I/ Distinction entre " modification du contrat de travail " et " modification des conditions de travail " : exposé et illustrations :
A/ La notion de modification des conditions de travail :
Aux termes de la jurisprudence actuelle dominante, qui se fonde sur le code du travail et en particulier le " pouvoir de direction " de l’employeur, et la " subordination juridique " du salarié, les employés, seraient-ils d’ailleurs cadres, ne peuvent refuser de suivre les instructions de leurs supérieurs hiérarchiques, y compris lorsque ces ordres affectent leurs conditions de travail (changement de bureau ou de service, etc).
L’on peut exprimer cela autrement en affirmant très clairement que le salarié doit accepter les éventuelles modifications de ses conditions de travail, même si elles lui paraissent injustifiées à ses yeux.
Toutefois, l’employeur ne doit pas commettre d’abus en la matière, que ce soit par exemple dans une situation de harcèlement, ou en se livrant à des mesures discriminatoires.
En outre, les salariés dits " protégés " (représentants du personnel) ne peuvent se voir imposer des modifications de leurs conditions de travail, même en présence d’une clause de mobilité, mais l’employeur pourra au besoin obtenir une autorisation administrative de licenciement (le cas échéant pour faute grave).
B/ La notion de modification du contrat de travail :
Aux termes de la jurisprudence actuelle dominante, tout salarié peut au contraire refuser une " modification de son contrat de travail ", ce qui suppose de définir ce qu’est une telle modification...
Il n’existe malheureusement pas de définition légale ou absolue en la matière. C’est l’un des domaines où tant l’employeur que le salarié auront tout intérêt, en cas de doute, à consulter un avocat, ou tout autre conseil.
Même avec l’aide d’un conseil expérimenté, la solution sera toujours incertaine jusqu’à ce qu’elle ait été jugée et confirmée en appel ou par la cour de cassation...
En effet, la distinction, dans bien des cas, entre modification du contrat de travail et modification des conditions de travail relèvera pratiquement de l’art divinatoire.
Seule une étude des décisions de justice déjà rendues dans des situations similaires donnera un aperçu de ce qui pourrait être retenu par la juridiction saisie...
L’on se reportera par exemple aux exemples donnés ci-après au C/ (et naturellement " sous toutes réserves ").
Mais, s’il faut résumer en quelques termes la distinction, tout de qui n’affecte pas fondamentalement la relation de travail n’est qu’une simple " modification des conditions de travail ", alors que toute atteinte à un élément essentiel de cette relation sera considérée comme une " modification du contrat de travail ".
Par " fondamental " ou " essentiel " (malgré l’abandon _ plutôt formel _ de ce terme dans les arrêts les plus récents), il faut entendre tout ce qui affecte soit les fonctions (sauf adaptations mineures), soit la rémunération (au sens large), soit la durée du travail (sauf aménagement des horaires de travail), soit enfin le lieu de travail (sauf en cas de clause de mobilité, ou de fonction itinérante ou en cas de mutation dans la même " région géographique ").
Toutes autres modifications seront en principe de simples changements des conditions de travail (sauf si l’élément modifié était " contractualisé ").
C/ Illustrations diverses :
Les illustrations possibles de la distinction exposée ci-dessus sont nombreuses.
Ainsi peut-on étudier les variétés de modifications suivantes (selon la jurisprudence) :
1/ Modifications de la rémunération :
Un salarié peut refuser une modification de son salaire (y compris de son taux horaire ; Cour de cassation, 21 juin 2005) ou de ses autres avantages financiers contractuels (exs : inclusion d’une gratification dans un salaire minoré - Cour de cassation, 28 septembre 2005 - ou suppression d’un avantage en nature - Cour de cassation, 30 octobre 2000), car tous les juges estiment implicitement que ces éléments sont essentiels dans un contrat de travail.
En cas de simple modification du mode de calcul de la rémunération variable, les choses sont plus incertaines, si l’employeur parvient à démontrer que le changement ne serait pas défavorable au salarié (au contraire, un employeur ne peut imposer une hausse des objectifs du salarié de 80 %, si la partie variable du salaire en dépend - Cour de cassation, 21 septembre 2005).
2/ Modifications des fonctions :
Un salarié peut en principe refuser une modification de ses fonctions, car la majorité des juges estiment implicitement que le poste occupé est un élément essentiel du contrat de travail (ex : Cour de cassation, 28 septembre 2005).
Par exemple, un salarié haut cadre ne peut se voir contraint à de nouvelles tâches inférieures à son poste précédent (Cour de cassation, 26 janvier 2005) ou une " présentatrice de journal télévisé " être rétrogradée à un poste de simple " journaliste reporter d’images " (Cour de cassation, 12 janvier 2005). En principe, un retrait de responsabilités ne peut être imposé, même en cas de maintien de la rémunération (Cour de cassation, 25 novembre 1998), par exemple si le salarié est " confiné dans les attributions secondaires de son emploi " (Cour de cassation, 19 juin 1980).
Toutefois, un salarié peut se voir imposer une légère modification de ses tâches, voire des tâches supplémentaires en sus de son travail normal (Cour de cassation, 10 octobre 2000), si cela correspond à sa qualification (exs : Cour de cassation, 12 janvier 2005 et deux décisions des 11 mai et 18 mai 2005) ou son expérience, sauf en cas de bouleversement de son activité du fait de la modification proposée.
3/ Modifications de la durée du travail :
Un salarié peut en principe refuser une modification de la durée du travail (en plus ou en moins), si la modification ne résulte pas de la loi ou d’un accord collectif (la réduction du nombre d’heures résultant d’un accord de " RTT " ne peut en principe être refusée), car dans ce cas également la majorité des juges estiment implicitement que ceci est un élément essentiel du contrat de travail (exemple : Cour de cassation, 5 novembre 2003).
Toutefois, un salarié peut se voir imposer soit des heures supplémentaires décidées dans le respect de la réglementation (Cour de cassation, 9 mars 1999), soit une suppression des heures supplémentaires accomplies jusqu’alors (Cour de cassation, 20 octobre 1998).
D’autre part, l’aménagement des horaires de travail est en principe toujours autorisé même sans l’accord du salarié (ex : léger changement d’horaire quotidien ; Cour de cassation, 18 juillet 2001), sauf si la modification entraîne des changements trop importants (exs : répartition du travail sur 3 jours au lieu de 4 jours ; Cour de cassation, 7 juillet 1998 ou passage d’un horaire libre à un horaire fixe ; Cour de cassation, 12 décembre 2000).
Le salarié pourra également refuser le changement en raison d’" obligations familiales impérieuses " (ex : Cour de cassation, 9 juillet 2003) ou d’un " enseignement scolaire ou supérieur " le contraignant à suivre d’autres horaires que ceux proposés par l’employeur, ou encore pour des motifs liés à une autre " activité professionnelle non salariée " (article L 212-4-3 alinéa 6 nouveau du code du travail).
De même, les salariés protégés ne peuvent être " victimes " d’un modification d’horaire sans leur accord (ex : passage d’un horaire de nuit à un horaire de jour ; Cour de cassation, 8 juin 2005).
4/ Modifications du lieu de travail :
Sauf en cas de clause de mobilité, ou de fonction itinérante, ou encore en cas de mutation dans la " même région géographique ", un salarié est en principe parfaitement en droit de refuser une modification de son lieu de travail.
Il en irait également ainsi en cas de transfert d’un salarié d’une société à une autre, même si celles-ci sont dirigées par les mêmes personnes et si les salaire et fonction de l’employé restent inchangés (Cour de cassation, 5 mai 2004).
Il en va aussi autrement si une clause de mobilité a été insérée dans le contrat de travail, si la clause est mise en œuvre de bonne foi par l’employeur (ce qui ne serait pas le cas s’il est démontré une " précipitation abusive " de l’employeur - Cour de cassation, 11 mai 2005 ; d’autre part, des circonstances particulières - femme ayant un enfant handicapé par exemple - peuvent permettre d’écarter l’application de la clause - Cour de cassation, 6 février 2001).
Il en va également différemment si les fonctions du salarié supposent, par nature, une certaine mobilité quotidienne (V.R.P., etc ...) ou au moins régulière de sa part (déplacements sur des chantiers, etc ...).
Enfin, une mutation dans la même région ne peut être refusée.
Mais qu’est-ce que la même " région ", le même " secteur géographique " ou le même " bassin d’emploi " ? Tout dépend des circonstances (nombre de kilomètres, temps et facilités de transport...).
Selon des cas jugés, il n’y aurait pas de modification du contrat de travail (ce qui justifierait un licenciement en cas de refus du salarié), en cas de déplacement du lieu de travail :
de Saint-Nazaire (ville) à la banlieue de Saint-Nazaire (Cr de cassation.16 juillet 1997),
de Paris à une commune du Val d’Oise (95)(Cr de cassation, 2 avril 1998),
de Malakoff (92) à Courbevoie (92) (Cour d’Appel de Versailles, 28 novembre 1995),
de Paris à Créteil (93)(Cour de cassation, 25 mars 1998),
de Lisieux à Orbec (20 km)(Cour de cassation, 5 juin 2002).
Au contraire, selon des décisions réelles, il y aurait une modification du contrat de travail (ce qui ne justifierait un licenciement en cas de refus du salarié que si la modification du lieu de travail était indispensable pour l’entreprise), en cas de déplacement du lieu de travail :
de Versailles (78) à Chartres (28)(Cour de cassation, 1er juillet 1998),
de Amiens (80) à Saint Quentin (02)(Cour de cassation, 5 mars 1998),
de Epinal (88) à Metz (57) (140 km - Cour de cassation, 28 septembre 2005),
de Paris à Roissy (95) (Cour de cassation, 6 mai 2002).
II/ Les conséquences d’un refus du salarié :
A/ En cas de modification des conditions de travail :
Le salarié doit accepter les éventuelles modifications de ses conditions de travail, même si elles lui paraissent injustifiées à ses yeux, sauf situation de harcèlement ou mesures discriminatoires.
A défaut, il peut éventuellement être licencié pour faute grave pour insubordination en respectant la procédure de licenciement habituelle (la faute grave est néanmoins parfois écartée - ex : Cour de cassation, 23 février 2005 n° 03-42.018, sur un refus de changement de ligne d’un chauffeur poids lourds, par exemple si le salarié a une grande ancienneté - Cour de cassation, 17 octobre 2000 et 5 juin 2002).
Dans tous les cas, le licenciement est justifié, sauf précipitation (exs : Cour de cassation, 18 septembre 2002 et deux arrêts du 3 novembre 2004) ou mauvaise foi démontrée de la part de l’employeur (ex : clause de mobilité invoquée par l’employeur pour des " raisons étrangères à l’intérêt de l’entreprise " ; Cour de cassation, 23 février 2005, n° 04-45.463 au sujet d’un refus de déplacement du lieu de travail de Soissons à Saint-Quentin).
B/ En cas de modification du contrat de travail :
Tout salarié peut refuser une modification de son contrat de travail.
Il dispose d’ailleurs d’un délai minimal de réflexion d’un mois à compter de la lettre recommandée avec accusé de réception de l’employeur pour accepter ou refuser la modification.
Mais le refus, s’il n’est pas légitime, c’est-à-dire si la proposition de modification du contrat était justifiée par un motif économique (ex : délocalisation économiquement fondée ou modification du contrat d’un ingénieur commercial " en raison de la situation économique catastrophique de l’entreprise " ; Cour de cassation, 31 mai 2005) ou disciplinaire (ex : mutation-sanction), peut conduire l’employeur à licencier le salarié (le cas échéant pour faute grave lorsque le refus est particulièrement injustifié).
La procédure de licenciement sera à cet égard différente suivant que l’origine de la proposition de modification du contrat de travail (qui a été refusée) est ou non économique. Il conviendra de s’entourer d’un conseil à ce sujet.
Par contre, même s’il ne veut plus travailler, le salarié ne peut être considéré comme démissionnaire, sauf évidemment en cas de démission actée de façon expresse.
Donc, si le salarié n’est pas licencié, le contrat de travail continue à produire ses effets aux conditions antérieures (lieu de travail, etc ...) et le salaire doit être versé.
Ainsi, rien n’est anodin dès que la modification d’un contrat de travail est " en jeu ", même pour l’employeur.
Auteur : Vincent COLLIER
Avocat au Barreau de Paris
Mail : collier.v chez voila.fr