La médiation au service de la lutte contre le sexisme.

Par Caroline Gropaiz, Médiatrice et Richard Rondoux, Avocat.

1690 lectures 1re Parution: Modifié: 1 commentaire 4.94  /5

Explorer : # sexisme # médiation # violences sexistes # sensibilisation

De toutes les formes de discrimination, le sexisme demeure la plus répandue et banalisée aussi bien dans le monde professionnel que dans la sphère privée.

-

Ce n’est donc ni un hasard ni inutile s’il existe une journée internationale de sensibilisation au sexisme et aux violences sexistes et sexuelles (VSS).

Aussi, nous devons nous interroger sur les différentes manières dont on pourrait faire évoluer les mentalités. Malgré un Code pénal qui distingue plusieurs types d’infractions à caractère sexuel, parmi lesquelles, les outrages sexistes [1] et les injures non publiques à raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre [2], le sexisme ne recule pas en France.

Au contraire, certaines de ses manifestations les plus violentes s’aggravent. Aujourd’hui encore 57% des femmes ont déjà subi des blagues ou remarques sexistes.

Pourtant, alors que les inégalités entre les femmes et les hommes sont très majoritairement reconnues par l’opinion et dans tous les secteurs, cela ne semble pas avoir d’effet concret ou immédiat sur l’évolution de la situation réelle des femmes. En effet, la restitution du vécu du sexisme par les femmes est particulièrement alarmante, car les violences sexistes et sexuelles sont systémiques et aggravées.

Soulignons que ce comportement est exacerbé au sein des catégories socio-professionnelles supérieures (2 femmes sur 3) et persiste même dans des entreprises dont l’activité dite "intellectuelle" ne saurait préserver.

Ainsi, en plus d’une communication orale vexatoire et hasardeuse qui suppose l’utilisation répétée du titre tel que "ton épouse" ou du poste "ma secrétaire" en lieu et place d’un prénom/nom (objectification de la femme afin d’en obtenir la propriété).

On constate également à travers la communication écrite cette autorisation à discriminer en toute impunité. On peut dès lors lire dans les mails - pourtant professionnels - le terme "salope" qualifiant toute femme "osant s’affirmer" (insulte particulièrement violente et personnelle puisqu’elle fait référence à la sexualité) ou encore "femelle" ou "minette" (champ lexical de l’animal) pour les femmes "considérées" par ces hommes.

Selon Sidanius et Pratto (La théorie de la dominance sociale), cette attitude s’explique en ce que les préjugés et la discrimination auraient pour origine le besoin des individus de créer et maintenir des hiérarchies sociales.

Plus précisément, le sexisme fondé sur le genre (patriarcat) correspond à une volonté de domination en termes de pouvoir social et politique des hommes par rapport aux femmes.

Depuis longtemps, caractérisé par l’endossement des rôles sexuels traditionnels, un traitement distinct des hommes et des femmes, des stéréotypes à l’égard des compétences des femmes qui seraient moins importantes que celles des hommes.

Désormais, il renvoie également au déni des discriminations dont elles sont victimes et à l’absence de support pour les politiques consacrées à rétablir l’égalité, ainsi qu’un rejet de leurs revendications.

Aussi, face à des comportements sexistes, le choix de la médiation entre l’auteur des faits et la victime peut s’avérer particulièrement efficace.

Par les outils de communication dont il dispose (communication non violente, questionnement/reformulation) ainsi que par le cadre du processus dont il est garant (exigeant neutralité, multipartialité - prise de position équivalente pour chaque médié - et confidentialité), le médiateur "oblige" les médiés à s’écouter et à renouer un dialogue devenu sourd.

Cette double écoute - celle du médiateur et celle de "l’autre" - confère une légitimité aux sentiments et aux émotions perçus, légitimité nécessaire pour que puisse commencer un changement de paradigme.

En effet, dans un pays latin comme la France, s’intéresser à l’autre, voire être généreux, pas nécessairement matériellement, mais en termes d’idées, n’est pas naturel.

Aussi, le médiateur va initier les médiés, par un processus de "déconstruction-reconstruction", à la recherche d’une solution consensuelle basée sur l’intercompréhension.

La phase de séparation permettant le positionnement de chacun, l’expression des dissensus et la phase reconstruction servant la construction de "l’échange réparateur".

Aussi et sans doute, bien plus salutaire et pédagogique qu’une condamnation à une amende que l’on pourrait obtenir à la barre du tribunal, la médiation permet une prise de conscience de l’auteur sur son comportement sexisme qu’il méconnaissait - ou feignait de méconnaitre - et comprendre que la blague graveleuse, les réflexions "anodines" qui renvoient un collègue à son genre, le jugement de "non féminité" pour une femme ou de "non virilité" pour un homme, les considérations sexistes sur la maternité/paternité ou les charges domestiques… peuvent caractériser l’agissement sexiste de nature à causer des conséquences (parfois désastreuses) pour les victimes : perte de confiance en soi des femmes, conséquences concrètes sur leur vie quotidienne et leur parcours professionnel (trappes à bas salaire, persistance d’inégalités salariales sur le marché du travail).

D’autant que le médiateur va encourager les médiés à s’interroger sur leurs motivations et besoins. Ceux de l’auteur (qui peuvent relever de l’appartenance à un groupe, affirmation de soi, "humour" etc …) mais aussi sur ceux de la victime (respect, prise de conscience, affirmation de soi, etc..). Ce temps fort de la médiation va permettre d’apprendre à chacun à se respecter et à respecter l’autre et ainsi, à gérer la relation de manière pérenne, sans heurter l’autre.

Somme toute, la fécondité du processus de médiation va générer une prise de conscience qui s’ancrera dans la mentalité de l’auteur d’agissements sexistes qui, d’une part, ne s’autorisera plus ces comportements déviants et d’autre part, favorisera son implication, son accueil du point de vue de "l’autre" pour favoriser l’émergence de multiples options et amener à une prise de décision qui convienne à tous.

Par conséquent, pour lutter contre le sexisme dans nos sociétés, il semble nécessaire de sensibiliser tout un chacun sur les conséquences et émotions négatives que ces agissements génèrent.

En cela, le recours à la médiation - sans exclure la saisine de la justice pour les cas les plus graves et/ou les 10% de la population étant dans l’incapacité (émotionnelle ou intellectuelle) d’entrer en voie de médiation - semble être une des solutions "facilement opérable" et permettre une prise de conscience sincère et durable.

Spécialement si l’on considère que la première prétention des victimes de sexisme réside en la formulation d’excuses de la part de son auteur. Ce qu’un tribunal n’a pas la capacité d’exiger !

Caroline Gropaiz, Médiatrice certifiée
et Richard Rondoux, Avocat à la Cour
Barreau de Paris

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

130 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1Article R625-8-3.

[2Article R625-8-1.

Commenter cet article

Discussion en cours :

  • par Laurent C. , Le 2 janvier 2024 à 14:49

    Cet article offre un éclairage concret et perspicace sur la persistance du sexisme dans notre société, mettant en relief les comportements discriminatoires fréquemment observés dans le milieu professionnel. La proposition de recourir à la médiation comme moyen de sensibilisation et de transformation des mentalités est particulièrement judicieuse. En soulignant les conséquences de ces comportements, l’article démontre de manière convaincante l’importance de sensibiliser chacun à cette réalité. L’application de la médiation comme alternative aux procédures judiciaires est une perspective intéressante, notamment dans les situations les moins graves. Une lecture instructive et éclairante qui mérite d’être saluée. Merci aux auteurs pour cette contribution pertinente et bravo pour la clarté du propos.

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27886 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• [Dossier] Le mécanisme de la concurrence saine au sein des équipes.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs