"Je me souviens il y a une dizaine d’années du discours, que je trouvais innovant à l’époque, d’avocats d’affaires promettant à leurs clients un « accompagnement global » et des « solutions » là où d’autres mettaient en avant des actes ou des consultations. Force est de constater que la recherche d’innovation a fait un long chemin depuis : dans l’évolution de la relation de l’avocat avec son client, mais aussi jusque dans la conception des services juridiques eux-mêmes...
La pensée marketing a fait son chemin parmi les avocats, qui ont mesuré pour certains d’entre eux l’intérêt de concevoir une offre pour une typologie précise de clientèle, répondant à un besoin et positionnée à un tarif juste. Ces avocats pionniers ont su mettre en place les processus internes nécessaires et même adapter leur recrutement aux nouveaux services « standardisés » développés.
Je pense par exemple à Eve d’Onorio di Méo avec ETaxFrance, « première plateforme de gestion des impôts et de la fiscalité en France ». A Me Sébastien Salles du Barreau de Marseille et à son site dédié aux consommateurs, un des premiers à leur proposer aussi clairement une première assistance par internet. A Me Christophe Landat, aujourd’hui associé de Get Avocat, avec sa réflexion sur les abonnements juridiques. Ou encore au cabinet LBSB avec son offre TEG by LBSB pour les emprunteurs soucieux de vérifier le calcul de leur taux d’emprunt…
D’autres continuent à en faire la preuve aujourd’hui : il existe bien une clientèle pour de nouveaux types de prestations juridiques d’avenir. Ces prestations sont-elles toujours rentables ? Les exemples observés incitent à penser que pour l’être, elles doivent tout du moins être bien réfléchies en termes d’offre, de public, de processus internes, de tarif et de diffusion. A défaut, elles peuvent aider les professionnels du droit à se faire connaître d’une clientèle nouvelle, peut-être éloignée du droit, qu’il s’agira ensuite de diriger vers un accompagnement plus rentable. Auto-diagnostics pour offrir aux entreprises la possibilité d’évaluer leur niveau de risque, calculettes pour permettre aux salariés d’estimer eux-mêmes leur solde de tout compte… Les avocats font preuve de beaucoup d’imagination actuellement, avec le souci de réduire l’écart entre le droit et le client potentiel. Et il faut s’en réjouir, car c’est assurément le signe d’une profession plus forte car plus expérimentée face à la concurrence demain.
Il faut souligner d’ailleurs qu’un écosystème de qualité, composante indispensable à la créativité des juristes, se forme depuis plusieurs années dans le secteur du droit. Car nous le savons aujourd’hui, innover ne peut se faire seul. Si la tentation première est de s’isoler pour ne pas se faire voler son idée, c’est pourtant en restant seul que l’on nuit le plus sûrement à la réalisation de son potentiel. Les exemples d’entrepreneurs ayant réussi le montrent bien : il faut savoir créer de l’engagement autour de soi pour faire décoller son idée, et savoir impliquer ses clients et ses partenaires.
Et c’est bien là où les efforts restent à mener. Car quoi qu’on en dise, les services sont rarement conçus avec le concours de l’« usager » et organisés autour de ce dernier. L’étape du prototype est souvent ignorée ou perçue comme une perte de temps, alors qu’elle est primordiale pour assurer le succès d’un nouveau service. Hors du droit, la co-innovation existe pourtant depuis de nombreuses années.
Certains avocats diront : « On ne peut pas faire n’importe quoi, prendre 1h à un client très occupé et risquer de lui laisser penser qu’on ne sait pas ce dont il a besoin. » Il y a pourtant des façons de procéder pour mettre à l’aise son client, lui faire sentir qu’il participe à une entreprise utile, resserrer les liens avec lui, et même le fidéliser pour la suite. Ce travail, encore rarement mené en cabinet, deviendra prochainement, gageons-le, une priorité. Améliorer l’expérience client, comme dans d’autres pans de l’économie, est déjà un impératif pour tous…
Et c’est bien là où la démarche du legal design a beaucoup à offrir aux avocats, qu’ils soient dans la perspective de concevoir un service ou une information juridique plus digeste. Encore peu expérimenté en France, le legal design est d’abord un processus de pensée et de compréhension des besoins, centré sur l’usager du droit. Parfois abusivement réduit à un travail de restitution visuelle (webdesign, infographie…), le legal design ambitionne d’être une démarche à part entière. Une démarche pour à la fois recueillir des besoins, des attentes et des frustrations, permettre de s’immerger et de changer de posture, d’impliquer d’autres profils dans un exercice de co-conception, et encore de tester la validité de prototypes.
Plusieurs organisations se sont positionnées pour expérimenter des démarches de legal design et ainsi s’approprier les moyens, demain, de les mettre en œuvre avec succès.
L’association Open Law* Le droit ouvert dédie actuellement un cycle exploratoire à cette démarch e [1].
L’Ecole des Avocats du Grand Est a pour sa part mis en place le projet Lawbydesign début 2017 pour inventer une autre façon de concevoir l’information juridique, pour son destinataire non juriste au quotidien.
Une méthodologie commence à émerger issue de l’expérience appliquée de ces différents projets. Des bonnes pratiques sont recensées pour aider à la collecte des besoins, solliciter des acteurs, obtenir de leur part des informations utiles qui, une fois recueillies, permettront de prototyper des solutions nouvelles et utiles, ou encore tester les prototypes imaginés pour les améliorer, au fil des itérations.
L’avenir appartient à ceux qui sauront s’ouvrir de leurs projets à un écosystème dynamique et intégrer ces nouvelles approches collaboratives. Même si cela peut sembler contre nature, pour des juristes peu formés à ces sujets, une évolution profonde semble déjà en marche (et sans jeux de mots !) chez les professionnels du droit, dans leurs préoccupations et mêmes dans leurs parcours de formation initiale. "