Village de la Justice : Quelle a été votre motivation pour créer cette chronique « Avocates, inspirez-nous ! » ?
Christine Méjean : « L’idée d’interviewer des femmes avocates m’est venue à la croisée de mon parcours et de la lecture du rapport Haeri [2] de mars 2017. A cette époque, j’avais perçu les limites de l’exercice en individuel tout en restant convaincue de ses avantages considérables notamment pour la qualité de vie au travail et je souhaitais donc développer et organiser un mode de collaboration entre avocats à la fois respectueux de leur liberté et générateur de fortes synergies pour que chacun puisse exercer pleinement ses compétences.
En allant à la rencontre de mes confrères et consœurs dans le cadre de ce projet, j’ai entendu des parcours, des histoires de femmes avocates qui m’ont émues. Et puis, j’ai été interpellée par les statistiques du rapport Haeri, j’ai alors eu envie de m’engager pour les femmes avocates. J’ai créé en juin 2017 un rendez-vous des avocates fondé sur le partage, la bienveillance et la solidarité.
Comme je n’avais jamais ressenti le besoin d’un engagement féministe auparavant, je me suis interrogée sur le fondement de ma démarche et sur ce que pouvait être la valeur ajoutée des femmes dans le monde notamment professionnel. En parallèle, j’entendais beaucoup, au sein des réseaux au féminin, parler pour les femmes du « syndrome de l’imposteur » et de « manque d’assurance ». Mais pourquoi les femmes seraient-elles condamnées à vivre professionnellement moins à l’aise que les hommes ? La conclusion qui s’est imposée à moi, c’est que les femmes pour être bien dans leur vie professionnelle et y réussir, devaient assumer leurs choix et être fières de ceux-ci ! Pour cela, dans un monde où les codes sont principalement masculins, il m’est apparu capital d’impulser un discours positif et de créer de la solidarité autour de cette vision plus féminine !
En faisant ces recherches j’ai découvert le livre de Muriel de Saint Sauveur « Un monde au féminin serait-il meilleur ? ». J’ai eu envie de mettre en œuvre une démarche similaire : aller à la rencontre des femmes avocates, les écouter et contribuer à mettre en valeur toutes leurs richesses pour les partager avec les autres femmes avocates !
J’en ai parlé à Isabelle-Eva dont l’attention et la finesse de perception des qualités humaines m’ont laissé penser qu’elle pourrait être intéressée ! Et puis, j’ai aussi pensé à son talent de photographe pour mettre en image toutes ces femmes ! Quelle joie… elle était partante ! Et c’était sans compter sur son incroyable énergie à mettre à exécution le projet et à le rendre viable et équilibré ! Nous nous sommes alors embarquées dans cette aventure d’interviews en juillet 2018 ! »
Isabelle-Eva Ternik : « Lorsque Christine m’a parlé de son idée, j’ai immédiatement été enthousiaste car ce projet faisait sens pour moi à double titre.
D’une part, le travail d’avocat est un métier par essence solitaire, car il requiert une volonté d’indépendance, un esprit critique et une vision stratégique. La conséquence est un individualisme fort dans la profession ! Beaucoup d’avocats considèrent malheureusement les autres avocats non pas comme des « confrères », liés par un sentiment d’union et de soutien, mais comme des « concurrents », animés par une rivalité. Or, je suis convaincue que dans tout métier, oser s’ouvrir à ses pairs au sujet d’une problématique diminue le stress et favorise la montée en compétences tant techniques que relationnelles. On se nourrit du vécu des autres, on questionne ses pratiques et on élargit ses horizons grâce aux autres. Il n’y a que du positif dans le partage d’expériences !
D’autre part, si on caricature, les avocats n’ont aucune difficulté à se mettre sur le devant de la scène y compris lorsqu’ils jouent un second rôle ; en revanche, les avocates ont tendance à rester sur l’arrière de la scène même lorsqu’elles ont le premier rôle (Rires) ! Partant de ce constat, j’ai eu à cœur de mettre dans la lumière des avocates aux parcours riches et diversifiés. Dans chaque interview, ces avocates se confient en toute authenticité tant sur leur conception du métier que sur leurs préoccupations quotidiennes et délivrent des conseils issus de leur pratique. L’objectif était de faire vivre aux lecteurs une rencontre avec l’avocate interviewée. Ainsi, j’ai privilégié un style de rédaction vivant et j’ai photographié chaque avocate de manière à laisser transparaître son tempérament au travers d’un regard, d’un sourire ou d’une attitude. »
Qu’est-ce que cette chronique vous a apporté ?
Christine : « Ces interviews nous ont permis de découvrir des personnalités d’une diversité incroyable ! Des femmes actives, engagées, épanouies, attentives à leurs clients, à leurs collaborateurs, et à leurs associés voire au monde des avocats en général pour les élues de la profession. Des énergies incroyables dont elles peuvent toutes être très fières !
Toutes ces rencontres m’ont personnellement confortée dans l’idée que le métier d’avocat est incroyablement riche et qu’il offre un potentiel de mode d’exercice illimité. C’est une pépite dans le monde actuel : un métier au cœur de l’humain, de la société, de l’économie et qui laisse une autonomie folle !
Nous avons une chance incroyable de l’exercer et j’espère profondément que notre chronique aura contribué à mettre cela en lumière à une période où l’exercice professionnel est si mal vécu par beaucoup d’avocats et d’avocates en particulier.
Ce n’est ni parce que les modes d’exercice, notamment la collaboration, ont évolué dans un sens qui montre aujourd’hui ses limites, notamment en termes de respect de l’humain, ni parce que les conditions économiques d’exercice ne sont pas évidentes, notamment pour les femmes, qu’il faut baisser les bras ou seulement brandir des revendications.
Prenons-nous en main, inventons et mettons en œuvre un exercice respectueux de l’humain, et qui met en avant les qualités de tous et en premier lieu celles des avocates, au service de nos clients ! »
Isabelle-Eva : « Chacune de nos interviews a été une rencontre intense en émotions et riche en confidences ! Mener une interview en toute authenticité implique de ne pas savoir où l’on va et d’accepter l’imprévu. Il est primordial de laisser libre cours à sa spontanéité et à son instinct.
J’aime être à l’écoute et à l’affût d’un regard, d’une mimique, d’un signe paraverbal qui incite à rebondir sur la réponse donnée, parce que je perçois qu’il y a d’autres éléments à un niveau plus profond de conscience. Il s’agit d’instants de magie où subitement une formule jaillit sur un sujet qui tient à cœur de l’avocate interviewée avec une telle force qu’elle provoque un silence.
Entre autres formules qui résonnent encore, je me souviens de :
Nolwenn Leroux : "J’accompagne le client, je ne me substitue pas à lui."
Carole Vercheyre-Grard : "Ne pas trop donner de soi aux clients. Plus on donne, plus il y a un risque que le client le considère comme un dû."
Dominique De La Garanderie : "Un avocat passe toute sa vie à découvrir et à se former, rien n’est jamais acquis. Avec plus de cinquante ans de barreau, je continue à apprendre !"
Elisabeth Cauly : "La solidarité entre confrères a tendance à s’étioler ces dernières années. Pourtant, aider ne dépossède pas du savoir."
Certaines avocates interviewées ont d’ailleurs été surprises de leurs propres réponses. Il est vrai que le quotidien d’un avocat qui enchaîne les urgences n’est pas propice à la prise de recul et au questionnement de ses choix. Chaque interview ayant duré plus de 2 heures, nous avons vraiment pu investiguer différents sujets ayant marqué leur vie professionnelle. Une avocate s’est même exclamée : "Votre interview m’a permis de faire une sorte de bilan de carrière !". »
Que pensez-vous faire après cette année de publication ? Y aura-t-il une suite ?
Isabelle-Eva et Christine : « Tout d’abord un grand merci au Village de la Justice ! Nous avons beaucoup apprécié la philosophie de la communauté fondée par Christophe Albert, qui a tout de suite accepté la publication de notre initiative, et aussi l’implication de Marie Depay renouvelée à chaque interview. La manière dont Village de la Justice contribue à la communauté des juristes est aussi profondément inspirante !
Chaque belle aventure doit se terminer pour laisser place à une autre… Et chacune de nous poursuit déjà son engagement pour les femmes avocates sous d’autres formes : des accompagnements en individuel et en collectif pour Isabelle-Eva, l’organisation d’espaces de rencontre et de solidarité pour Christine.
Nous sommes ravies que cette chronique ait trouvé son public. Qui sait… peut-être des consœurs la poursuivront dans d’autres régions de France, afin de faire rayonner des partages d’expériences pour que le monde des avocats devienne meilleur ! 😊 »
NDLR : Le Village de la Justice remercie Christine Méjean et Isabelle-Eva Ternik de nous avoir proposé l’ensemble de ces entretiens qui ont permis à nos lecteurs de découvrir la diversité des profils composant la profession d’avocat et un potentiel de mode d’exercice illimité de ce métier.
Crédit photo : Isabelle-Eva Ternik.
Discussions en cours :
Merci à Isabelle-Eva Ternik pour ses interviews de qualité, son art de questionner toujours à propos met en confiance et permet un échange authentique.
Personnellement, j’ai effectivement été inspirée par la lecture de tous ces retours d’expérience de ces femmes-avocats – toutes plus brilantes les unes que les autres – au point même de reconsidérer l’avocature après des années d’entreprise !... Toutes mes félicitations aux auteurs de ce panorama...en croisant les doigts pour une « Saison 2 » ?
Merci beaucoup Aurore pour votre commentaire enthousiaste ! Nous serons ravies de vous retrouver dans notre si belle profession ! La saison 2 recherche ses animatrices ! N’hésitez pas à nous contacter si vous êtes intéressée !