Au plan juridique, le dahir de 1958 distingue trois types d’associations :
- les associations déclarées auprès des autorités et disposant donc d’une personnalité morale et d’une capacité juridique, qui les autorisent à recevoir des financements privés et publics, ouvrir un compte bancaire, signer des conventions et des contrats de toute nature, recruter du personnel salarié, introduire des actions en justice, etc. ;
- les associations reconnues d’utilité publique par le Secrétariat Général du Gouvernement, qui sont des associations déclarées bénéficiant d’une capacité juridique plus étendue qui leur permet notamment de recevoir des legs et des donations, faire des placements financiers, bénéficier d’avantages fiscaux et commercialiser certains de leurs produits au profit de la pérennité de leurs actions. En contrepartie, ces associations sont soumises à un contrôle comptable et fiscal régulier de la part de la cour des comptes ;
- les associations étrangères qui sont, soit des représentations locales d’associations ayant leur siège à l’étranger, soit des regroupements associatifs créés par des étrangers et dont la moitié des membres sont de nationalité étrangère. Les syndicats de copropriétaires, les associations de microcrédit, les associations professionnelles et les associations et fédérations sportives, tout en étant des associations encadrées par le dahir de 1958, ont un statut spécial et sont régies par d’autres textes législatifs spécifiques. Toutes ces associations jouent un rôle important. Cependant leurs situations ne seront délibérément pas étudiées dans le cadre de cette auto-saisine, car chacune de ces catégories d’association connait des problématiques qui lui sont propres et nécessiterait une analyse approfondie.
L’établissement et le fonctionnement des associations étrangères au Maroc soulèvent des défis juridiques et pratiques significatifs, nécessitant une analyse approfondie du cadre réglementaire et des implications contentieuses. Le cadre juridique complexe et rigoureux, tel que défini par le Dahir de 1958, en particulier son Titre V dédié aux associations étrangères, vise à équilibrer la promotion de l’investissement étranger et la coopération internationale avec la protection des intérêts nationaux et la préservation de l’ordre public. Malgré la nature déclarative du régime marocain de création des associations, dans les faits, la liberté d’association est mise à mal, parfois, par différentes pratiques administratives non conformes aux dispositions en vigueur.
Ce cadre réglementaire implique des procédures strictes pour la création, l’autorisation et l’exploitation des associations étrangères sur le territoire marocain, avec des exigences détaillées en matière de déclaration préalable, de supervision gouvernementale, de modifications statutaires et des sanctions en cas de non-conformité.
Ainsi, la création ou la modification d’une association peut faire face à des entraves : non-délivrance immédiate du récépissé provisoire (comme prévu par la loi) ; demande de pièces supplémentaires, y compris le casier judiciaire des membres fondateurs pourtant supprimé en 2009 ; non-délivrance de remise du récépissé définitif…
Aux termes du dahir de 1958 sur les associations, les étrangers résidant au Maroc en situation régulière (commerçants, industriels, opérateurs économiques ou étudiants), peuvent user de la possibilité qui leur est offerte par la législation marocaine en matière de constitution des associations.
Sont ainsi réputées associations étrangères : « Les groupements présentant les caractères d’une association et qui ont un siège à l’étranger ou dont les dirigeants sont des étrangers ou dont la moitié des membres sont étrangers ou qui sont effectivement dirigées par des étrangers et dont le siège est au Maroc » [1].
Cependant, ce cadre juridique, bien que conçu pour réguler les activités associatives sur le territoire marocain, est parfois considéré comme insuffisant et dépassé face aux réalités contemporaines et aux exigences internationales croissantes.
Formalités légales de constitution.
Pour créer une association au Maroc, y compris une association étrangère, plusieurs étapes essentielles doivent être suivies avec précision :
1. Rédaction des statuts de l’association :
Avant toute démarche administrative, la rédaction des statuts de l’association est cruciale. Ce document définit l’objet de l’association, sa dénomination, les missions des membres du bureau, ainsi que toutes les règles de gestion et de relation avec les adhérents. Les statuts peuvent être rédigés par les membres fondateurs eux-mêmes en suivant les indications légales précises ou en faisant appel à des professionnels pour une assistance.
2. Enregistrement auprès des autorités locales :
L’enregistrement de l’association doit être effectué au niveau de la commune où est situé son siège social. Un dossier complet doit être déposé à la police de la ville pour informer de la création de l’association. Ce dossier comprend généralement :
- Le PV de l’assemblée générale constitutive attestant de la création de l’association.
- Une lettre de présentation détaillant le siège social et les membres constitutifs du bureau.
- Les statuts de l’association.
- Une lettre de domiciliation ou un contrat de bail du siège social.
- Un tableau comprenant les informations complètes sur les membres du bureau, incluant leurs adresses, professions et fonctions au sein de l’association. Chaque membre doit également fournir une copie de sa pièce d’identité ou de son passeport.
3. Attente du récépissé :
Une fois le dossier déposé, il faut attendre environ 60 jours pour recevoir un récépissé de dépôt, si le dossier est validé. Ce récépissé provisoire atteste de la régularité administrative de l’association et lui permet de débuter ses activités.
4. Déclaration de l’association :
La déclaration peut être effectuée par un huissier de justice ou un représentant de l’association, conformément à l’article 5 du Dahir n°1-58-376 du 15 novembre 1958. Le représentant doit obtenir un reçu de dépôt pour suivre l’évolution de la procédure. Une fois le récépissé provisoire délivré, l’association est autorisée à fonctionner administrativement.
5. Documents annexes obligatoires :
En complément des documents principaux, le dossier doit inclure :
- Une copie récente des casiers judiciaires de tous les membres du bureau.
- Une attestation de l’adresse du siège social de l’association.
- Une lettre déclarative précisant le nom officiel de l’association et son objet.
- Des copies conformes des cartes nationales d’identité ou des cartes de séjour des membres.
- Une attestation légalisée de la domiciliation bancaire de l’association, précisant les personnes habilitées à utiliser le compte bancaire.
Les enjeux pratiques
La création d’une association étrangère au Maroc se heurte à une série d’enjeux pratiques amplifiés par un cadre réglementaire complexe et souvent perçu comme obsolète. Conformément à la loi marocaine, Dahir de 1958, les associations étrangères doivent suivre les mêmes procédures d’établissement et de fonctionnement que les associations marocaines. Malgré la clarté de ces exigences, les demandes d’enregistrement peuvent subir des retards significatifs.
La forme la plus courante d’arbitraire se produit lorsque les autorités administratives locales refusent d’émettre un récépissé pour le dépôt temporaire confirmant le lieu et la date de soumission. Sans un récépissé de dépôt daté, aucune association ne peut prouver avoir soumis ses documents de fondation conformément à la loi, et par conséquent elle ne peut pas se prévaloir de l’expiration de 60 jours après la soumission, période au cours de laquelle, en l’absence de décision contraire à sa déclaration, elle devrait être libre de fonctionner.
Notant ainsi que, selon la loi, les autorités locales n’ont pas de rôle dans l’évaluation et la détermination de l’aptitude de l’association qui cherche à se déclarer elle-même.
Le problème se pose aussi dans le Dahir de 1958, car il ne stipule pas que les autorités de l’État doivent donner une raison lorsqu’elles refusent de reconnaître légalement une association.
Ces obstacles administratifs peuvent donc prolonger de manière substantielle les délais pour obtenir la reconnaissance légale de l’association, impactant ainsi ses capacités opérationnelles et sa capacité à pleinement exercer ses activités communautaires.
Le positionnement de la jurisprudence : solution pour mettre fin aux abus de l’administration ?
1- Le Tribunal administratif d’Agadir a jugé que « le rôle des autorités locales en ce qui concerne la création des associations se limite à la remise du récépissé de dépôt prévu à l’article 5 du décret du 15 novembre 1958 régissant l’organisation du droit d’établissement des associations tel que complété et amendé, et il n’est pas autorisé de refuser sa remise pour quelque raison que ce soit car seule l’autorité judiciaire est habilitée à contrôler sa légalité selon l’article 7 du même décret. En cas de recours contre le refus de recevoir le dossier de fondation de l’association, marqué par un abus de pouvoir en violation de la loi (décret sur l’établissement des associations), exposant celui-ci à l’annulation ».
2- Le même tribunal a examiné en profondeur l’importance du dépôt de la déclaration de création de l’association auprès de l’autorité administrative locale et la portée du pouvoir du chef de l’administration à cet égard : « Le dépôt de cette déclaration auprès des autorités locales, accompagnée des documents prescrits à l’article 5 de la loi susmentionnée, vise à informer l’administration et le public de la création, du renouvellement des organes ou des structures de base de l’association, sans que les autorités locales aient le droit de contrôler la légitimité de cette création ou de ces renouvellements, car la législation marocaine soumet la création des associations à un régime de déclaration, et non à un régime d’autorisation selon la même disposition. Par conséquent, l’autorité locale est légalement tenue, à réception de chaque déclaration de création ou de modification des statuts conformément à la loi sur les libertés publiques, de délivrer un récépissé temporaire aux associations nouvellement constituées, en accord avec l’esprit du décret du 15 novembre 1958 qui permet la création des associations sans nécessité d’une autorisation préalable des autorités locales ».
Par conséquent, le refus de l’autorité locale, représentée par le Pacha en l’espèce, de recevoir la déclaration de fondation constitue une décision administrative implicite de rejet contraire à la loi et marquée par un abus de pouvoir, justifiant ainsi son annulation.
3- Ce raisonnement a été consolidé par d’autre décision, comme le souligne l’arrêt suivant : « Le refus du Pacha de la ville de Sidi Kacem de recevoir le dossier de l’association et de délivrer le récépissé temporaire, comme l’atteste le procès-verbal du fonctionnaire chargé des procédures d’exécution dans le dossier exécutif numéro 709-11-1 pour non-conformité aux exigences de l’administration, malgré la disponibilité du dossier avec tous les documents requis par la loi, constitue une violation constitutionnelle de la liberté d’établissement des associations, ainsi que du régime déclaratif - et non pas autorisatif - sur lequel il repose, et qui ne confère aucune discrétion à l’administration pour apprécier la déclaration, rendant ainsi la décision administrative contestée illégale en tant qu’attaque contre le pouvoir judiciaire, seule habilitée constitutionnellement à suspendre ou dissoudre une association. L’invalidité du recours administratif contesté le prive de toute légitimité, de tout aspect procédural pour le recours, le rendant entaché d’illégalité et d’incompétence, avec pour conséquence son annulation ».
Il ressort des décisions judiciaires précédentes que la remise du récépissé temporaire aux responsables de l’association en contrepartie du dépôt du dossier est une obligation pour l’administration, et tout refus non fondé sur un motif réel ou juridique constitue une atteinte au droit garanti par de nombreuses dispositions légales, notamment l’article 5 du décret du 15 novembre 1958 précité.
4- Cette affirmation a été confirmée par un arrêt du tribunal administratif d’Agadir : « Dans la mesure où la remise du récépissé en échange du dépôt de la déclaration est un acte obligatoire pour l’administration, tant que la soumission de la déclaration selon les termes du premier paragraphe de l’article 5 de ladite loi est établie, le pouvoir de l’administration dans ce domaine est strictement limité sans aucune marge d’appréciation. En effet, la délivrance dudit récépissé ne fait que constater la réalisation du dépôt de la déclaration, un constat que l’administration ne peut retenir des associations sans avoir manqué à son obligation légale en vertu de l’article 5 susmentionné, premier paragraphe ».
5- De la même manière, la Cour administrative de Rabat a jugé, dans un arrêt de Tribunal administratif de Rabat, dossier numéro 1305.05.2012, en date du 24 octobre 2012, Association "Attak Maroc" contre le Wali de la région Rabat-Salé-Zemmour-Zaër ; que le principe fondamental est le droit d’établir des associations librement et sans autorisation préalable, à condition de respecter les dispositions de l’article 5 du décret de 1958, qui impose des obligations tant au requérant qu’à l’autorité administrative locale chargée de recevoir la déclaration et de délivrer le récépissé provisoire. Après avoir rempli les autres exigences légales, le récépissé définitif d’établissement doit être délivré dans un délai de 60 jours, faute de quoi l’association est autorisée à exercer ses activités conformément aux objectifs définis dans ses statuts. Un récépissé scellé et daté est également délivré immédiatement pour toute déclaration de modification. La décision de refuser de délivrer le récépissé constitue une dérogation aux dispositions susmentionnées, rendant cette décision un excès de pouvoir en raison de sa violation manifeste de la loi, ainsi que de son conflit avec les dispositions constitutionnelles affirmant le droit d’établir des associations, ce qui entraîne l’annulation de la décision contestée.
6- Nous mentionnons un autre jugement, cette fois-ci concernant le renouvellement des bureaux des associations ; la cour a constaté que lorsque l’autorité locale représentée par le chef a reçu une déclaration incluant les membres du bureau de l’association, elle a jugé nécessaire de se conformer à l’article 5 du décret du 15 novembre 1958, qui ne lui permet pas de juger de la légalité de l’assemblée. Car seule l’autorité judiciaire est compétente pour cela sur demande des parties intéressées, considérant que cette autorité a outrepassé ses compétences. En particulier, puisque la loi sur les associations est basée sur un système de déclaration, le pouvoir judiciaire reste l’autorité exclusive pour déclarer la nullité et déterminer les violations de la loi, tant que le bureau exécutif demandant le récépissé de la déclaration de modification a insisté qu’il résultait d’une assemblée générale exceptionnelle, soutenant ainsi la décision en appel qui a annulé la décision administrative contestée. Elle a ainsi fondé sa décision sur une base juridique solide et l’a suffisamment motivée.
Le consensus juridique marocain.
Il a confirmé le caractère déclaratif du système de création des associations, où les tribunaux administratifs annulent systématiquement tout acte administratif dépassant la simple réception de la déclaration de fondation de l’association. Le refus de délivrer le récépissé provisoire est considéré par la juridiction administrative comme une décision entachée d’illégalité, ainsi qu’une erreur de gestion imputable à l’État représenté par le ministre de la Justice, pouvant entraîner une obligation de réparation. De plus, la déclaration est simplement une notification qui doit être attestée par la remise d’un récépissé temporaire.
L’administration n’est pas compétente pour examiner la légitimité des assemblées générales ; son rôle se limite à exercer les compétences qui lui sont attribuées par la loi sur les associations, consistant à vérifier si l’association remplit les conditions requises pour déposer sa déclaration conformément à la loi. Dans le même cadre, la juridiction administrative a consacré le rôle exclusif du pouvoir judiciaire en tant que seule autorité habilitée à suspendre ou dissoudre une association.