Interdire aux stewards hommes une coiffure autorisée aux femmes = discrimination.

Par Frédéric Chhum, Avocat et Marion Coadic, Juriste.

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Explorer : # discrimination # Égalité des sexes # coiffure # harcèlement moral

Dans un arrêt du 23 novembre 2002 (n°21-14.060), la chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée sur l’interdiction d’un steward d’adopter une coiffure qui était autorisée aux femmes.

-

La chambre sociale affirme que

« la perception sociale de l’apparence physique des genres masculin et féminin et l’image de marque de la compagnie aérienne ne peuvent pas constituer une exigence professionnelle véritable et déterminante justifiant une différence de traitement relative à la coiffure entre les hommes et les femmes ».

La Cour de cassation est plus protectrice des libertés que la Cour d’appel de Paris.

1) Faits et procédure.

Selon l’arrêt de la cour d’appel du 6 novembre 2019 attaqué, M. [C] a été engagé le 7 mai 1998 par la société Air France, en qualité de steward.

A compter de 2005, le salarié s’est présenté coiffé de tresses africaines nouées en chignon à l’embarquement, lequel lui a été refusé par l’employeur au motif qu’une telle coiffure n’était pas autorisée par le manuel des règles de port de l’uniforme pour le personnel naviguant commercial masculin.

Par la suite et jusqu’en 2007, le salarié a porté une perruque pour exercer ses fonctions.

Soutenant être victime de discrimination, il a saisi, le 20 janvier 2012, la juridiction prud’homale de diverses demandes.

Le 13 avril 2012, l’employeur a notifié au salarié une mise à pied sans solde de cinq jours pour présentation non conforme aux règles de port de l’uniforme.

Le 17 février 2016, le salarié a été déclaré définitivement inapte à exercer la fonction de personnel naviguant commercial, en raison d’un syndrome dépressif reconnu comme maladie professionnelle par la caisse primaire d’assurance maladie.

Après avoir bénéficié d’un congé de reconversion professionnelle et confirmé qu’il ne souhaitait pas de reclassement au sol, il a été licencié le 5 février 2018 pour inaptitude définitive et impossibilité de reclassement.

En cause d’appel, le salarié a demandé la condamnation de l’employeur au paiement d’une somme à titre de dommages-intérêts pour discrimination, harcèlement moral et déloyauté, d’un rappel de salaire pour la période du 1 janvier 2012 au 28 février 2014 et les congés payés afférents, la nullité de son licenciement et en conséquence la condamnation de l’employeur au paiement des dommages-intérêts à ce titre, d’un solde de préavis avec les congés payés afférents et d’une indemnité de licenciement.

2) Moyens.

Le steward d’Air France fait grief à l’arrêt de dire :
- Que la Cour d’appel de Paris le déboute de sa demande de dommages-intérêts au titre de la discrimination, du harcèlement moral et de déloyauté, de ses demandes de rappels de salaire du 1 janvier 2012 au 28 février 2014, ainsi que de ses demandes tendant à la nullité de son licenciement et au paiement de sommes subséquentes à titre de dommages-intérêts, de solde sur préavis, de congés payés afférents et d’indemnité de licenciement ;
- Que s’il appartient au salarié qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de soumettre au juge les éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à l’employeur, s’il conteste le caractère discriminatoire du traitement réservé au salarié, d’établir que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à toute discrimination ; qu’en écartant la discrimination sans préciser en quoi les tresses africaines nuiraient à l’image de la compagnie Air France, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article L1132-1 du Code du travail ;
- Que s’il appartient au salarié qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de soumettre au juge les éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à l’employeur, il incombe à l’employeur, s’il conteste le caractère discriminatoire du traitement réservé au salarié, d’établir que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à toute discrimination ; qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué que le salarié n’avait pu exercer ses fonctions et avait dû porter une perruque pour pouvoir embarquer sur les vols qu’il devait assurer, ce à raison de sa coiffure faite de tresses africaines pourtant autorisée pour les femmes, et que « les éléments de fait apportés par M. [C] laissent supposer un harcèlement fondé sur une discrimination » ;
- Que pour écarter la discrimination à raison du sexe, la cour d’appel s’est bornée à faire état d’une « différence d’apparence admise à une période donnée entre hommes et femmes en terme d’habillement, de coiffure, de chaussures et de maquillage » et à affirmer que « ce type de différence qui reprend les codes en usage ne peut être qualifiée de discrimination » ;
- Qu’en justifiant ainsi la différence de traitement constatée par une discrimination communément admise, la cour d’appel a violé les articles L1132-1 et L1134-1 du Code du travail.

3) Réponse de la Cour de cassation.

La chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule la décision de la Cour d’appel de Paris au visa des articles L1121-1, L1132-1, dans sa rédaction antérieure à la loi n°2012-954, du 6 août 2012, et L1133-1 du Code du travail, mettant en œuvre le droit interne les articles 2, § 1, 14 § 2, de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail.

La Cour de cassation rappelle que les différences de traitement en raison du sexe doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle véritable et déterminante et être proportionnées au but recherché.

La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 14 mars 2017, Micropole Univers, C-188/15), que par analogie avec la notion « d’exigence professionnelle essentielle et déterminante » prévue à l’article 4, § 1 de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, la notion « d’exigence professionnelle véritable et déterminante », au sens de l’article 14, § 2, de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006, renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause.

La société Air France avait interdit au salarié de se présenter à l’embarquement avec des cheveux longs coiffés en tresses africaines nouées en chignon et que, pour pouvoir exercer ses fonctions, l’intéressé avait dû porter une perruque masquant sa coiffure au motif que celle-ci n’était pas conforme au référentiel relatif au personnel navigant commercial masculin, ce dont il résultait que l’interdiction faite à l’intéressé de porter une coiffure, pourtant autorisée par le même référentiel pour le féminin, caractérisait une discrimination directement fondée sur l’apparence physique en lien avec le sexe, la cour d’appel, qui, d’une part, s’est prononcée par des motifs, relatifs au port de l’uniforme, inopérants pour justifier que les restrictions imposées au personnel masculin relatives à la coiffure étaient nécessaires pour permettre l’identification du personnel de la société Air France et préserver l’image de celle-ci, et qui, d’autre part, s’est fondée sur la perception sociale de l’apparence physique des genres masculin et féminin, laquelle ne peut constituer une exigence professionnelle véritable et déterminante justifiant une différence de traitement relative à la coiffure entre les femmes et les hommes, au sens de l’article 14, § 2, de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006, a violé les textes susvisés.

4) Analyse de la décision.

La Cour de cassation adopte une solution plus protectrice des discriminations que la Cour d’appel de Paris.

Dans son arrêt, la Cour de cassation censure l’arrêt de la Cour d’appel de Paris puisqu’elle est uniquement fondée sur le sexe et non sur une exigence professionnelle véritable et déterminante, les femmes ayant le droit d’adopter ce type de coiffure, cette interdiction ne s’impose qu’aux hommes.

La chambre sociale affirme qu’une coiffure ne peut être un critère permettant d’identifier le personnel navigant, contrairement à un uniforme, de ce fait elle ne peut justifier la différence de traitement existante entre les hommes et les femmes.

La Haute juridiction, renforce le principe d’égalité hommes femmes en considérant qu’il n’est pas possible d’interdire une coiffure aux hommes, si celle-ci est autorisée aux femmes.

Dans un arrêt du 11 janvier 2012 n° 10-28.213 relatif au port de boucles d’oreilles par un salarié la Cour de cassation avait affirmé au visa de l’article L1132-1 du Code du travail qu’

« aucun salarié ne peut être licencié en raison de son sexe ou de son apparence physique, la cour d’appel qui a relevé que le licenciement avait été prononcé au motif, énoncé dans la lettre de licenciement que "votre statut au service de la clientèle ne nous permettait pas de tolérer le port de boucles d’oreilles sur l’homme que vous êtes", ce dont il résultait qu’il avait pour cause l’apparence physique du salarié rapportée à son sexe ; qu’ayant constaté que l’employeur ne justifiait pas sa décision de lui imposer d’enlever ses boucles d’oreilles par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, elle a pu en déduire que le licenciement reposait sur un motif discriminatoire ; que le moyen, inopérant en ce qu’il se fonde sur l’article L1121-1 du Code du travail dont la cour d’appel n’a pas fait application, n’est pas fondé ».

Sources.

C. cass. 23 novembre 2022, Air France n°21-14.060.
CJUE, 14 mars 2017, Micropole Univers, C-188/15.
Article L1132-1 du Code du travail.
Articles L1121-1 du Code du travail.
Article L1134-1 du Code du travail.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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