour de cassation avait déjà rappelé cette condition dans un arrêt Pourvoi n° 20-17.041, rendu le 23 juin 2021. Elle a considéré que le refus d’embarquer intervenu antérieurement au délai de quinze jours ne peut pas être considéré comme un motif de prolongation exceptionnelle de la rétention administrative.
III- La condition liée à la menace à l’ordre public.
L’article L742-5 du CESEDA dans sa version antérieure à janvier 2024 ne considérait pas la notion de menace pour l’ordre public comme un motif autonome de prolongations exceptionnelles de la rétention administrative. Il s’agit de l’une des nouveautés majeures de la nouvelle loi sur l’immigration, promulguée le 26 janvier 2024. Cette notion qui est retenue comme critère central dans les décisions de placement et maintien en rétention administrative s’explique par la volonté des politiques à éloigner toutes les personnes étrangères dont le comportement constituerait une menace pour l’ordre public français.
La problématique importante est l’absence de définition juridique précise de cette notion, laissant ainsi un large pouvoir d’appréciation aux autorités préfectorales. Il revient donc aux préfets de considérer que tel ou tel autre comportement constitue une menace pour l’ordre public. Ainsi, le comportement d’une personne ayant fait l’objet de gardes à vue ou de signalements sans aucune condamnation, peut être considéré par l’administration comme constituant une menace pour l’ordre public. Il en va de même pour une personne ayant fait l’objet de condamnations pour des faits commis plusieurs années plutôt.
Cependant, quand les juges sont amenés à se prononcer sur l’appréciation de la menace pour l’ordre public, il est parfois fait référence à un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne [2] toujours applicable en droit interne et repris à plusieurs reprises par le Conseil d’État.
Selon cet arrêt, cette notion de menace pour l’ordre public :
« nécessite au minimum l’existence d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société. Elle doit être interprétée strictement et appréciée in concreto, dans le respect du principe de proportionnalité. »
Cette notion est ainsi appréciée à l’aune de 3 critères cumulatifs :
- La réalité de la menace : la menace doit exister, elle doit être certaine.
- L’actualité de la menace : la menace doit être actuelle. Elle doit être fondée sur des faits relativement nouveaux.
- La gravité de la menace : la menace doit reposer sur des faits affectant l’intérêt fondamental de la société française.
Dans ce contexte, dans une ordonnance du tribunal judiciaire de Lyon n° RG 25/00244 du 22 janvier 2025, le juge a considéré que ne constituait pas une menace pour l’ordre public, le comportement d’une personne ayant fait l’objet de deux signalements, pour des faits d’atteintes aux biens et aux personnes ainsi qu’aux législations sur les produits stupéfiants et les étrangers commis entre février 2023 et octobre 2024. Le juge a estimé que les critères ne sont pas remplis, notamment celui portant sur la gravité, pour retenir la menace pour l’ordre public.
Aussi, d’une manière générale, il est admis que les personnes placées en centre de rétention à la suite d’une incarcération sont une menace pour l’ordre public. Il en va de même pour les personnes faisant l’objet d’une interdiction du territoire français (ITF).
Par ailleurs, à l’instar des actes d’obstructions, les actes caractérisant la menace à l’ordre public doivent-ils intervenir dans les quinze derniers jours de la rétention ?
Si l’on reprend les dispositions de l’article L742-5 du CESEDA, une lecture simple semble permettre de répondre à cette question par l’affirmative. La menace à l’ordre public devra être caractérisée dans les quinze derniers jours pour permettre la troisième et la quatrième prolongation.
Cependant, dans plusieurs décisions, les juges, en ce qui concerne la troisième prolongation exceptionnelle, retiennent la menace pour l’ordre public, même si les faits reprochés à l’étranger sont intervenus avant la notification de la décision de placement en rétention. Selon les juges, l’alinéa sur la menace pour l’ordre public soit être pris en considération stricte de l’alinéa 6 du même article. En effet, fonder la troisième prolongation sur la seule menace pour l’ordre public, le temps maximum de rétention restant potentiellement envisageable, deux fois quinze jours, soit un mois, rend encore plausible la délivrance de documents de voyage, et donc l’exécution de la mesure d’éloignement.
En ce qui concerne la quatrième prolongation, ces juges considèrent cependant que les éléments caractérisant la menace pour l’ordre public doivent être apparus durant les quinze derniers jours de la mesure de rétention, à défaut, l’étranger est mis en liberté. En effet, « autoriser une quatrième prolongation de la rétention sur le seul fondement de la menace à l’ordre public, donc sans perspective de délivrance de documents de voyage durant les quinze derniers jours de la mesure, reviendrait à faire de la quatrième période de prolongation une mesure de rétention de sûreté puisque décorrélée de l’objectif d’éloignement » [3].
Ce raisonnement ne fait pas l’unanimité auprès des magistrats. Certains estiment que la menace pour l’ordre public, lorsqu’elle est caractérisée en début de rétention administrative, notamment parce que l’étranger a fait l’objet de condamnations, justifie clairement les troisièmes et quatrièmes prolongations exceptionnelles. La condition selon laquelle les faits sur lesquels repose cette menace doivent intervenir dans les quinze derniers jours est inopérante. Le tribunal judiciaire de Lyon a ainsi fait droit, dans une ordonnance en date du 18 janvier 2025, N°RG 25/00189, à une demande de quatrième prolongation sur le seul fondement de la menace pour l’ordre public pour des condamnations déjà purgées par l’étranger.
La rétention administrative est dans cette circonstance vue comme une « mesure de rétention de sûreté ». L’étranger est retenu alors même qu’il est clairement établi qu’il n y a aucune perspective raisonnable d’éloignement. Le but de la rétention précisé par les dispositions de l’article L741-3 du CESEDA est dès lors mis à mal.
Dans ce contexte d’interprétations différentes des dispositions de cet article L742-5 du CESEDA, notamment en ce qui concerne la caractérisation de la menace à l’ordre public dans les dernières périodes de la rétention, une décision de la Cour de Cassation est fortement attendue.