Prud’hommes et unicité d’instance : quelles règles avant et après le 1er août 2016 ?

Par Frédéric Chhum, Avocat et Annaelle Zerbib, Juriste

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Explorer : # unicité d'instance # prud'hommes # discrimination # harcèlement moral

Dans un arrêt du 1er juillet 2020 (n°18-24180), la Cour de cassation affirme que les demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail sont recevables même en appel pour les instances introduites devant les Conseils de prud’hommes antérieurement au 1er août 2016.

-

1) Les faits.

Madame Y a été engagée par la société Air Austral le 28 octobre 2009 en qualité d’assistante du responsable de formation équipage.

Le 25 septembre 2015, elle saisit la juridiction prud’homale de demandes tendant au paiement de dommages et intérêts pour préjudice moral, s’estimant victime de faits de discrimination et de harcèlement moral.

Madame Y est licenciée le 10 octobre 2016.

Le Conseil de prud’hommes l’ayant déboutée de toutes ses demandes, elle interjette appel le 11 mai 2017 et présente devant la Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion des demandes nouvelles au titre de la rupture de son contrat de travail.

La Cour d’appel, le 16 octobre 2018, juge irrecevable ses demandes nouvelles du fait qu’elles n’avaient pas été présentées devant les premiers juges, la règle d’unicité de l’instance abrogée à compter du 1er août 2016.

Madame Y forme alors un pourvoi en cassation.

2) L’arrêt du 1er juillet 2020 : survie de la règle d’unicité d’instance aux instances prud’homales introduites avant le 1er août 2016.

Au visa de l’article R1452-7 du Code du travail alors applicable et des articles 8 et 45 du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, la Cour de cassation, dans l’arrêt du 1er juillet 2020 (n°18-24180), casse l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion.

En effet, la Haute juridiction affirme qu’il

« résulte des articles 8 et 45 du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 que les dispositions de l’article R1452-7 du Code du travail, aux termes desquelles les demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail sont recevables même en appel, demeurent applicables aux instances introduites devant les conseils de prud’hommes antérieurement au 1er août 2016 ».

Elle ajoute que

« pour déclarer irrecevables les demandes de la salariée au titre de la rupture de son contrat de travail, l’arrêt retient que ces demandes n’ont pas été présentées devant les premiers juges et sont donc nouvelles en cause d’appel ».

La Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion

« ajoute que l’article R1452-7 du Code du travail a été abrogé par le décret du 20 mai 2016 mettant fin au principe de l’unicité de l’instance et que, s’agissant d’une règle de procédure, elle est d’application immédiate pour les instances postérieures à son entrée en vigueur ».

Dès lors, elle

« en déduit que la salariée, ayant interjeté appel le 11 mai 2017, n’est pas fondée à invoquer ce principe, même s’il était applicable devant les premiers juges ».

Cette interprétation est rejetée par la Cour de cassation qui considère ainsi que la Cour d’appel a violé les textes susvisés.

3) Observations.

3.1) L’abrogation de la règle d’unicité de l’instance résultant du décret du 20 mai 2020.

La règle de l’unicité de l’instance était celle obligeant une partie à formuler toutes les demandes au titre de son contrat de travail dans le cadre d’une seule instance [1].

La règle d’unicité de l’instance permettait aux parties de formuler de nouvelles demandes découlant d’un contrat en cours d’instance ou même devant la Cour d’appel, tel que le prévoyait l’article R1452-7 du Code du travail.

Le décret n° 2016-660 du 20 mai 2020, relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail, a supprimé cette règle de l’unicité en abrogeant l’article R1452-7 du Code du travail à compter du 1er août 2016.

3.2) La survie temporaire de la règle d’unicité de l’instance posée par la Cour de cassation dans l’arrêt du 1er juillet 2020 pour les saisies prud’homales antérieures au 1er août 2016.

La Cour de cassation, dans l’arrêt du 1er juillet 2020 (n°18-24180), affirme que la date prise en compte pour la survie de l’article R1452-7 du Code du travail est celle de la saisine du Conseil de prud’hommes.

Le décret du 20 mai 2016 prévoit la suppression de la règle d’unicité de l’instance à compter du 1er août 2016.

La Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion en avait déduit que l’appel interjeté postérieurement, le 11 mai 2017, était concerné par l’abrogation de la règle.

La Cour de cassation censure cette interprétation.

En effet, le Conseil de prud’hommes ayant été saisi le 25 septembre 2015, la règle d’unicité de l’instance reste ainsi applicable à toute l’instance.

A contrario, si le Conseil de prud’hommes avait été saisi après le 1er août 2016, les nouvelles demandes auraient été déclarées irrecevables.

Source : Cass. soc., 1er juil. 2020, n°18-24180.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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Notes de l'article:

[1Article R1452-6 du Code du travail.

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  • Dans son arrêt du 1er juillet 2020, la Cour de cassation n’a pas statué sur la question relative à l’application dans le temps de l’abrogation de la règle de l’unicité de l’instance prud’homale qui était issue de l’article R. 14252-6 du Code du travail, mais sur celle de l’abrogation des dispositions de l’article R. 1452-7 du même Code qui autorisaient les demandes nouvelles en appel en matière prud’homale.

    Cependant, comme pour l’abrogation des dispositions qui autorisaient les demandes nouvelles en appel, celle de la règle de l’unicité de l’instance est applicable à compter du 1er août 2016, en vertu des articles 8 et 45 du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016.

    • par pascal , Le 13 novembre 2020 à 11:14

      Bonjour monsieur Philippe de NIORT,

      L’article ce trompe alors ? et on peut toujours ajouter des demandes à une demande en cours ?

      Cld.

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