Limites du pouvoir d’évocation de l’affaire pénale au stade de l’appel en cas d’annulation du jugement correctionnel.

Par Jamel Mallem, Avocat.

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Explorer : # détention provisoire # appel limité # double degré de juridiction # annulation de jugement

Est-ce que la cour d’appel peut évoquer l’affaire au fond en appel, lorsqu’elle annule le jugement correctionnel et alors même que le prévenu avait limité son appel aux seules dispositions du jugement qui avaient décidé de prolonger sa détention provisoire ?

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Cass. crim., 11 juill. 2018, n° 18-82.771.

M. X…est mis en examen et placé en détention provisoire le 14/09/2016 des chefs d’infractions à la législation sur les armes en récidive légale et recel en récidive.

Alors qu’il est encore détenu, le juge d’instruction rend une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel de Paris en date du 31/01/2018 et par une ordonnance séparée, le juge d’instruction le maintient en détention de manière à ce qu’il soit jugé détenu au jour de l’audience correctionnelle.

L’audience est fixée le 8 mars 2018.

Ce jour-là, le tribunal ne peut le juger et décide donc de renvoyer l’affaire au 10 avril 2018.

Alors que la défense réclamait sa remise en liberté sous contrôle judiciaire, le tribunal rend un jugement le même jour (08/03/2018) qui prolonge la détention provisoire de M.X… de deux mois à compter du 31/03/2018 à minuit.

La défense interjette appel de ce jugement, mentionnant dans son acte d’appel que l’appel est limité à la prolongation de détention provisoire de M.X…

Une nouvelle audience est donc fixée devant la cour d’appel de Paris le 3 avril 2018.

Alors que la défense précise bien à l’audience que son appel ne tend qu’à la seule remise en liberté de son client et que son appel n’a pas pour objet de faire juger M.X… par la cour d’appel, la juridiction de second degré décide certes d’ordonner la remise en liberté immédiate de M.X…, en le plaçant sous contrôle judiciaire, mais annule le jugement correctionnel et renvoie l’affaire à l’audience du 25 février 2019 pour que M.X… soit jugé par la cour d’appel.

Ainsi, bonne nouvelle pour M.X… car il est libéré.

Mais, mauvais nouvelle car M. X… se voit jugé par la cour d’appel le 25/09/2018, sans avoir été jugé la première fois par le tribunal correctionnel de Paris et sans possibilité pour lui de se refaire juger une seconde fois si la peine prononcée par la cour d’appel devait être sévère.

Il est assez couramment répandu pour la défense pénale qu’une cour d’appel peut rendre des décisions plus sévères que celles prononcées par le tribunal correctionnel et que le sort du prévenu peut s’aggraver. Si Monsieur X... acceptait d’être jugé par la cour d’appel, sans avoir été jugé préalablement par le tribunal correctionnel, il ne bénéficierait pas du principe du double degré de juridiction, principe qui permet à une personne de refaire juger son affaire une seconde fois. En effet, après l’appel, le seul recours possible est le pourvoi en cassation, mais un tel recours ne permet pas de rejuger l’affaire mais permet simplement de contrôler le travail de la cour d’appel.

C’est la raison pour laquelle la défense pénale décide de former un pourvoi en cassation contre cet arrêt du 03/04/2018, puisqu’elle ne veut pas que Monsieur X ne soit jugé qu’en appel.

Avant de livrer la solution rendue par la Cour de cassation, quelques explications sont nécessaires pour comprendre les raisons qui ont conduit la cour d’appel de remettre M.X… en liberté et de conserver l’affaire en appel, au lieu de la laisser au tribunal correctionnel.

Monsieur X… était mis en examen et placé en détention provisoire. A l’issue de l’information judiciaire, le juge d’instruction doit rendre une décision (une ordonnance) qui renvoie l’intéressé devant le tribunal correctionnel si les faits constituent un délit.

Ce que fait le juge d’instruction par ordonnance du 31/01/2018, et ce en application de l’article 179 alinéa 1 du Code de procédure pénale.

En principe cette ordonnance de règlement met fin à la détention provisoire (article 179 alinéa 2 du Code de procédure pénale).

Par exception (article 179 alinéa 3), le juge d’instruction peut maintenir le mis en examen en détention jusqu’à sa comparution devant le tribunal, à condition qu’il rende une décision séparée spécialement motivée (ordonnance de maintien en détention provisoire), par référence aux critères légaux justifiant cette détention provisoire.

C’est ce que fait le juge d’instruction. En effet, le 31/01/2018, lorsque le juge d’instruction renvoie Monsieur X devant le tribunal correctionnel, il rend le même jour une autre décision : une ordonnance qui maintient le mis en examen en détention provisoire.

A ce propos, l’article 179 alinéa 4 précise que si le tribunal correctionnel n’a pas examiné l’affaire dans les 2 mois à compter de l’ordonnance de renvoi, le prévenu en détention est immédiatement remis en liberté.

Cela signifie que l’ordonnance de renvoi étant rendue le 31/01/2018, le tribunal correctionnel doit examiner l’affaire au plus tard le 31/03/2018, sinon Monsieur X... doit être remis en liberté. 

L’article 179 alinéa 5 prévoit l’hypothèse où le tribunal correctionnel ne peut pas juger l’affaire dans ce délai de deux mois. 

Le texte prévoit que dans ce cas-là, à titre exceptionnel, le tribunal peut ordonner la prolongation de la détention provisoire du prévenu pour une nouvelle durée de 2 mois, à la seule condition de mentionner dans sa décision : les raisons de fait ou de droit qui l’empêchent de juger l’affaire. 

En l’occurrence, dans le cas d’espèce, au jour de l’audience du 08/03/2018, le tribunal correctionnel a renvoyé l’affaire au 10/04/2018 (soit après la date fatidique du 31/03/2018 date à l’expiration de laquelle l’intéressé pouvait espérer être remis en liberté) et a ordonné la prolongation de la détention provisoire de deux mois à compter du 31/03/2018 (puisque Monsieur X était censé rester en détention jusqu’à cette date). 

Cependant, le tribunal correctionnel de Paris ne mentionne aucune raison, qui pourrait justifier qu’il ne pouvait pas juger l’affaire avant et au plus tard le 31/03/2018.

Dans la mesure où le tribunal ne mentionne aucune raison (ni de droit ni de fait), l’avocat de la défense décide de faire appel de ce jugement, puisque la décision de prolongation de la détention provisoire décidée le 08/03/2018 pour une nouvelle durée de 2 mois à compter du 31/03/2018 est illégale, au vu des exigences mentionnées par l’article 179 alinéa 5 du Code de procédure pénale. 

La défense pénale précise que son appel est limité à la prolongation de la détention provisoire. L’objectif est de soulever devant la cour d’appel que cette prolongation de détention provisoire est illégale et que par conséquent, Monsieur X doit bénéficier immédiatement d’une remise en liberté. 

L’audience étant fixée le 03/04/2018, la cour d’appel de Paris constate bien que cette décision de prolonger la détention provisoire ne répond pas aux conditions de la loi et décide donc, le même jour, d’ordonner la remise en liberté de Monsieur X en le plaçant sous contrôle judiciaire, ce d’autant plus que le 03/04/2018, la cour d’appel constate que la période de détention provisoire de X est écoulée depuis le 1er avril 2018. 

Néanmoins, la cour d’appel considère qu’elle doit conserver l’affaire et ne pas laisser le tribunal juger Monsieur X ultérieurement. 

Pour ce faire, la cour d’appel annule entièrement le jugement du tribunal correctionnel du 08/03/2018. 

Une cour d’appel peut annuler un jugement correctionnel si cette décision ne respecte pas les formes exigées par la loi. Dans ce cas, la cour d’appel peut rejuger de toute l’affaire, et ce même si le prévenu n’a jamais été jugé par le tribunal correctionnel. 

Cette règle découle de l’application de l’article 520 du Code de procédure pénale qui énonce que :
« Si le jugement est annulé pour violation ou omission non réparée de formes prescrites par la loi à peine de nullité, la cour évoque et statue sur le fond »

En l’espèce, considérant que le jugement correctionnel n’a pas mentionné les raisons de fait ou de droit, la cour d’appel a considéré que le jugement était nul pour vice de formes et en conséquence a décidé de rejuger l’affaire, en renvoyant l’affaire au 25/02/2019 afin de juger Monsieur X pour les infractions reprochées. 

Monsieur X décide de former un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 03/04/2018, afin de ne pas être jugé par cette cour d’appel le 25 février 2019, en espérant être jugé par le tribunal correctionnel. 

En effet, s’il était jugé par le tribunal correctionnel et si la décision devait s’avérer être sévère, il pourrait toujours faire appel du jugement pour être jugé par la cour d’appel. Mais, s’il n’était jugé que par la cour d’appel (en l’occurrence le 25/02/2019), il ne pourrait plus bénéficier d’une « seconde chance » d’être rejugé. 

L’objectif de faire un pourvoi en cassation contre cet arrêt du 03/04/2018 est d’obtenir cassation de cette décision, de manière à ce qu’il puisse être jugé par le tribunal et non par la cour d’appel. 

En l’occurrence, la cour de cassation, saisi du pourvoi formé par l’avocat de Monsieur X, va effectivement casser cet arrêt de la cour d’appel de Paris. 

En effet, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel, mais uniquement en ses seules dispositions qui ont consisté à conserver l’affaire en la renvoyant à l’audience du 25 février 2019. 

La Cour de cassation considère qu’au regard de l’effet dévolutif de l’appel, la cour d’appel n’était saisie que d’un appel limité à la prolongation de la détention provisoire et que dans ce cas-là, elle ne devait pas annuler le jugement mais elle devait uniquement remettre Monsieur X en liberté, en constatant que le tribunal correctionnel n’avait pas examiné l’affaire au fond dans le délai de deux mois de l’ordonnance de renvoi et que le tribunal n’avait donc énoncé aucune motivation expliquant cette absence de jugement au fond. 

Cette solution s’explique par l’application de l’article 509 du Code de procédure pénale qui énonce que :
« L’affaire est dévolue à la cour d’appel dans la limite fixée par l’acte d‘appel et par la qualité de l’appelant ainsi qu’il est dit à l’article 515 »

Ce qui signifie, comme l’avait souligné la défense, que l’appel est bien limité à la prolongation de détention provisoire de M.X…

Ainsi, la cour d’appel ne pouvait que remettre en liberté Monsieur X, mais vu que son appel était limité uniquement à cette question de détention provisoire, la cour d’appel ne pouvait pas s’arroger le droit de le juger pour en fixer l’audience en février 2019. L’appel étant limité, la cour d’appel ne pouvait pas aller au-delà de ce que l’acte d’appel mentionnait. 

Il n’est pas vain de rappeler que l’article 502 du Code de procédure pénale prévoit l’hypothèse dans laquelle la déclaration d’appel peut être limité, ce depuis la loi du 3 juin 2016. Ainsi, il est possible de limiter l’appel aux peines prononcées ou à certaines d’entre elle ou même concernant leurs modalités d’application.

Rappelons que devant la cour d’appel, il est courant que la chambre correctionnelle interroge le prévenu et l’une de ses premières questions en sa présence consiste à lui demander la ou les raisons pour lesquelles il a fait appel.

A-t-il fait appel sur sa déclaration de culpabilité ou/et a-t-il fait appel sur telle ou telle peine ? Grossomodo fait-il appel parce qu’il se sait non coupable ou fait-il appel parce que tout simplement il estime que telle ou telle peine prononcée par le tribunal correctionnel est trop sévère, voire excessive.

L’acte d’appel, s’il est général, pourrait justifier une telle question. Cette pratique peut découler de la rédaction de l’article 513 alinéa 3 du Code de procédure pénale qui énonce que :
« Après que l’appelant ou son représentant a sommairement indiqué les motifs de son appel, les parties en cause ont la parole dans l’ordre prévu par l’article 460. »

Lorsque l’acte d’appel est limité, cette question n’a plus lieu d’être puisque la cour d’appel est censée savoir ce pourquoi elle est saisie.

Il peut être également conseillé, si l’on fait un appel limité, de joindre à cet appel, un courrier explicatif.

En effet, cette modalité est prévue à l’article 504 qui prévoit cette hypothèse, notamment dans les termes suivants :
« Une requête contenant les moyens d’appel peut être remise dans les délais prévus pour la déclaration d’appel au greffe du tribunal ; elle est signée de l’appelant ou d’un avocat inscrit à un barreau ou d’un fondé de pouvoir spécial.
La requête, ainsi que les pièces de la procédure sont envoyées par le procureur de la République au parquet de la Cour dans le plus bref délai. »

Pour en revenir à l’arrêt de la cour d’appel, cette décision faisant l’objet d’une cassation, l’affaire sera renvoyée (non plus à la cour d’appel de Paris), mais au Procureur de la République du tribunal correctionnel de Paris, pour qu’il puisse fixer une nouvelle date d’audience devant ce tribunal afin que Monsieur X puisse être jugé. 

Monsieur X sera donc jugé par le tribunal correctionnel de Paris et conservera donc le droit de pouvoir faire appel du jugement correctionnel si celui-ci ne le satisfait pas. 

Et de nouveau, il pourra même limiter son appel.

Jamel MALLEM Avocat au Barreau de Roanne
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SELARL Mallem-Kammoussi-Christophe

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