I/ Les smart contracts : un nouveau levier pour le commerce en droit OHADA.
Nous procèderons à une présentation des smart contracts (A) avant d’évoquer l’importance de la blockchain dans leur mise en œuvre (B).
A/ La notion de smart contract.
Rappel : Traditionnellement un contrat est défini comme « une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose » [1] et doit remplir les conditions de validité présentées à l’article 1108 du Code civil ancien.
Un smart contract est un programme informatique conçu pour exécuter automatiquement des obligations contractuelles dès lors que certaines conditions prédéfinies sont remplies. À la différence des contrats traditionnels, dont l’application requiert une intervention humaine, les smart contracts garantissent une exécution à la fois automatique et infalsifiable. Ces programmes informatiques enregistrent et exécutent les termes d’un contrat (prêt financier, émission d’actions, vote, contrat de mariage, etc.) lorsque les échéances convenues sont atteintes, pour autant que leurs caractéristiques aient été clairement définies au préalable. L’objectif est de satisfaire les conditions contractuelles, qu’il s’agisse des modalités de paiement, de livraison, de confidentialité, voire d’exécution des obligations réciproques.
Le caractère numérique et automatisé du contrat permet en théorie à deux partenaires de nouer une relation commerciale sans qu’ils aient besoin de se faire mutuellement confiance au préalable, et ce, sans autorité ou intervention centrale. C’est le système lui-même, et non ses agents, qui garantit l’honnêteté de la transaction. Tel est le sens du projet Ethereum, qui permet la création de smart contracts à grande échelle en mettant en place une méthode de vérification entièrement dématérialisée, réalisable directement par les pairs sans interférence d’outils juridiques. A la lecture de la définition traditionnelle d’un contrat et de ses conditions de validité, on en déduit que rien ne fait obstacle à l’utilisation des contrats numériques, sous réserve des dispositions relatives aux actes dématérialisés prévus aux articles 82 et suivants de l’AUDCG. La principale particularité des smart contracts réside dans l’absence des tiers dans l’exécution de certaines obligations des parties par exemple un virement en unité de monnaie (jetons) électronique se fera directement sur le compte du cocontractant si les conditions préalablement définies lors de la conclusion du contrat sont satisfaites. Dans la mise en œuvre de tels contrats (passés ou pas par des commerçants ou sociétés commerciales) la blockchain est l’élément fondamental du processus car c’est elle qui garantit la fiabilité du procédé non seulement en ce qui concerne la sécurité des contrats (infalsifiables, vérifications, préservation d’une trace indélébile), mais aussi l’exécution ou l’inexécution des obligations (versements, rupture).
B/ L’importance de la blockchain dans le développement des smart contracts.
Ces contrats "intelligents" confèrent une dimension inédite à la blockchain : dans le cadre d’un contrat d’assurance, par exemple, si les conditions de remboursement sont réunies, le contrat s’exécute automatiquement et opère une transaction pour indemniser l’assuré. Grâce aux smart contracts, la blockchain ne se limite plus au stockage de l’information ! Les contrats intelligents permettent d’enregistrer de manière sécurisée les informations contractuelles reliant les parties entre elles. Les termes du contrat, les informations sur les différentes parties et les dates sont conservés. La blockchain permet ici d’avoir une preuve datée digitale irréfutable et infalsifiable.
Aujourd’hui, on peut trouver sur Ethereum (protocole d’échanges décentralisés permettant la création par les utilisateurs de contrats intelligents ; une blockchain) des contrats de distribution et même des pactes d’actionnaires. Pour un contrat intelligent dont les conditions d’exécution sont liées à des indicateurs temporels ou à des écritures dans la blockchain, la vérification est automatique. En revanche, dans le cas où il faut vérifier une condition externe (que le colis a bien été reçu), il faut faire appel à un tiers de confiance, un Oracle dans le jargon d’Ethereum. L’Oracle peut être un tiers désigné par les deux parties, un institut/association de confiance ou encore un consensus de nombreux tiers (projet Oraclize).
Par ailleurs, l’intégration de la blockchain et l’encadrement des smart contracts dans le droit OHADA présente de nombreux avantages, notamment une réduction des coûts et délais (L’automatisation diminue le besoin d’intermédiaires tels que les notaires et huissiers, facilitant ainsi les transactions commerciales transfrontalières), et une facilitation du financement (Grâce à la blockchain, les commerçants pourraient accéder à des financements via des garanties automatisées, renforçant la confiance des investisseurs).
II/ LES DAO : une révolution pour la gouvernance des sociétés en droit OHADA.
Nous procèderons d’abord à la présentation des organisations autonomes décentralisées (A), puis nous verrons en quoi l’absence de personnalité juridique des DAO constitue un obstacle majeur (B).
A/ Présentation des organisations autonomes décentralisées.
Les organisations autonomes décentralisées (DAO) fonctionnent grâce à des smart contracts, sans gestion centralisée. Elles permettent une gouvernance transparente, où les décisions sont prises par les membres via un vote sécurisé sur la blockchain.
Selon maître Thibault Verbiest, Avocat associé [2], une DAO est une organisation fonctionnant grâce à un programme informatique qui fournit des règles de gouvernance à une communauté d’utilisateurs. C’est une version plus complexe d’un smart contract, avec les mêmes avantages que celui-ci : ses règles sont transparentes et immuables car inscrites dans la blockchain.
Ces organisations autonomes décentralisées, par nature horizontales, présentent un potentiel de rupture majeur par rapport aux modes d’organisations classiques hérités de la révolution industrielle, basés sur une logique verticale, avec au sommet des actionnaires cherchant à réaliser un profit.
La première expérience en la matière est The DAO, sur la blockchain Ethereum. The DAO est une sorte de fonds d’investissement décentralisé dont la fonction est triple : évaluer des projets qui lui sont soumis ; décider collectivement avec les détenteurs de jetons de la DAO de financer ou non ces projets ; distribuer les risques et récompenses qui y sont relatifs. Dans cette DAO, il y a d’une part des détenteurs de jetons qui constituent les « actionnaires » de la DAO, et d’autre part des prestataires. Les premiers participent à la création de la DAO, investissent de l’argent en échange de jetons, et constituent la base de la DAO. Les seconds sont ceux qui soumettront des projets à la DAO et demanderont du financement. Le projet The DAO implique également des curateurs ou « conservateurs bénévoles », qui filtrent les projets, en vérifiant que le code source fourni par un prestataire correspond bien à ce qu’il propose, autrement dit, ils s’assurent que les projets sont légaux et que les entrepreneurs sont correctement identifiés. Leur travail est auditable par chacun, et ils peuvent être écartés en cas de doute sur leur moralité. Dans The DAO contrairement aux formats de sociétés que nous avons en droit OHADA les règles d’organisation et de fonctionnement sont librement définies par les parties et chacune d’entre elles reste détentrice de ses fonds (sous forme de jetons) qu’elle peut retirer à tout moment.
Autre exemple de DAO : une communauté s’auto-assure contre la perte d’emplois, sans passer par une compagnie d’assurances ou un courtier. Elle crée une cagnotte (en bitcoins ou en éthers par exemple) et lorsque l’un de ses membres perd son emploi (l’information étant transmise, via un API, par l’autorité habilitée à constater la perte d’emploi), une somme préalablement convenue lui est payée. Tout est exécuté par un smart contract, cela constitue non seulement un avantage considérable pour les employeurs véreux, mais aussi un gain de temps considérable. Comme nous l’avons dit plus haut tout est conservé et dans la blockchain, rien n’est perdu.
B/ L’absence de personnalité juridique : un obstacle majeur.
À première vue, la DAO, en tant que telle, ne peut signer de contrat avec une autre entreprise, ouvrir un compte en banque, agir ou être attraite en justice. Toutefois, il est probable qu’elle soit considérée par le juge comme une société créée de fait. Aux termes de l’article 864 de l’AUDSCGIE « Il y a société créée de fait lorsque deux ou plusieurs personnes physiques ou morales se comportent comme des associés sans avoir constitué entre elles l’une des sociétés reconnues par le présent Acte uniforme ». Cela résulte du comportement de personnes qui, sans en avoir pleinement conscience, se traitent entre elles et agissent à l’égard des tiers comme de véritables associés.
Pour la CCJA, la simple apparence ne peut suffire à conclure à l’existence d’une société créée de fait. En effet, l’existence d’une telle société résulte de l’affectio societatis qui est la volonté de s’associer et de participer au projet commun sur une base égalitaire. L’existence d’une société créée de fait ou d’une société de fait est prouvée par tout moyen. Lorsque l’existence d’une société créée de fait ou d’une société de fait est reconnue par le juge, les règles de la société en nom collectif sont applicables aux associés (v. art. 868 de l’AUDSCGIE). Les rapports entre associés sont alors régis soit par les dispositions applicables aux sociétés civiles, si la société a un caractère civil, soit, si elle a un caractère commercial, par celles applicables aux sociétés en nom collectif. Quel que soit son caractère, les associés pourront directement poursuivre les associés sur leurs biens personnels en cas de dettes impayées.
Les contrats conclus par une DAO manquent de validité juridique, à moins qu’un contrat "réel" ne soit établi avec un tiers qui s’engagera aussi à supporter la responsabilité éventuelle, en parallèle du smart contract lié à la prestation, afin de représenter la DAO dans ses interactions avec son cocontractant, par exemple un commissionnaire (v. article 192 et suivants AUDCG). Toutefois, cette approche laisse la DAO vulnérable, car elle dépend de l’exécution du tiers. D’où la nécessité d’une reconnaissance légale, dotant la DAO d’une personnalité juridique lui permettant d’agir dans un cadre sûr et de jouir des droits et obligations qui y sont rattachés.
Cette reconnaissance s’annonce toutefois complexe, car elle implique de définir un cadre juridique pour les monnaies virtuelles, à moins d’utiliser les mécanismes existants pour les monnaies électroniques.
Par ailleurs, les DAO ne sont pas à l’abri des failles informatiques et du piratage, comme l’illustre l’analyse de maître Pascal Agosti :
« En juin 2016, un individu (ou un groupe) a exploité une faille dans le code d’un smart contract de The DAO, une organisation autonome décentralisée développée par Slock.it, basée sur la blockchain Ethereum et utilisant sa monnaie virtuelle, les ethers. Cette DAO, dont la mission était de lever des fonds pour financer des projets liés à Internet, aux objets connectés et aux voitures intelligentes, a subi un préjudice d’environ 50 millions de dollars, soit près d’un tiers des 168 millions de dollars collectés.
L’attaquant, ayant « respecté le code informatique » de The DAO, s’est retrouvé juridiquement inattaquable. En l’absence d’organe central décisionnel, les mineurs de The DAO ont dû voter pour trouver une solution. Face à l’impasse, Ethereum a procédé à une modification du code de la blockchain pour récupérer les ethers et les redistribuer à leurs détenteurs légitimes ».
La mise en place des DAO présente non seulement des avantages mais aussi des obstacles qu’il convient de mettra en exergue. Parmi les avantages nous avons notamment un fonctionnement autonome et sécurisé (la blockchain garantit l’irrévocabilité et l’inviolabilité des décisions et actions de la DAO), et une facilité d’internationalisation (les DAO peuvent attirer des investisseurs étrangers sans nécessiter de structures traditionnelles complexes). Et parmi les obstacles nous avons notamment une absence de reconnaissance légale (les Actes Uniformes ne prévoient aucune entité équivalente aux DAO. La reconnaissance d’une société requiert des formalités incompatibles avec le modèle DAO (immatriculation, siège social, etc.)), une responsabilité juridique floue (en l’absence de dirigeants traditionnels, il est difficile d’identifier les responsables en cas de faute ou de litige).
Conclusion.
L’intégration des smart contracts et des DAO dans le droit OHADA représente une opportunité majeure de moderniser le commerce et les entreprises africaines. L’adoption des smart contracts et des DAO nécessiterait une réforme du droit OHADA, incluant la reconnaissance de la validité des contrats dématérialisés auto-exécutables, ainsi que l’adaptation des règles de responsabilité et de résolution des litiges aux spécificités de la blockchain. L’OHADA pourrait s’inspirer de modèles existants, tel que le Wyoming aux États-Unis, qui a légiféré sur les DAO en leur accordant un statut juridique spécifique. Toutefois, cette adoption requiert une évolution du cadre juridique et des mentalités, ainsi qu’un dialogue entre juristes, entreprises et régulateurs. Une réflexion approfondie sur ces innovations est essentielle pour que l’espace OHADA ne soit pas laissé pour compte dans les transformations numériques mondiales.