Extrait de : Vaughan Avocats

Les alternatives aux PSE : n’oublions pas la palette des autres outils de restructuration sociale.

Par Aude Serres van Gaver et Marine Fréçon-Karout, Avocats.

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Explorer : # restructuration sociale # rupture conventionnelle collective # accord de performance collective # activité partielle

L’entreprise est une « unité économique, juridiquement autonome dont la fonction principale est de produire des biens ou des services pour les marchés » au cœur de laquelle se trouvent, ses salariés, force de travail sans laquelle l’entreprise ne pourrait répondre à son objectif de production. Cette masse salariale, ô combien importante au fonctionnement de l’entreprise est en outre l’une des premières variables d’ajustement lorsqu’une entreprise rencontre des difficultés (structurelle, économique etc.).

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Ainsi, que l’enjeu soit la restructuration interne pour faire face à des difficultés lorsque l’entreprise est in bonis ou en phase de prévention, ou même à l’occasion d’une procédure collective, l’entreprise peut avoir besoin de faire évoluer sa masse salariale.

Si certain outils de restructuration sont, comme le licenciement collectif pour motif économique par le biais d’un Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE), bien connus pour permettre une évolution significative et immédiate de la masse salariale d’une entreprise, d’autres outils permettant d’anticiper les difficultés et ainsi d’éviter des plans sociaux et les traumatismes qu’ils peuvent engendrer. Cette palette d’outils de restructuration sociale est plus large qu’on ne le pense, ces alternatives parfois même moins coûteuses méritent un éclairage.

Il y aura lieu de s’interroger également sur leur opportunité et leur efficacité lorsque la restructuration sociale intervient dans le contexte d’une procédure collective ou d’une procédure préventive.

A) La rupture conventionnelle collective : un outil de restructuration « à froid ».

Une décennie après la création de la version individuelle, les ordonnances Macron de 2017 ont institué un dispositif de rupture conventionnelle collective [1], dont peuvent bénéficier toutes les sociétés, quelle que soit leur taille. Contrairement à la version individuelle, largement utilisée par les entreprises, ce dispositif reste toutefois peu appliqué dans les entreprises.
Pourtant, la rupture conventionnelle collective à plus d’un atout dans sa manche : elle permet à une entreprise de réduire significativement ses effectifs en l’absence de difficultés économiques avérées et donc sans avoir à justifier d’un motif économique.

Finalement assez proche du PSE, les modalités communes à l’ensemble des ruptures dans le cadre de la rupture conventionnelle collective (RCC) sont définies par un accord, validé par l’autorité administrative (dont le contrôle reste toutefois limité).

Attention néanmoins, cet outil doit être utilisé à bon escient, notamment en cas de besoin de restructuration interne répondant à un besoin organisationnel, mais ne doit en aucun cas être utilisé comme moyen de détourner le recours à un PSE (le recours à une RCC ne sera donc pas envisageable en cas de fermeture de site), sous peine pour la société d’être accusée de fraude au PSE. Il faut donc, pour avoir recours sereinement à la RCC décolérer cette dernière des difficultés économiques que pourraient rencontrer la société, et qui justifieraient d’avoir recours à des licenciements économiques collectifs.

La rupture conventionnelle collective peut donc être un outil intéressant dans le cadre d’une gestion anticipée de difficultés, permettant d’atteindre rapidement un objectif de réduction de personnel. Pour l’entreprise, plusieurs avantages : absence d’obligation de reclassement, délais de procédure plus courts… De plus, socialement, elle peut être mieux acceptée qu’un PSE, un APC ou autre dispositif collectif de départ.

En effet, ce dispositif repose sur la base d’un volontariat au départ, ce qui ne permet pas toujours une pleine efficacité de la mesure pour la société en recherche de restructuration. En pratique, une RCC sans mesures d’accompagnement intéressantes n’aura que peu de chance d’aboutir.

Ce dispositif doit donc être envisagé lorsqu’une restructuration est nécessaire mais en l’absence de difficultés économiques trop prononcées, sous peine d’être considéré comme une alternative frauduleuse à un PSE qui aurait dû d’imposer.

A noter, l’obligation de revitalisation des territoires s’appliquera dans le cadre des accords portant rupture conventionnelle collective (sauf si l’entreprise est en redressement ou en liquidation judiciaire car il s’agit d’un cas de dispense).

Au-delà de cette dispense de revitalisation, cet outil peut-il présenter une utilité pour une entreprise en prévention ou en difficulté ? Il y a évidemment lieu d’en douter lorsque l’entreprise est en Redressement ou en Liquidation Judiciaire, car il sera impossible de dé-corréler la restructuration sociale, des difficultés économiques avérées de l’entreprise. Les intervenants préféreront donc mettre en place un PSE avec les dérogations et les délais réduits qu’offrent les dispositions de l’article L1233-58 du Code du travail (délais de consultation et d’homologation réduits, une seule réunion du CSE, efforts de reclassement facilités, etc…).

Toutefois, la RCC peut être considéré comme un outil de restructuration à froid qui peut en revanche trouver son utilité dans les procédures préventives de conciliation ou de mandat ad hoc. Les professionnels de la prévention pourront utilement y avoir recours dans la cadre de leurs missions.

B. L’Accord de Performance Collective : un outil d’anticipation.

Dispositif également issu des ordonnances Macron de 2017, l’accord de performance collective est un outil permettant aux entreprises de faire évoluer temporairement un certain nombre de paramètres relatifs aux conditions de travail des salariés (réduction ou modulation de la durée du travail, organisation du travail, modification de la rémunération, mobilité géographique, mobilité professionnelle etc…), dans le but de « répondre aux nécessité liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver ou développer l’emploi » [2].

Les clauses de l’APC (Accord de Performance Collective), dont le contenu aura été négocié et signé au niveau de l’entreprise ou de l’établissement par les organisations syndicales, ont vocation à se substituer aux clauses contraires et incompatibles contenues dans les contrats de travail individuels des salariés, ce qui représente un élément de souplesse très efficace pour les entreprises qui en ont besoin momentanément.

Par ce mécanisme, la règle collective négociée avec les partenaires sociaux va s’imposer et se substituer aux dispositions individuelles contraires.

Véritable outil d’une restructuration anticipée, l’APC permet de demander aux salariés des efforts parfois considérables, pour participer activement à la restructuration de la société (qu’il s’agisse d’une société en difficulté ou d’une société dont l’objectif est de développer sa performance), sans qu’il ne soit nécessaire de justifier de l’existence de difficultés économiques.

Le refus express par un salarié de se voir appliquer l’APC constituera en soi un motif de licenciement dit sui generis du salarié réfractaire. Il s’agit là d’un argument efficace pour emporter l’adhésion des salariés, une fois l’accord adopté. Toutefois, l’objectif de l’APC n’est pas d’aboutir à la réduction des effectifs, mais bien de les maintenir en conservant un niveau d’emploi équivalent, voire, en développant l’emploi grâce aux mesures relatives aux conditions de travail (durée, rémunération, mobilité) mises en place par l’accord.

L’APC permet d’anticiper des difficultés à venir, en adoptant des mesures de prévention en amont, dont l’application devra généralement être limitée dans le temps. En effet, l’APC doit prévoir une durée d’application, à défaut, la durée est réputée être de 5 ans.

La vigilance doit cependant être de mise puisque si l’entreprise souhaite que l’APC déploie toute son efficacité notamment en termes d’adaptation rapide à un environnement économique en mutation, elle doit veiller à proportionner les efforts demandés aux salariés au but recherché, et s’assurer de leur proposer une contrepartie effective (garantie d’emploi, investissements etc…).

A notre sens, cet outil a toute sa place dans un contexte de procédure collective et a fortiori de procédure préventive.

Un tel accord permettra de rendre plus performante et donc plus attrayante une société en redressement pour laquelle un plan de cession doit être envisagé. Elle mobilisera de manière efficace les salariés qui auront été associés à la solution de redressement de leur entreprise. Elle permettra aux salariés qui ne souhaitent pas ou ne peuvent pas adhérer aux aménagements proposés de quitter la société par une rupture au motif sui generis en bénéficiant a minima de leurs indemnités légales dont la prise en charge par les AGS semble tout à fait envisageable et en obtenant un abondement de 3 000€ minimum à CPF (Compte personnel de formation).

C) L’activité partielle : un outil en plein rebond.

La possibilité d’avoir recours à l’activité partielle est offerte aux entreprises depuis de nombreuses années. Pour autant, l’utilisation de cet outil était, jusqu’à la crise sanitaire liée à la Covid19, très limitée, probablement en raison d’une méconnaissance du dispositif, pourtant intéressant.

Le dispositif d’activité partielle permet de solliciter l’aide de l’État pour prendre en charge une partie des salaires des salariés de l’entreprise qui ne peut plus, seule, y faire face en raison d’une nécessité de fermeture temporaire ou à une réduction du temps de travail des salarié liée à une baisse d’activité.

Ce dispositif temporaire (l’autorisation d’activité partielle est accordée pour une durée initiale de 3 mois, renouvelable 1 fois sur une période de 12 mois) peut s’avérer être un outil efficace pour permettre à une société de passer une période difficile, dès lors que le maintien de l’activité sur le plus long terme n’est pas remis en cause.

D) L’activité partielle de longue durée.

Comme son nom l’indique, il s’agit d’un dispositif proche de celui de l’activité partielle, destiné aux entreprises confrontées à une baisse durable de leur activité.

Le mécanisme est identique : solliciter une prise en charge totale ou partielle des rémunérations des salariés par l’État, en contrepartie d’un certain nombre d’engagement, notamment en matière de maintien d’emploi ou encore de formation.

Tout comme l’APC, le dispositif d’activité partielle de longue durée (APLD) permet de maintenir le niveau d’emploi au niveau de la société, en lui permettant une adaptation temporaire des charges liées à la masse salariale (en clair, en lui permettant de ne payer qu’une partie de la rémunération de ses salariés, le reste étant réglé par l’État).

Si ce dispositif est séduisant et peut se révéler particulièrement efficace pour aider la société à traverser une période de difficultés, il faut toutefois le manier avec vigilance puisque la société prend des engagements (notamment en termes de maintien de l’emploi) qu’elle devra impérativement respecter, sous peine d’avoir à rembourser les sommes réglées par l’État.

Ce dispositif, contrairement au dispositif d’activité partielle « classique » qui peut être décidé de manière unilatérale par la société, doit faire l’objet d’une négociation collective, puisqu’un accord est nécessaire.

Il reste toutefois, quand l’utilisation est cohérente avec la situation de l’entreprise, un outil efficace permettant à la société de faire face à des difficultés qu’elle sait passagères, quand bien même elles auraient vocation à durer.

Ce dispositif a d’ailleurs été très largement utilisé par les entreprises depuis le début de la pandémie liée à la Covid19 et explique peut-être l’absence de flambée de recours aux PSE… La politique du « quoi qu’il en coûte » présidentiel aura évité les plans de licenciements massifs et la crise sociale et économique qui se serait ajoutée à la crise sanitaire.

E) Le dispositif Transitions collectives : un outil de reconversion professionnelle.

Le dispositif de Transitions collective fête ses un an, et permet à une société qui a identifié des emplois « fragilisés » dans un contexte de mutation économiques durables dans leur secteur d’activité, d’éviter d’avoir recours à des suppressions de poste (ou à un PSE), en optant pour une réorientation des salariés occupant ces emplois menacés vers d’autres sociétés offrant des postes dans des secteurs dit porteurs, dans le même bassin d’emploi.

Pour l’entreprise concernée, le dispositif peut toutefois sembler relativement lourd puisqu’elle devra dans un premier temps identifier les métiers fragilisés, au sein d’un accord collectif, puis informer le conseiller en évolution professionnelle des salariés susceptibles d’être concernés par la mise en place du dispositif, avant, enfin, de déposer un dossier de « Transitions Collectives ».

Une telle orientation est possible grâce à des formations qui sont financées, en tout ou partie (financement de 100% pour les entreprises de moins de 300 salariés, de 75% pour les entreprises de 300 à 1000 salariés et de 40% pour les entreprises de plus de 1000 salariés), par l’État. Précisons, qu’outre, le coût pédagogique des formations certifiantes, l’Etat prendra également en charge la rémunération des salariés (y compris les charges sociales légales et conventionnelles) d’une durée maximale de 24 mois.

Le dispositif de Transition collective permet à l’entreprise d’éviter d’avoir recours à la rupture massive des contrats de travail des salariés dont le poste est menacé, en leur offrant la possibilité d’opter pour une reconversion professionnelle encadrée. Il pourrait être pertinent de s’interroger sur l’utilisation d’un tel outil en phase amiable ou associée à un projet de reprise dans lequel par exemple une reconversion de site est envisagé et nécessite une formation de reconversion de certaines catégories de personnel. Bien sûr, à première vue, les délais de mise en place de ces dossiers pourraient sembler incompatibles avec les exigences de célérité des procédures collectives mais si les acteurs se donnent les moyens, disposent d’un peu de temps, et de trésorerie et surtout du projet ad hoc, et que par exemple l’entreprise a déjà conclu un accord de gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP) et identifié ses personnels fragilisés, cet outil semble tout à fait compatible avec des procédures collectives.

Rappelons que 71% des entreprises ont un avis négatif sur l’efficacité des PSE, souvent jugés « inadaptés aux restructurations sociales, peu souple, plus curatif que préventif, long et coûteux à mettre en place » et marquant généralement durablement le climat social d’une entreprise.
N’hésitons pas à utiliser la large palette d’outils alternatifs à notre disposition pour des restructurations sociales réussies au soutien du rebond de nos entreprises en difficultés !

Article initialement publié dans la revue Journal du Management juridique et règlementaire n°85 spécial Entreprise en difficultés (Janvier 2022).

Aude Serres van Gaver, Avocat associée ;
Marine Fréçon-Karout, Avocat
Vaughan Avocats
www.vaughan-avocats.fr

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[1Article L 1237-17 et suivants du Code du travail.

[2Article L 2254-2 du Code du travail.

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