Le droit doit rétablir un équilibre en protégeant le plus faible pour que celui qui bénéficie d’un rapport de force ne puisse imposer sa volonté à l’autre.
Dans les faits, les enfants demeurent majoritairement les victimes de violences sexuelles et les chiffres de ces violences sont importants.
Selon Muriel Salmona, psychiatre [1], les enfants victimes de viol ou tentatives de viol seraient au nombre de 150 000 par an.
L’enquête Virage en 2016 nous apprend que, parmi les femmes ayant subi des viols et tentatives de viol au cours de leur vie, 40% l’auraient été durant leur enfance (avant 15 ans), 16% durant leur adolescence (entre 15 et 17 ans) et 44% à l’âge adulte (après 18 ans).
1) Un crime sous silence.
Plus que les autres, l’inceste est un crime qui se produit et reproduit dans le silence.
Pour l’inceste, la transmission des valeurs familiales est un facteur résurgent.
L’interdit n’est alors pas de faire, il est de parler. L’enfant est soumis à la loi du silence, « c’était leur secret », ce qui assure l’impunité de l’auteur durant des années.
Dans le cadre des violences sexuelles intrafamiliales, le mode opératoire intègre, des stratégies d’emprise et de contrainte morale.
Les violences sexuelles exercées par une connaissance sont progressives, de telle sorte que la victime ne distingue plus le normal et l’anormal. Lorsque la victime a été agressée depuis sa plus tendre enfance, elle n’a pas les repères de normalité pour identifier exactement les faits en termes de viol ou agression. L’agresseur agit souvent avec une stratégie de mise en confiance qui trompe l’enfant.
Dans un dossier d’inceste, les faits étaient les suivants : la fille violée par son père de l’âge de six à quinze ans, était régulièrement humiliée et elle a décrit pourtant ce qu’elle a appelé un « conflit de loyauté » à l’égard de celui-ci lors du procès pénal, tiraillée entre les moments d’affection et le sentiment qu’il lui avait fait du mal.
L’isolement retire tout regard extérieur qui permettrait de retrouver une objectivité.
Dans ce dossier d’inceste, la victime expliquait que son père était l’un des premiers pères à avoir obtenu la garde exclusive de ses enfants et que tout son entourage le considérait comme un héros… Personne n’entrait chez eux. Il avait recruté, à leur insu, des alliés et avait isolé ses enfants victimes. Et la victime ne parlait pas, de crainte d’être séparée de sa fratrie. L’impunité du père était assurée et il a violé ses enfants pendant dix ans.
Le fait d’avoir un lien familial avec l’agresseur, favorise son impunité.
Le silence s’explique aussi par la culpabilité (injustifiée) ressentie par les victimes de viol, la crainte d’être la cause d’une division familiale, la crainte de ne pas être crue.
L’amnésie traumatique qui atteint surtout les enfants victimes est une réalité que tout avocat a pu constater. J’ai eu à traiter un dossier dans lequel la victime ne se souvenait pas des agressions sexuelles alors que son père les avait avoué.
Cette amnésie est aussi source de silence.
2) Un crime familial.
Muriel Salmona décrit les très graves conséquences traumatiques des violences sexuelles : « Lors de viols et d’agressions sexuelles, les mises en scène de meurtre, d’humiliation, et d’atteinte à la dignité, génèrent chez les victimes un sentiment de mort psychique. Elles se perçoivent comme annihilées, dépouillées de leur position de sujet, comme des « mortes vivantes » réduites à des objets sexuels. L’agresseur a mis en scène qu’elles ne s’appartenaient plus [...] ».
Elle précise que ce sont les violences « qui ont le plus grand potentiel traumatisant en dehors des tortures ».
Selon elle, 100% des enfants victimes d’inceste risquent de développer des troubles psycho traumatiques. Les dommages les plus lourds sont causés par les violences sexuelles et les actes de barbarie. Et le plus souvent ces violences sexuelles sont commises par une connaissance (pour 90% des cas dont 50% au sein de la famille), ce qui fait perdre tout repère sécurisant.
Gérard Lopez, psychiatre, souligne qu’après des évènements traumatiques répétés tels que l’inceste, les victimes présentent des troubles dénommés « traumatisme complexe » ou « trouble de développement traumatique » qui se manifestent essentiellement par un manque total de confiance en soi et en toute forme d’aide, une grande difficulté à gérer les émotions (impulsivité, troubles caractériels, comportements paradoxaux comme un état dissociatif, conduites à risques...) et une tendance à répéter le scénario traumatique en s’exposant à revivre des situations traumatiques.
Avoir subi quatre formes de violences dans l’enfance entraine des conséquences sur la santé telles que l’on perd 22 ans d’espérance de vie.
On sait aussi que les violences peuvent modifier les gènes du stress et se transmettre sur trois générations.
Comme l’indique Muriel Salmona : « Les troubles psycho traumatiques ont un impact grave sur la qualité de vie. L’impact est majeur sur leur vie affective, familiale, sexuelle, sociale, scolaire et professionnelle [...] ».
A cela s’ajoute que la dénonciation de l’inceste entraine une division familiale et que la victime devra faire le deuil de l’agresseur (frère, père ou grand-père…) et peut-être aussi d’une partie de sa famille. C’est sans doute pour cette raison que le traumatisme qui en découle est spécifique.
Certaines victimes peuvent même pour cette raison hésiter à parler : En ce qui concerne un éventuel procès, je sais qu’il aurait le soutien de toute la famille, là où moi je serais seule. Et il faut avoir les épaules pour le supporter...et pour supporter ensuite les conséquences de tout cela dans la vie quotidienne [...] ».
L’inceste est un crime spécifique et c’est pourquoi, il justifie une reconnaissance judiciaire spécifique :
Parce qu’il débute souvent dans l’enfance et se répète des années durant sous emprise, le seuil d’âge de non consentement doit être de 18 ans ;
La justice doit reconnaitre un préjudice exceptionnel d’acte intrafamilial. Toute violence au sein de la famille porte atteinte à la fonction normalement protectrice de celle-ci et ne peut être vécue que comme un acte faisant tomber les fondations structurelles de tout individu ;
L’amnésie traumatique des enfants victimes doit permettre un report du délai de prescription.