L’article 98 de l’AUDSCGIE dispose que :
« Toute société jouit de la personnalité juridique à compter de son immatriculation au registre du commerce et du crédit mobilier à moins que le présent acte uniforme en dispose autrement ».
Cette disposition pose un principe fondamental : une société ne peut être considérée comme une entité juridique à part entière qu’après son immatriculation au registre compétent en l’occurrence celui du commerce et du crédit mobilier.
En effet, l’immatriculation constitue une étape essentielle dans la vie d’une société. Elle permet non seulement d’attester de son existence légale, mais aussi de la doter de la capacité d’exercer des droits et d’assumer des obligations. Ainsi, une société immatriculée peut ester en justice, conclure des contrats, posséder un patrimoine propre, etc. Cette immatriculation est d’autant plus cruciale qu’elle confère la personnalité morale, laquelle permet à l’entité de se distinguer de ses fondateurs et dirigeants.
Les manquements à cette obligation sont expressément sanctionnés par l’article 60 de l’AUDCG qui prévoit que :
« (...) Toute personne morale assujettie à l’immatriculation au registre du commerce et du crédit mobilier qui n’a pas demandé celle-ci dans les délais prévus ne peut se prévaloir de la personnalité juridique jusqu’à son immatriculation. Toutefois, elle ne peut invoquer son défaut d’immatriculation au registre du commerce et du crédit mobilier pour se soustraire aux responsabilités et aux obligations inhérentes à cette qualité ».
Cela signifie que, même en l’absence d’immatriculation, la société sera tenue responsable de ses actes vis-à-vis des tiers. Elle supportera donc les charges et obligations nées de son activité, comme si elle avait la personnalité juridique, sans pour autant bénéficier des droits qui y sont rattachés. En d’autres termes, elle peut être poursuivie, mais ne peut agir en justice de manière autonome. Cette logique a été confirmée par la jurisprudence, notamment dans l’affaire Société générale Wietc Company Ldf c/ Brael-Congo SARL [1].
Dans de telles circonstances, le juge peut être amené à considérer qu’il s’agit d’une société créée de fait ou d’une société de fait, selon les articles 864 et 865 de l’AUDSCGIE.
L’article 864 précise :
« Il y a société créée de fait lorsque deux (2) ou plusieurs personnes physiques ou morales se comportent comme des associés sans avoir constitué entre elles l’une des sociétés reconnues par le présent Acte uniforme ».
Dans cette hypothèse, l’élément central est l’affectio societatis [2], c’est-à-dire la volonté commune de s’associer et de collaborer à une entreprise commune [3].
L’article 865 quant à lui dispose que :
« Lorsque deux (2) ou plusieurs personnes physiques ou morales ont constitué entre elles une société reconnue par le présent Acte uniforme mais qui présente un vice de formation non régularisé ou ont constitué entre elles une société non reconnue par le présent acte uniforme, il y a société de fait ».
Ces sociétés peuvent être formées sans statuts, ou avec des statuts qui ne correspondent à aucune des formes sociales prévues par l’acte uniforme.
Mais qu’en est-il des sociétés étrangères ayant leur siège en dehors de l’espace OHADA ? Peuvent-elles être déclarées inexistantes faute d’immatriculation ?
S’interroger sur ce point est extrêmement crucial pour nous. En effet, de nombreuses sociétés étrangères exercent leurs activités dans l’espace OHADA par le biais de succursales, de filiales, ou de bureaux de représentation. Ces structures leur permettent d’opérer légalement dans cet espace tout en respectant les normes en vigueur.
I. La succursale.
Selon l’article 116 de l’AUDSCGIE, la succursale est un établissement commercial, industriel ou de services appartenant à une société ou à une personne physique, et jouissant d’une certaine autonomie de gestion. Toutefois, comme le précise l’article 117, elle ne possède pas la personnalité juridique : elle reste directement rattachée à son propriétaire. Jean Gatsi note à ce propos qu’« il n’existe pas un rapport de dépendance entre la succursale et son propriétaire, mais plutôt un rapport d’appartenance » [4].
L’article 118 du même Acte uniforme précise que la succursale peut être l’établissement d’une société ou d’une personne physique étrangère. Dans ce cas, elle est soumise au droit de l’État dans lequel elle est implantée. Lorsque la succursale appartient à une société étrangère ayant son siège en dehors de l’espace OHADA, elle doit être apportée à une société de l’espace OHADA dans un délai de deux ans à compter de sa création : c’est l’obligation de filialisation. Cela signifie que lorsqu’une société étrangère crée une succursale dans l’espace OHADA, elle ne peut pas garder cette succursale indéfiniment sous sa forme actuelle. Elle est obligée de transformer cette succursale en une filiale, c’est-à-dire une société de droit OHADA (dotée de la personnalité morale propre, immatriculée au RCCM), dans un délai de deux ans, c’est ce à quoi renvoie l’obligation de filialisation. La succursale doit être « apportée », c’est-à-dire transférée juridiquement, à une société régulièrement constituée selon le droit OHADA, soit créée spécialement à cet effet en échange, la société mère reçoit des parts ou actions dans cette société-là.
Toutefois, cette obligation peut faire l’objet d’une dispense de deux ans non renouvelables. Si la société étrangère est soumise à un régime particulier [5], elle peut bénéficier d’une dispense illimitée [6].
II. La filiale.
La filiale, contrairement à la succursale, est dotée de la personnalité juridique propre. Elle est une société distincte, bien que contrôlée par une société mère, généralement par la détention de plus de la moitié du capital social. Elle peut adopter une forme, un objet ou une nationalité différente de la société mère. La filiale est donc immatriculée au RCCM et peut agir indépendamment. Pour la succursale comme pour toutes les sociétés assujetties à l’immatriculation, c’est cette immatriculation lui confère la personnalité morale (T. com. Brazzaville (Congo), ord. Réf. N°065, 28-10-2011 : Société générale Wietc Company Ldf c/ Brael-Congo SARL, Ohadata J-13-111).
III. Le bureau de représentation ou de liaison.
Ce bureau permet à une société étrangère de s’implanter progressivement dans un pays. Il sert généralement à recueillir des informations ou à représenter la maison mère. Contrairement à la succursale, il n’a aucune autonomie de gestion et n’exerce aucune activité commerciale. Il n’a pas non plus la personnalité juridique. Cependant, il doit être enregistré au RCCM. Il peut, selon les besoins, évoluer vers une succursale. Un bureau de représentation ou de liaison permet généralement à une société étrangère d’établir un premier contact avec le marché du pays dans lequel il souhaite s’implanter, il permet donc à celle-ci de recueillir des données, fournir des informations concernant la maison mère, etc. Contrairement à la succursale, il n’est pas doté d’une autonomie de gestion et n’exerce aucune activité préparatoire ou auxiliaire pour le compte de la maison mère. Toutefois, comme la succursale il n’a pas de personnalité juridique distincte de celle de la société qui l’a créé et doit être enregistré au RCCM. Il peut arriver que ce bureau soit l’établissement d’une société étrangère (c’est d’ailleurs le cas qui nous occupe) et peut également au besoin être mué en succursale.
Mais que se passe-t-il lorsqu’une société étrangère n’a ni succursale, ni filiale, ni bureau, dans l’espace OHADA et souhaite y ester en justice ?
Le droit OHADA n’apporte pas de réponse claire à cette question.
L’AUDSCGIE ne traite pas de la capacité juridique des sociétés étrangères, laissant cette question à la législation interne de chaque État membre. Le droit OHADA via l’AUDSCGIE n’a pas réglé la question de la capacité juridique des sociétés étrangères ni consacré les limites potentielles d’une telle capacité. Ce qui signifie qu’il n’y a pas de texte au niveau de l’OHADA concernant la capacité d’ester en justice d’une société étrangère commerciale ayant son siège légal en pays étranger. Cette question demeure réglée par la loi interne de chaque État membre de l’espace OHADA car cette question est d’ordre public [7].
Par exemple en s’appuyant sur l’Ordonnance-Loi 66-344- du 9 juin 1966 de la République Démocratique du Congo relative aux Actes notariés, le raisonnement de la CCJA fut le suivant :
« Qu’il s’en induit qu’une société étrangère n’ayant aucun centre d’opération propre en République Démocratique du Congo ne peut prouver son existence juridique et ester en justice que si les documents à produire, notamment ses statuts ou un extrait récent du registre du commerce et du crédit mobilier, ou toute autre preuve de son existence juridique, et la preuve que le mandat donné à l’Avocat ont été régulièrement établis par un représentant qualifié à cet effet, ont été légalisés dans son pays d’origine par les services de l’Ambassade de la République Démocratique du Congo auprès de ce pays, et sont produits en la forme authentique ou en copie certifiée conforme par ladite autorité » [8].
Le droit de la République Démocratique du Congo en la matière étant que l’exigence d’immatriculation prévue par le droit OHADA pour l’existence juridique d’une société ne peut être opposée à une société immatriculée en dehors de l’espace OHADA n’ayant pas de succursale ni de bureau de liaison dans l’Etat partie à l’OHADA concerné, car elle a obtenu sa personnalité juridique en conformité à la loi de l’État où elle a été créée [9].
En définitive, il est urgent d’harmoniser cette question au sein de l’espace OHADA afin d’éviter les contradictions jurisprudentielles, comme celles observées avec l’arrêt Thales c/ Kattie [10] et l’arrêt ESI Ltd c/ CIMCO SAS [11].
Ces décisions opposées, rendues par la même cour, n’ont pas été suffisamment motivées, laissant persister une insécurité juridique quant à la capacité des sociétés étrangères dans l’espace OHADA.
Autrement dit, la Cour a rendu des décisions diamétralement opposées, sans toutefois étayer sa position chaque fois par des arguments permettant de comprendre le fondement de ce revirement ou, mieux, de sa jurisprudence contradictoire [12].