A cette occasion, se pose la question d’un éventuel report des actes médico-chirurgicaux à un âge où l’enfant pourrait participer à la décision : si l’intention peut sembler louable, cette préconisation fait fi de l’autorité parentale des parents chargés de veiller sur leur enfant en bas-âge, et le risque est réel de priver certains enfants de soins sous prétexte d’attendre un consentement que, en tout état de cause, ils ne peuvent donner de façon éclairée pendant leur enfance.
La loi de bioéthique du 29 juin 2021 introduit dans le Code de la santé publique un chapitre consacré aux « enfants présentant une variation du développement génital ».
Il s’agit des enfants pour lesquels il est délicat de déterminer, à la naissance, s’ils sont des filles ou des garçons en raison de l’ambiguïté de leurs organes sexuels [1]. Ceci recouvre « des situations médicales congénitales caractérisées par un développement atypique du sexe chromosomique (ou génétique), gonadique (c’est‐à‐dire des glandes sexuelles, testicules ou ovaires) ou anatomique (soit le sexe morphologique visible) » [2]. Les situations sont très variées et, si l’ambiguïté sexuelle peut être apparente à la naissance, on la découvre aussi parfois plus tard, par exemple en recherchant les cause d’une infertilité [3].
La communauté médicale internationale, lors de la conférence de Chicago en 2005, a désigné ces situations comme « troubles du développement sexuel » (Disorders of Sexual Development, DSD) [4]. En France, les médecins parlent aussi d’« anomalies du développement génital (ADG) » [5].
La loi de bioéthique a retenu le terme de « variations du développement génital », à l’instar du Conseil d’Etat Conseil d’Etat, [6], et le Comité consultatif national d’éthique a choisi quant à lui le terme de « variations du développement sexuel » [7]. Ce terme de « variations » ne semble pourtant guère adéquat car, sous prétexte de ne pas stigmatiser les personnes concernées, il passe sous silence la dimension pathologique de leur état. Il est pourtant clair que ces « variations » des organes génitaux relèvent de situations pathologiques, sinon on se demande pourquoi une simple variété exigerait une prise en charge par des centres spécialisés dans les maladies rares du développement génital.
Le Conseil d’Etat n’exclut d’ailleurs pas cette dimension pathologique, considérant qu’ « une variation du développement génital peut sans difficulté être considérée comme une lésion » [8], et le rapporteur du projet de loi, tout en adhérant à l’objectif de « dépathologiser » [9], n’en évoquait pas moins des « pathologies extrêmement compliquées qui font l’objet de consultations complexes » [10].
Ces situations de « variations du développement génital » interrogent le droit essentiellement de deux manières : se pose tout d’abord la question de l’état civil et, concrètement, de la déclaration de la naissance de l’enfant en tant que fille ou garçon, qui n’est pas l’objet de cet article. Se pose ensuite la question de la réponse médicale à apporter à ces situations.
La question est sensible car la prise en charge médicale et, en particulier, les interventions chirurgicales sur les organes génitaux ambigus ou atypiques chez de jeunes enfants ont pu conduire par le passé à de grandes souffrances car certains patients ont gardé des séquelles physiques importantes et/ou ont développé une identité sexuelle en désaccord avec le sexe qui avait été privilégié. Quelques-uns, qui ont beaucoup souffert des traitements réalisés pendant leur enfance, militent pour que ces opérations ne soient plus pratiquées afin d’attendre que l’enfant puisse consentir lui-même aux interventions envisagées.
Cependant, il n’est pas possible d’ignorer que les conditions de la prise en charge ont beaucoup évolué : des pratiques anciennes ne peuvent servir de levier pour priver les enfants qui naissent aujourd’hui des soins que la médecine peut leur proposer.
Différer toute intervention médicale sur les enfants serait une réponse exagérée aux souffrances (réelles) vécues par ces personnes aujourd’hui adultes et qui dénoncent des formes de prise en charge aujourd’hui dépassées et n’ayant plus cours. Ce n’est d’ailleurs pas ce que fait la loi de bioéthique qui ne comporte pas de recommandation en ce sens.
Le nouveau chapitre consacré aux VDG comporte un article unique, l’article L2131-6 aux termes duquel « La prise en charge d’un enfant présentant une variation du développement génital est assurée après concertation des équipes pluridisciplinaires des centres de référence des maladies rares spécialisés, dans les conditions prévues à l’article L1151-1 », lequel vise les actes qui peuvent être soumis à des règles de bonne pratique fixées par arrêté conjoint des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, après avis de la Haute Autorité de santé.
L’objectif de cet arrêté de bonnes pratiques sera ainsi l’harmonisation des prises en charge de ces patients sur le territoire, par une prise en charge systématique dans un centre de référence des maladies rares (CRMR) ou un centre de compétences maladies rares pour une prise en charge de proximité (CCMR, rattachés à un CRMR), avec analyse du dossier en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) nationale ou locale.
Les bonnes pratiques devront préciser les critères de rattachement à ces centres et d’examen en RCP, autrement dit la définition des cas visés sous le terme de variations du développement génital, ainsi que les modalités concrètes de la concertation (composition de la RCP, fréquence des réunions etc.).
Quant à la réponse médicale proprement dite, la loi nouvelle précise que : « cette concertation établit le diagnostic ainsi que les propositions thérapeutiques possibles, y compris d’abstention thérapeutique, et leurs conséquences prévisibles, en application du principe de proportionnalité …. ». Ces informations et l’avis issus de la concertation sont portés au dossier médical de l’enfant. L’équipe du centre de référence chargée de la prise en charge de l’enfant assure une information complète et un accompagnement psychosocial approprié de l’enfant et de sa famille et veille à ce que ces derniers disposent du temps nécessaire pour procéder à un choix éclairé.
« Lors de l’annonce du diagnostic, un membre de l’équipe… informe les titulaires de l’autorité parentale de l’existence d’associations spécialisées dans l’accompagnement des personnes présentant une variation du développement génital et, le cas échéant, de la possibilité d’accéder à un programme de préservation de la fertilité...
Le consentement du mineur doit être systématiquement recherché s’il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision ».
La loi prévoit par ailleurs la remise par le Gouvernement au Parlement d’un rapport dans les 18 mois suivant la publication de l’arrêté.
A la faveur de ces nouvelles dispositions, certaines instances et associations préconisent le report des actes médico-chirurgicaux, chaque fois qu’il est techniquement possible, jusqu’à un âge où l’enfant pourrait participer à la décision.
Cette préconisation s’appuie notamment sur le rapport du Conseil d’Etat de juin 2018, qui interprète la notion de nécessité médicale en la limitant aux cas où la lésion que constitue la variation du développement génital met en jeu en jeu le pronostic vital ou entraîne une souffrance physique. A défaut, selon le Conseil d’Etat, il conviendrait d’attendre pour intervenir que l’enfant puisse « faire état de la souffrance qu’il associe à sa lésion » [11] et exprimer son consentement aux traitements proposés.
Cette préconisation faite par le Conseil d’Etat a sa légitimité en tant que recommandation adressée au législateur, mais elle ne peut suffire en elle-même pour donner un fondement légal à un report de principe des interventions car elle ajoute à la loi alors que le Conseil d’Etat n’est pas le législateur.
Les nouvelles dispositions ne prévoient pas un report de principe des interventions.
Les parlementaires ont eu pleinement l’occasion de débattre de ce point lors de l’examen de la loi de bioéthique, après avoir entendu des associations aussi bien que des députés se faisant leur porte-parole, et ils n’ont pas souhaité inscrire dans la loi un principe de report des actes médico-chirurgicaux sauf pronostic vital engagé ou souffrances physiques.
C’est donc en connaissance de cause que le législateur n’a pas opté pour ce report de principe. Il a précisé l’obligation pour la concertation d’envisager toutes les propositions thérapeutiques possibles, y compris l’abstention thérapeutique, mais n’a pas tranché en faveur de cette dernière ni n’a recommandé un report des propositions thérapeutiques jusqu’au recueil du consentement de l’enfant.
Inclure aujourd’hui dans les règles de bonne pratique la recommandation de reporter les actes médicaux dès lors qu’ils peuvent techniquement l’être ajouterait donc au nouvel article L2131-6 du Code de la santé publique et encourrait à ce titre l’illégalité.
Un report de principe serait en contradiction avec le droit médical en vigueur.
Plus généralement, ce nouvel article L2131-6 du Code de la Santé publique ne modifie pas le droit commun des patients qui demeure applicable, y compris aux situations de variations du développement génital : l’information complète de l’enfant et de ses parents et la recherche systématique du consentement du mineur s’il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision ne sont en effet que la reprise des principes généraux qui figurent au frontispice du Code de la santé publique, à savoir l’information complète donnée au patient [12] et la recherche du consentement du mineur s’il est apte [13].
Par ailleurs, la RCP n’est habilitée par les dispositions nouvelles qu’à établir les propositions thérapeutiques et à donner un avis, la décision finale appartenant, comme toute décision médicale, au patient ou à ses représentants légaux s’il est mineur, en concertation avec le professionnel de santé comme le prévoit l’art. L1111-4 CSP.
Dans ce contexte, de deux choses l’une : si l’atteinte à l’intégrité physique liée à l’intervention médico-chirurgicale ne relève pas de la nécessité médicale, elle est illégitime sur le fondement de l’article 16-3 du Code Civil et attendre le consentement de l’enfant lui-même ne signifie rien car un consentement de l’enfant ne saurait justifier une atteinte à son intégrité physique sans nécessité médicale pour lui.
Si, à l’inverse, l’acte envisagé relève de la nécessité médicale pour l’enfant, les parents sont compétents pour donner le consentement de l’intéressé dont ils sont les représentants légaux. Attendre ne relève d’aucune nécessité juridique dès lors que l’enfant a des représentants légaux, chargés précisément par la loi de consentir à sa place. Au contraire, le report de l’acte malgré le consentement des parents peut relever de la privation de soin.
Si la loi prévoit que le consentement de l’enfant est systématiquement recherché s’il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision, elle n’impose en aucun cas de différer toute intervention médicale sur l’enfant jusqu’à ce qu’il puisse exprimer son consentement. Au contraire, la loi institue des représentants légaux pour l’enfant et leur donne la mission de consentir aux actes nécessaires, y compris lorsque l’enfant ne peut pas encore participer à la décision.
C’est donc de façon abusive que le Conseil d’Etat, dans son étude, affirme que « la loi du 4 mars 2002 a consacré l’obligation d’associer le mineur à la décision médicale » [14]. En effet, la loi n’a prévu cette obligation que si l’enfant « est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision ». Elle n’a jamais posé l’obligation pour les parents d’attendre cette aptitude de l’enfant pour prendre une décision relative à sa santé.
La préconisation, par arrêté, d’un report de principe des actes médicaux qui peuvent techniquement l’être, pour attendre que l’enfant s’exprime, ajouterait donc à la loi en restreignant la capacité dont sont investis ses représentants légaux de prendre les décisions relatives à sa santé.
L’appréciation de la nécessité médicale intègre toute la personne.
La définition de la santé par l’OMS comme un état de complet bien-être physique, mental et social invite à apprécier la situation de l’enfant de façon globale, sans cantonner sa santé au seul aspect de souffrances physiques en ignorant le volet mental et social, au prétexte qu’il conviendrait d’attendre que l’enfant sache l’exprimer. Dès lors, reporter systématiquement les actes médicaux-chirurgicaux pouvant techniquement être reportés en vue d’attendre le consentement de l’enfant pourrait lui être préjudiciable et porter atteinte à son droit de recevoir des soins de qualité.
En conséquence, il apparaît que la nécessité médicale ne peut s’apprécier au regard des seuls aspects physiologiques et qu’il convient d’intégrer dans l’appréciation globale les répercussions sur le psychisme de l’enfant. Alors que des interventions précoces pourraient permettre à l’enfant de grandir et se construire dans un sexe le plus évident possible dès sa petite enfance, pour une enfance la plus harmonieuse possible, le laisser dans un état indéterminé ou avec des organes atypiques présente un risque de difficultés psychiques important. La difficulté, voire l’impossibilité, pour un enfant de se construire dans un sexe indéterminé ou atypique doit être incluse dans la décision car les soins de qualité incluent leur répercussion sur le psychisme de l’intéressé. En outre, même pour des interventions bégnines, imposer à un enfant le report d’une intervention au motif que c’est le regard de la société sur son infirmité ou sa différence qui doit changer, pourrait relever de la maltraitance dans la mesure où ni l’enfant ni les adultes qui l’entourent n’ont aucune prise sur ce regard. Il serait ainsi imposé à l’enfant de gérer le regard des autres, et l’objectif de faire évoluer le regard social ferait finalement peser sur l’enfant le poids - et la souffrance associée - de faire évoluer la société.
L’évaluation de la situation doit également tenir compte de l’impact sur la relation parents-enfant des décisions d’intervention ou d’abstention thérapeutique : une recommandation générale de différer les interventions ne tiendrait pas compte de la fort probable difficulté des parents à accompagner positivement l’enfant à s’identifier dans un corps asexué, alors qu’ils sont les premiers garants de la croissance physique et psychique harmonieuse de leur enfant. « Faire comme si » les troubles ou les malformations anatomiques sur le sexe étaient sans conséquence, ou inviter les parents à l’auto-persuasion que ces derniers n’ont aucune incidence sur l’enfant, sur son développement voire sur la relation parent-enfant elle-même est une gageure sur fond de déni de la différence des sexes et de déni que cette différence existe belle et bien dans le psychisme maternel ou paternel. Aussi, chaque parent, en concertation avec l’équipe pluridisciplinaire, doit-il être partie prenante des modalités thérapeutiques, qu’elles relèvent de l’abstention ou de l’intervention chirurgicale.
Il convient par ailleurs de relever que la possibilité de différer un acte médical ne suffit pas à exclure sa finalité médicale et, donc, sa légalité : un acte médical concernant un jeune enfant ne devient pas illégal du seul fait qu’il pourrait être reporté, sous peine de priver les enfants de nombreuses interventions bénéfiques pour eux, au motif qu’elles peuvent être réalisées plus tard : par exemple, une intervention sur une fente palatine, ou sur une syndactylie (doigts ou orteils collés, ou « main palmée »). De nombreux médecins relèvent d’ailleurs de façon générale l’obtention de meilleurs résultats et de moindres complications en cas d’intervention dans le jeune âge : « une meilleure cicatrisation, un minimum de complications et un meilleur résultat fonctionnel à l’âge adulte, d’une part : les tissus d’enfant en bas âge sont plus malléables, la vascularisation y est plus optimale, le risque infectieux y est bien plus faible » [15]. Différer de façon générale des interventions qui peuvent l’être pour attendre le consentement de l’enfant pourrait priver ce dernier des soins auxquels il a droit.
La question centrale des actes qui peuvent engager le potentiel de fertilité dans un sexe ne doit pas être esquivée : cet aspect, qui concerne un nombre limité de cas, doit être intégré à la décision mais ne peut paralyser toute intervention sur les organes génitaux car il n’est pas seul en cause.
La délicate appréciation du caractère éclairé du consentement de l’enfant.
Reporter l’intervention aux motifs de rechercher le consentement de l’enfant pose la question de l’âge pertinent pour s’assurer du caractère éclairé du consentement : en effet, quelle serait la qualité - et donc la validité - du consentement donné par un enfant de 4 ans, 6, 9, ou même 12 ans, appelé à trancher entre des propositions thérapeutiques y compris l’abstention, alors que les effets ou conséquences de ces propositions ne rencontrent pas d’écho dans l’expérience passée de la vie de l’enfant, en raison même de son jeune âge ?
Le Conseil d’Etat recommande « d’attendre que le mineur soit en état de participer à la décision, et notamment de faire état de la souffrance qu’il associe à sa lésion et de moduler lui‐ même la balance avantage‐risque de l’acte envisagé » [16]. Mais comment l’enfant pourrait-il moduler lui-même cette balance avantage-risque avant, finalement, sa majorité ?
La loi, pendant la minorité, ne prévoit en rien que l’enfant module lui-même la balance avantage-risque ni qu’il prenne lui-même la décision mais seulement que son consentement soit recherché : faire peser sur lui le poids de la décision serait contraire à la loi qui ne dispense pas les représentants légaux de la responsabilité d’une décision qui leur revient en définitive dès lors que l’enfant mineur ne fait que participer à cette décision, son consentement étant seulement recherché.
En effet, s’en remettre à la décision de l’enfant revient pour les adultes à se décharger de leur responsabilité à son égard, en faisant peser sur celui-ci une responsabilité qu’il n’est pourtant pas en capacité d’assumer : le report des interventions au prétexte de rechercher le consentement de l’enfant, n’est-il pas une forme de clause d’exonération juridique de leur responsabilité de la part des adultes qui entourent l’enfant ?
Même si l’enfant a déjà 12 ou 14 ans, il a objectivement « un manque de maturité physique et intellectuelle » qui nécessite de mettre en place à son égard « une protection spéciale et des soins spéciaux, notamment une protection juridique appropriée » [17] ; cette protection juridique appropriée s’exprime notamment par le fait que ce sont les parents, responsables légaux de l’enfant, qui prennent et assument la décision, en associant bien sûr autant que faire se peut l’enfant à cette décision. Cette protection juridique permet de ne pas faire peser sur l’enfant l’imputabilité de la décision et, si celle-ci s’avérait finalement inappropriée, lui permettrait de la mettre à distance et la dépasser.
En résumé : sur la forme, la recommandation de reporter les actes médico-chirurgicaux dès lors qu’un tel report est possible apparait illégale, car il n’est pas de la compétence d’un arrêté de modifier les règles légales relatives au consentement à l’acte médical et/ou celles relatives à la réalisation des actes médico-chirurgicaux.
Sur le fond, une telle recommandation générale serait contraire à l’intérêt de l’enfant dont chaque situation doit être appréciée au cas par cas, et risquerait d’entrainer une privation de soins pour certains enfants sur le seul motif que ces soins peuvent, techniquement, être reportés, alors que la nécessité médicale ne peut s’entendre sur un seul aspect technique mais mérite être évaluée dans une approche globale de la situation de l’enfant, y compris les aspects psychologiques et en tenant compte du rôle des parents dans le suivi et l’évolution de l’enfant.