Interview d'Isabelle-Eva Ternik : de l'avocate à l'humaniste.

Interview d’Isabelle-Eva Ternik : de l’avocate à l’humaniste.

Propos recueillis par Marie Depay,
Rédaction du Village de la Justice.

2014 lectures 1re Parution: Modifié: 5  /5

Explorer : # négociation amiable # hyperspécialisation # développement personnel

La Rédaction du Village de la Justice a fait la connaissance d’Isabelle-Eva Ternik lors de la publication des chroniques « Avocates, inspirez-nous » [1]. Nous avons alors découvert une avocate passionnée par son métier et qui, pour donner plus de sens à son travail, met à disposition de tous ses softs-skills, à savoir, l’écoute, l’oralité, la confiance en soi, l’humour, le partage.

Ancienne juriste d’entreprise, avocate au service des TPE/PME, créatrice de formations en prise de parole et intervenante auprès des jeunes méritants aux parcours de vie difficile, Isabelle-Eva Ternik illustre qu’il est possible de diversifier ses compétences dans une carrière juridique.

Nous vous proposons d’aller à la rencontre de cette avocate dynamique et engagée.

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Village de la Justice : Pour quelles raisons avez-vous quitté votre poste de juriste pour devenir avocate ?

« Etre au plus proche des préoccupations humaines, techniques et financières de mes clients. »

Isabelle-Eva Ternik : « Je ressentais mon travail de juriste en grande entreprise comme du « taylorisme intellectuel ». Il y avait une course à la sur-spécialisation : au lieu d’avoir un juriste qui sécurisait un projet dans son ensemble, il y avait une multitude de juristes qui intervenaient chacun sur une spécialité (juriste marketing, juriste relation client, juriste données personnelles, juriste propriété intellectuelle etc…). L’objectif d’entreprise était de gagner en expertise et en temps, mais cela avait parfois comme conséquence cocasse que, pour certaines problématiques, aucun juriste ne s’estimait compétent ! (Rires)

Au fil des années, cette hyperspécialisation m’a vraiment pesé : j’avais besoin de diversifier mes tâches et de me recentrer sur l’humain ! Après une mission à la Direction des Ressources Humaines, j’ai décidé de passer l’examen du Barreau pour devenir avocate indépendante, afin d’être au plus proche des préoccupations humaines, techniques et financières de mes clients. Aujourd’hui, j’ai la chance d’avoir un quotidien très varié aux côtés de chefs de TPE/PME qui évoluent dans divers secteurs de la vie économique : je les sécurise de A à Z dans la réalisation de leurs projets et dans la résolution de leurs conflits. »

Quel style d’avocate êtes-vous ?

« Ayant débuté ma carrière en tant que juriste d’entreprise, j’ai pris l’habitude de délivrer des conseils juridiques clairs et opérationnels, qui exposent de manière pédagogique les avantages et les risques. Cette approche est toujours au cœur de ma manière de travailler en tant qu’avocate en droit commercial. Un chef d’entreprise m’a dit un jour : "Vous, je vous comprends quand vous parlez. Est-ce que je peux vous payer pour me traduire ce que dit mon avocat actuel ?" (Rires) »

Quelle est votre conception du métier d’avocat ?

« Le métier d’avocat tout comme celui de formateur, je le conçois comme celui d’un accompagnement personnalisé. Mon approche peut être qualifiée d’humaniste et de pragmatique. Lorsqu’un chef d’entreprise me sollicite pour un problème ou un projet, je le questionne sur ses préoccupations profondes : qu’est-ce qui l’angoisse ? qu’est-ce qui le motive ? qu’est-ce qui le satisfait ? etc… A partir de ses réponses, j’explore tant le plan commercial que social et familial. Il m’est primordial de bien appréhender ses besoins sous-jacents, ses atouts inexploités et ses fragilités cachées. Cette connaissance de mes clients me permet de leur ouvrir un champ d’options juridiques répondant concrètement à leurs attentes. La relation avocat – client est une aventure humaine ! »

Avez-vous une citation qui vous guide au quotidien ?

« Le doute n’est pas une faiblesse, au contraire, c’est une force. »

« "Il vaut mieux s’agiter dans le doute que se reposer dans l’erreur" d’Alessandro Manzoni.
Le doute n’est pas une faiblesse, au contraire, c’est une force selon moi dans le métier d’avocat.
Douter, c’est être à l’affût, se confronter, remettre en cause, élargir le champ des possibles et innover. Douter amène à aller de l’avant, à monter en compétences, à explorer plusieurs stratégies jusqu’à trouver une solution adaptée au mieux aux besoins de la situation.
Un avocat en fin de carrière m’a confortée dans cette vision en me disant : "Le jour où vous ne douterez plus, il faudra raccrocher la robe ! La certitude est mauvaise conseillère : elle enferme". » 

Dans votre pratique quotidienne, utilisez-vous les Modes Alternatifs de Règlements des Différents ? Si oui, pour quelles raisons ?

« Un procès est toujours plus long et plus coûteux qu’un accord transactionnel tant sur le plan financier que sur le plan émotionnel.
Saisir le juge, c’est se référer à une figure d’autorité pour "sanctionner" l’autre partie ou "la faire payer le maximum" et, de facto, être dans une position d’attente que "la meilleure solution pour soi" soit décidée par un tiers. Le procès peut durer des années. A la fin, la décision de justice sera argumentée en droit (sur la base des textes de loi) et non en équité (en fonction des besoins des parties), par rapport à une situation figée sans se projeter dans l’avenir.
Ne pas initier de procès, c’est renoncer au fantasme de pouvoir obtenir tout ce que l’on souhaite d’une figure d’autorité. Signer un accord amiable avec l’aide d’avocats, c’est devenir acteur et assumer d’être responsable de la co-construction d’une solution satisfaisante pour toutes les parties.
Pour ces raisons, je privilégie dans ma pratique la négociation amiable (via les MARD) et je ne saisis le juge qu’en dernier recours. Néanmoins, quand les rapports de force sont déséquilibrés, il est indispensable de faire trancher le litige par l’autorité judiciaire à laquelle la partie la plus forte est tenue de se soumettre. »

De par votre propre expérience, quelle est la différence majeure entre le statut de salarié et celui d’indépendant ?

« A mes yeux, c’est le pouvoir de prendre des décisions, fixer ses priorités et gérer son agenda à sa guise ! Un salarié doit exécuter des ordres alors qu’un indépendant doit assumer ses choix. Mon premier acte à la tête de mon cabinet a été… vous allez être surpris(e)… de m’engager comme bénévole au sein d’une association qui aide les jeunes à réaliser leurs projets professionnels et parallèlement à développer mon offre de formation en prise de parole. »

Qu’est-ce qui a motivé votre engagement auprès des jeunes ?

« Savoir se questionner est essentiel pour pouvoir vivre pleinement sa vie. »

« Pendant mon adolescence, j’ai passé du temps à tenir compagnie à des personnes seniors en leur jouant de la musique et en leur lisant des livres à voix haute. Au fil des bavardages, j’ai constaté que nombre d’entre elles vivaient avec des regrets : avoir subi, ne pas avoir osé, s’être forcé à être conforme à ce qu’on attendait d’elles.
Aujourd’hui, j’aide des jeunes en quête de sens à identifier leurs singularités pour se réaliser. La période 15-25 ans peut être un moment de vie catalyseur pour le jeune s’il est bien entouré. Savoir se questionner est essentiel pour pouvoir vivre pleinement sa vie. Tout l’enjeu est d’amener le jeune à prendre du recul par rapport à sa situation, à faire le tri entre ce que d’autres lui imposent et ce qui lui plaît vraiment, à prendre la parole pour se montrer tel qu’il est sans crainte de l’image qu’il renvoie et du regard qu’on porte sur lui. Il s’agit d’opter pour la sérénité plutôt que pour la popularité… un véritable défi dans notre société où tout est liké ou instagrammé ! »

Pourquoi être devenue formatrice en prise de parole ?

« Tout est parti d’un constat, la peur de parler en public, la peur de ne pas savoir convaincre, la peur d’être ridicule. D’où viennent ces peurs ? Pour moi, prendre la parole est une source de plaisir pour partager, convaincre, émouvoir ou faire rire. Certaines personnes le vivent pourtant comme un cauchemar… Elles craignent de ne pas arriver à trouver les mots justes pour exprimer ce qu’elles sont, ce qu’elles pensent, ce qu’elles ressentent. »

Comment se fait votre accompagnement ?

« Faire entrer en résonnance la perception extérieure et le ressenti intérieur pour une meilleure interaction aux autres. »

« Mon expérience de RH et d’avocate m’a permis de développer une méthode efficace d’accompagnement à la prise de parole centrée sur la personnalité et le vécu de chacun. L’objectif étant de faire entrer en résonnance la perception extérieure et le ressenti intérieur pour une meilleure connaissance de soi et une meilleure interaction aux autres. Chaque personne est singulière. Mon accompagnement se fait donc en fonction des besoins et des aspirations exprimés.
Les thèmes que je traite sont variés : connaissance de soi, assertivité, négociation, entretien d’embauche, pitch de création d’entreprise etc…

Ce qui me passionne dans l’accompagnement, c’est d’identifier les points de blocage, de faire taire l’auto-censure et de catalyser les atouts. Chacun(e) doit apprendre à s’accepter et à être aligné(e) avec ses valeurs fondamentales pour devenir la meilleure version de soi-même et s’épanouir dans sa vie professionnelle ! »

Qui peut bénéficier de ces formations en prise de parole ?

« En tant que formatrice, j’interviens auprès de publics divers et variés, de l’adolescent en décrochage scolaire jusqu’au cadre en reconversion professionnelle. Trois catégories sont particulièrement intéressées par mes formations : les jeunes qui se cherchent, les actifs qui rencontrent des difficultés dans leur travail et les femmes qui manquent de confiance en elle.

Des consœurs aussi me sollicitent pour des accompagnements en individuel, notamment des avocates qui perdent leurs moyens face à des confrères de mauvaise foi, des indépendantes qui ont du mal à gérer leurs clients difficiles et des collaboratrices qui souhaitent lancer leur propre cabinet.
De plus, j’ai créé un groupe LinkedIn "Paroles Confratern’Elles" [2] dédiées aux avocat(e)s.
Tous les 1ers lundi du mois, j’anime une conférence gratuite via Zoom intitulée « Lundi Shary » [3] qui est un espace de libération de la parole, où j’aborde une problématique du quotidien d’avocat.e.
Au programme, un cheminement qui permet de « porter sa voix » et donc de s’affirmer ! »

Propos recueillis par Marie Depay,
Rédaction du Village de la Justice.

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