Indemnisation des accidents médicaux : il est urgent de repenser le rôle de L'ONIAM. Par Vincent Julé-Parade, Avocat.

Indemnisation des accidents médicaux : il est urgent de repenser le rôle de L’ONIAM. Par Vincent Julé-Parade, Avocat.

Vincent Julé-Parade Avocat au Barreau de Paris
Cabinet JSL & Associés
https://www.vjp-avocat.com/fr/
Ancien vice-président de la Fondation Anne-Cellier en charge de la prévention des jeunes (1999 à 2004),
Ancien vice-président de l’Association Victimes & Citoyens (2004 à 2013).

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Explorer : # indemnisation des accidents médicaux # réforme de l'oniam # procédure de conciliation # droits des victimes

La loi Kouchner de 2004 a fait figure à l’époque d’une avancée majeure dans l’indemnisation des victimes d’accidents médicaux. En consacrant l’indemnisation des accidents médicaux non fautifs les plus graves et en la confiant à l’ONIAM créé pour l’occasion, le législateur faisait du droit français un droit particulièrement protecteur des victimes. Près de 20 ans plus tard, il est urgent de faire une introspection du système d’indemnisation mise en place.

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La création de l’ONIAM (Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux), celle des Commissions de Conciliation et d’Indemnisation (CCI) et la mise en place d’une procédure de conciliation permettent dans de nombreux cas à des victimes d’accidents médicaux d’obtenir la réparation de leurs préjudices de manière simple et assez rapide.

Sur le papier, l’ONIAM est une fabuleuse invention, symbole de la solidarité à la française. Dans les faits, l’ONIAM est pire qu’une compagnie d’assurance.

La pratique a permis de révéler le côté pervers du statut et du rôle attribué par le législateur à l’ONIAM.

Déjà, en 2016, le rapport de la Cour des comptes pointait avec justesse les dérives dans la gestion de l’office. Certains s’étaient alors prononcés pour une réforme profonde de l’organisme qui semblait ne plus fonctionner comme il se devait. Face aux critiques, seul un changement de direction fut décidé et tout espoir de voir réformer en profondeur l’ONIAM a été déçu.

Pour bien comprendre en quoi l’ONIAM n’est pas aujourd’hui le partenaire ni le garant de la juste indemnisation d’une victime d’un accident médical, il faut se replacer dans le cadre d’une procédure concrète.

En pratique, la victime présumée d’un accident médical peut saisir sous condition de recevabilité la CCI régionalement compétente. Cette commission, bien qu’indépendante en théorie, n’en demeure pas moins intimement liée à l’ONIAM qui en assure la gestion. Les connaisseurs de la CCI d’Île-de-France savent notamment que la Commission et l’Office partagent les mêmes locaux. Ainsi, l’indépendance fonctionnelle des commissions est largement mise à mal.

Le problème ne s’arrête pas là. Après un examen préalable du dossier présenté, la CCI saisie peut ordonner une expertise médicale dont l’objectif sera de reconnaître ou non l’existence d’un accident médical et le cas échéant d’identifier le régime d’indemnisation applicable et donc savoir qui va payer. Si l’accident médical reconnu découle d’une faute d’un praticien ou d’un établissement de santé, c’est à son assureur qu’il incombera d’assumer l’indemnisation de la victime. Si au contraire, l’accident médical est considéré comme non fautif, mais remplissant les critères de gravité fixée par le Code de la santé publique, ce serait alors à l’ONIAM de présenter une offre indemnitaire.

La première déconvenue pour la victime sera alors de constater que l’ONIAM est l’auteur de son propre référentiel d’indemnisation qui n’est rien d’autre qu’un barème dont les montants envisagés sont de 30 à 40% inférieurs à ceux alloués par les juridictions judiciaires. D’où vient ce barème, nul ne le sait. Il s’agit d’une invention diabolique pour réduire significativement le montant des indemnisations qui incombent à l’office.

La deuxième déconvenue pour la victime sera de constater que l’ONIAM ignore totalement le processus de négociation. Contrairement à tout autre assureur, et même au fonds de garantie (compétent en matière d’accident de la circulation ou d’agression et d’attentats), l’ONIAM refuse systématiquement de discuter les offres qu’il va présenter. La pire des Compagnies d’assurance est plus prompte à la discussion que l’ONIAM qui n’est qu’un outil technocratique auteur d’offres d’indemnisation au rabais.

Enfin, l’offre est indivisible. Ainsi, soit la victime accepte en globalité l’offre présentée par l’ONIAM soit la refuse en totalité. La victime pourrait alors être tentée de décider de plaider devant un tribunal de droit commun sur la base du rapport d’expertise déposé devant la Commission. En effet, un rapport d’expertise, considéré comme équivalent à un rapport judiciaire, a été déposé et retient l’existence d’un accident médical non fautif dont l’indemnisation revient à L’ONIAM. A priori, l’idée serait judicieuse. Sauf que…

C’est alors que la victime se trouvera confrontée au principal écueil de la procédure fixée par la loi Kouchner. Lors de la mise en place de l’expertise médicale par la Commission, l’ensemble des parties sera convoqué sauf l’ONIAM. Or, cette absence est tout simplement aberrante. En effet, le législateur a pu envisager la mise en place d’une expertise médicale à laquelle l’un des débiteurs potentiels est purement et simplement absent. Ce faisant, le rapport rendu lui sera inopposable…

Si la victime saisit la justice ordinaire sur la base de ce rapport et assigne l’ONIAM, elle se retrouvera prise au piège. L’ONIAM sollicitera automatiquement la mise en place d’une nouvelle expertise en arguant du fait que le premier rapport ne lui serait pas opposable.

Toute tentative visant à contester cet argumentaire sera systématiquement balayée par le juge, y compris dans le cas où l’Office aura présenté à la victime une offre amiable.

Il faudra alors repartir pour des mois de procédure, des réunions d’expertises et encourir le risque non négligeable d’obtenir un rapport venant contredire le premier.

La victime se trouve être victime une seconde fois, celle d’une procédure mal ficelée…

Cet état de fait est purement et simplement inacceptable. Bien souvent, les victimes se tournent vers la procédure amiable devant les CCI en raison de la gratuité de cette dernière. Lorsqu’elles obtiennent un avis de la CCI mettant à la charge de l’ONIAM leur indemnisation, elles pensent avoir obtenu gain de cause. Elles n’imaginent pas un seul instant qu’elles seront purement et simplement obligées d’accepter l’offre dérisoire qui leur est présentée.

Il est donc urgent de réformer le dispositif mis en place par la loi Kouchner et de remettre l’ONIAM à la place qui doit être la sienne.

Les réformes envisagées ne sont pas d’une particulière complexité :
- donner aux Commissions de conciliation et d’indemnisation une indépendance budgétaire et fonctionnelle leur permettant d’être totalement détachées de l’ONIAM,
- mettre un terme à la présence d’un membre de l’ONIAM au sein des CCI. Il est en effet impensable d’accepter qu’un des membres des commissions puisse être à la fois juge et partie,
- rendre systématiques la convocation et la présence de l’ONIAM lors des opérations d’expertise ordonnée par les CCI. Ceci permettra alors de contourner l’épineuse difficulté de l’opposabilité des opérations d’expertise à l’ONIAM,
- expliciter l’obligation de l’ONIAM de présenter à la victime une offre indemnitaire soumise à discussion dans le respect du principe du contradictoire.

A défaut d’une telle réforme, de nombreuses victimes continueront de se retrouver prises au piège d’une malformation procédurale offrant à un organisme, garant de la solidarité nationale, des pouvoirs exorbitants, méprisant les droits élémentaires de ceux dont il est censé assurer la protection et l’indemnisation.

Vincent Julé-Parade Avocat au Barreau de Paris
Cabinet JSL & Associés
https://www.vjp-avocat.com/fr/
Ancien vice-président de la Fondation Anne-Cellier en charge de la prévention des jeunes (1999 à 2004),
Ancien vice-président de l’Association Victimes & Citoyens (2004 à 2013).

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Discussions en cours :

  • Dernière réponse : 6 mars à 14:54
    par Dr Alain Vannineuse , Le 4 octobre 2021 à 18:29

    En tant que médecin, conseil et défenseur passionné des victimes, je ne puis qu’approuver les propos de l’auteur

    Si, effectivement, l’institution doit être mise en cause, le regard doit également se tourner vers les médecins conseils délégués par l’ONIAM.

    Dans les expertise qui m’opposent à l’institution, le terme « oppose » traduit bien le quasi pugilat qui souvent caractérise cette réunion.
    Les médecins conseils choisis par l’ONIAM, sont en général les pires médecins conseils des assureurs, pour qui, ai-je le sentiment, le mot empathie a été rayé du vocabulaire.

    C’est peut-être à eux que devrait s’adresser le propos, tenu par Didier Migaud, pour la Cour des Comptes, lorsqu’il estime que « la victime a été trop souvent oubliée par l’institution pourtant chargée d’en protéger les intérêts ».

    Dr A. Vannineuse

    • par Baye , Le 6 mars à 14:54

      Bonjour,
      A votre avis quel rôle concret à le représentant des usagers dans une CCI, ceux-ci ont-ils une quelconque influence dans les CCI sur les décisions rendu,
      La nomenclature dinthillac est elle la base des indemnisations de l’ONIAM, ou se base elle sur autre chose
      Bien cordialement
      Laurent

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