1.- Mutations d’office des militaires : quels motifs pour les contester ?
En principe, les militaires peuvent être mutés d’office, en tout temps, et en tout lieu, pour répondre aux besoins du service en tenant compte, autant que possible, de leur situation familiale [1] :
« Les militaires peuvent être appelés à servir en tout temps et en tout lieu.
Dans toute la mesure compatible avec le bon fonctionnement du service, les mutations tiennent compte de la situation de famille des militaires, notamment lorsque, pour des raisons professionnelles, ils sont séparés :
- 1° De leur conjoint ;
- 2° Ou du partenaire avec lequel ils sont liés par un pacte civil de solidarité, lorsqu’ ils produisent la preuve qu’ ils se soumettent à l’ obligation d’ imposition commune prévue par le Code général des impôts ;
La liberté de résidence des militaires peut être limitée dans l’intérêt du service.
Lorsque les circonstances l’exigent, la liberté de circulation des militaires peut être restreinte ».
Toutefois, les décisions de mutations d’office ne peuvent être prononcées qu’en respectant certaines règles.
D’abord, les mutations d’office (MOIS) ne doivent pas revêtir le caractère d’une sanction déguisée.
A cet effet, la mesure de mutation ne doit pas conduire à une dégradation substantielle des conditions de travail des militaires et gendarmes concernés, et ne doit pas être prise en vue de les sanctionner (CAA Paris, 2 mars 2018, req. n°16PA03781) :
« 3. Considérant qu’une mutation d’office revêt le caractère d’une mesure disciplinaire déguisée lorsque, tout à la fois, il en résulte une dégradation de la situation professionnelle de l’agent concerné et que la nature des faits qui ont justifié la mesure et l’intention poursuivie par l’administration révèlent une volonté de sanctionner cet agent ».
Ensuite, la décision de mutation d’office doit conduire à affecter le militaire concerné sur un emploi qu’il a vocation à occuper au regard de ses compétences et de ses titres. A défaut, elle pourra être regardée comme étant entachée d’une erreur d’appréciation : « 6. Toutefois, il est constant que le poste sur lequel M. A... a été affecté est un poste purement administratif (…) qui ne correspond donc pas à l’emploi que les chefs de musique ont vocation à occuper. La seule circonstance que le référentiel provisionnel du CERPA produit à l’instance identifie trois postes réservés à des chefs de musique ne suffit pas pour établir que la nomination de M. A... sur l’un de ces postes, comme officier rédacteur à la section synthèse et planification, répondrait aux besoins du service, comme le soutient le ministre dans ses écritures de première instance, alors que, d’une part, ce poste requière des qualités rédactionnelles qui ne sont pas celles qui ont présidé au recrutement de M. A... et que, d’autre part, celui-ci soutient sans être contredit que ce poste n’a en réalité jamais été occupé par un chef de musique.
En outre, la ministre des armées n’allègue pas qu’aucun poste de direction d’une formation musicale sur lequel le requérant aurait pu être affecté à la date de la décision attaquée, au sein de l’armée de l’air, d’une autre armée, d’une formation interarmées ou de tout organisme mentionné au 2° de l’article L4138-2 du Code de la défense, n’était vacant. Par suite, M. A... est fondé à soutenir, ainsi qu’il le fait en contestant dans sa requête "l’erreur de fait" que le tribunal aurait commise en considérant que le poste figurant sur le référentiel n’était pas fictif et correspondait à ses compétences, que la décision attaquée est entachée d’erreur manifeste d’appréciation » (CAA Paris, 5 mai 2022, req. n°20PA04066).
Enfin, lorsque la mutation d’office est prononcée pour motif tenant à la personne du militaire en cause, ce dernier doit avoir été mis à même de demander communication de son dossier individuel et de présenter ses observations : « 6. En vertu de ces dispositions, un agent public faisant l’objet d’une mesure prise en considération de sa personne, qu’elle soit ou non justifiée par l’intérêt du service, doit être mis à même de demander la communication de son dossier, en étant averti en temps utile de l’intention de l’autorité administrative de prendre la mesure en cause. Dans le cas où un agent public fait l’objet d’un déplacement d’office, il doit être regardé comme ayant été mis à même de solliciter la communication de son dossier s’il a été préalablement informé de l’intention de l’administration de le muter dans l’intérêt du service, quand bien même le lieu de sa nouvelle affectation ne lui aurait pas alors été indiqué » (CE, 5 février 2020, req. n°433130).
En particulier, lorsque la mutation d’office est précédée d’une enquête administrative, le militaire ou le gendarme concerné doit pouvoir consulter le rapport établi à l’issue de cette enquête, ainsi que, les PV d’auditions des personnes entendues sur son comportement : « 7. Par ailleurs, lorsqu’une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d’un agent public, y compris lorsqu’elle a été confiée à des corps d’inspection, le rapport établi à l’issue de cette enquête, ainsi que, lorsqu’ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l’agent faisant l’objet de l’enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905, sauf si la communication de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné » (CAA de Paris, 15 octobre 2021, req. n°20PA01493).
Ainsi, tout militaire ou gendarme qui se voit notifier une décision de mutation d’office illégale pourrait la contester auprès de la commission des recours des militaires (CRM) puis, le cas échéant, devant le tribunal administratif compétent pour en demander l’annulation.
2.- Conséquences de l’annulation d’une mutation d’office sur la carrière des militaires ?
En principe, l’annulation d’une décision ayant illégalement muté un militaire ou un gendarme oblige l’administration à réintégrer l’intéressé dans l’emploi qu’il occupait précédemment et à reprendre rétroactivement les mesures nécessaires pour le placer dans une position régulière à la date de sa mutation (CE, 1er juin 2018, req. n° 405532) : « 4. Considérant que l’annulation de la décision ayant illégalement muté un agent public oblige l’autorité compétente à replacer l’intéressé, dans l’emploi qu’il occupait précédemment et à reprendre rétroactivement les mesures nécessaires pour le placer dans une position régulière à la date de sa mutation ».
Le droit d’être réaffecté sur ses anciennes fonctions ne disparaît que si la réintégration est impossible du fait de la suppression du poste concerné, de la radiation des cadres du militaires en cause ou de sa renonciation expresse à être réintégrer : « (…) qu’il ne peut être dérogé à cette obligation que dans les hypothèses où la réintégration est impossible, soit que cet emploi ait été supprimé ou substantiellement modifié, soit que l’intéressé ait renoncé aux droits qu’il tient de l’annulation prononcée par le juge ou qu’il n’ait plus la qualité d’agent public » (CE, 1er juin 2018, M. B., n° 405532).
Toutefois, si une décision de mutation a été prise en vue de mettre fin à une situation de tension, l’annulation de cette mutation n’implique pas nécessairement de réintégrer le militaire dans ses anciennes fonctions, mais seulement que le ministre procède à un réexamen de la situation de l’intéressé en vue d’une mutation nouvelle :
« 8. Alors qu’ainsi qu’il a été dit au point 5, la décision de changer M. A... d’affectation ayant été prise dans l’intérêt du service, afin de mettre fin à la situation de tension au sein de la Musique de l’armée de l’air de la base aérienne de Bordeaux-Mérignac, la présente décision n’implique pas nécessairement la réintégration de M. A... sur le poste de chef de musique adjoint qu’il occupait, avant sa mutation, à la Musique de l’armée de l’air. Elle implique en revanche que la ministre des armées procède au réexamen de la situation de M. A... et procède, à cet effet, à une nouvelle affectation de l’intéressé. Il y a lieu d’enjoindre à la ministre des armées de procéder à ce réexamen dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt » [2].
Ainsi, lorsqu’à la suite d’une annulation contentieuse, un militaire se voit notifier une nouvelle décision d’affectation, il doit vérifier que cette nouvelle affectation répond aux exigences précitées.
A défaut, il pourra envisager de la contester.
3.- Quels recours contre les décisions de mutation d’office ?
Par principe, tout recours contentieux introduit par un militaire contre une décision de mutation d’office doit être précédé d’un recours préalable (RAPO) devant la commission des recours des militaires (CRM) (article R4125-1 du Code de la défense) : « I. Tout recours contentieux formé par un militaire à l’encontre d’actes relatifs à sa situation personnelle est précédé d’un recours administratif préalable, à peine d’irrecevabilité du recours contentieux.
Ce recours administratif préalable est examiné par la commission des recours des militaires, placée auprès du ministre de la défense ».
Le militaire en cause doit saisir la commission des recours des militaires (CRM) dans un délai de deux mois à compter de la notification ou de la publication de la décision litigieuse (article R4125-2 du Code de la défense) : « A compter de la notification ou de la publication de l’acte contesté, ou de l’intervention d’une décision implicite de rejet d’une demande, le militaire dispose d’un délai de deux mois pour saisir la commission par tout moyen conférant date certaine de réception de cette saisine au secrétariat permanent placé sous l’autorité du président de la commission (…) ».
Ce recours préalable obligatoire conserve le délai de recours contentieux jusqu’à l’intervention de la décision du ministre de la Défense ou de l’Intérieur (pour les gendarmes) sur ledit recours [3] : « Le recours administratif formé auprès de la commission conserve le délai de recours contentieux jusqu’à l’intervention de la décision prévue à l’article R4125-10.
Sous réserve des dispositions de l’article L213-6 du Code de justice administrative, tout autre recours administratif, gracieux ou hiérarchique, formé antérieurement ou postérieurement au recours introduit devant la commission, demeure sans incidence sur le délai de recours contentieux ».
La commission des recours des militaires (CRM) dispose d’un délai de quatre mois pour notifier au militaire concerné la décision du ministre sur son recours (article R4125-10 du Code de la défense) :
« Dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine, la commission notifie à l’intéressé la décision du ministre compétent, ou le cas échéant, des ministres conjointement compétents. La décision prise sur son recours, qui est motivée en cas de rejet, se substitue à la décision initiale. Cette notification, effectuée par tout moyen conférant date certaine de réception, fait mention de la faculté d’exercer, dans le délai de recours contentieux, un recours contre cette décision devant la juridiction compétente à l’égard de l’acte initialement contesté devant la commission ».
A défaut, le ministre concerné est réputé avoir rejeté le recours formé par le militaire et ce dernier dispose alors d’un nouveau délai de 2 mois pour introduire un recours contentieux devant le tribunal administratif compétent (Article R4125-10 alinéa 2 du Code de la défense + article R421-1 du Code de justice administrative).
Durant le délai de 4 mois, et en cas d’urgence, le militaire concerné peut toujours saisir le juge des référés du tribunal administratif d’une demande de suspension de la décision qu’il conteste :
« 3. Considérant que l’objet même du référé organisé par les dispositions précitées de l’article L521-1 du Code de justice administrative est de permettre, dans tous les cas où l’urgence le justifie, la suspension dans les meilleurs délais d’une décision administrative contestée par le demandeur ; qu’une telle possibilité est ouverte y compris dans le cas où un texte législatif ou réglementaire impose l’exercice d’un recours administratif préalable avant de saisir le juge de l’excès de pouvoir, sans donner un caractère suspensif à ce recours obligatoire ; que, dans une telle hypothèse, la suspension peut être demandée au juge des référés sans attendre que l’administration ait statué sur le recours préalable, dès lors que l’intéressé a justifié, en produisant une copie de ce recours, qu’il a engagé les démarches nécessaires auprès de l’administration pour obtenir l’annulation ou la réformation de la décision contestée ; que, saisi d’une telle demande de suspension, le juge des référés peut y faire droit si l’urgence justifie la suspension avant même que l’administration ait statué sur le recours préalable et s’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ; que, sauf s’il en décide autrement, la mesure qu’il ordonne en ce sens vaut, au plus tard, jusqu’à l’intervention de la décision administrative prise sur le recours présenté par l’intéressé » (CE, 7 octobre 2015, req. n°392492).
Dans ce cas, le militaire concerné est dispensé de former un recours au fond en annulation de la décision contestée :
« 4. Considérant que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du Tribunal administratif de Marseille a jugé la demande de M. B...irrecevable au motif que le requérant n’avait pas formé de recours en annulation contre cette décision ; que ce faisant, le juge a commis une erreur de droit dès lors que le recours contre cette décision devait faire l’objet d’un recours préalable obligatoire devant la commission des recours des militaires, en application de l’article L4125-1 du Code de la défense, et que la recevabilité de la demande de suspension était subordonnée non à l’existence d’un recours au fond, mais, ainsi qu’il a été dit au point 3 de la présente décision, à l’exercice de ce recours administratif préalable ; que, d’ailleurs, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. B...avait saisi cette commission avant la saisine du juge des référés d’une demande de suspension ; que, par suite, son ordonnance doit être annulée » (CE, 7 octobre 2015, req. n°392492).