Business partner : comment et par quels moyens ?
Les premiers enseignements de cette plénière viennent d’une étude commandée par Wolters Kluwer et réalisée par un cabinet basé au Royaume-Uni. En sondant 250 directions juridiques de toutes tailles dans plusieurs pays européens, le but était de voir l’évolution des départements en trois ans. Leur enjeu principal est d’atteindre ou de défendre cette position de business partner qui leur est demandée aujourd’hui. Et c’est une étape dans la majorité des cas franchie. « Plus de 50% des directeurs juridiques considèrent qu’ils sont véritablement dans une position de business partner, qu’ils ont une influence stratégique, une présence au niveau du Comex et dans des projets clés » confirme Emmanuel Bertrand, directeur du développement EMEA, ELM solutions Wolters Kluwer. Un résultat à nuancer cependant du côté des directions juridiques de petite taille, qui de part leur effectif « sont plutôt sur du fonctionnel et du réel », et dont la contribution stratégique est jugée insuffisante.
- Frédéric Escudier et Emmanuel Bertrand pour la présentation de l’étude.
Mais il faut aussi savoir ce qu’attendent les dirigeants de ce juriste business partner, souligne Frédéric Escudier, l’un des fondateurs du Business Legal Forum : « Lorsqu’on les interroge, un juriste business partner doit être un excellent juriste, qui hiérarchise les risques, qui sait être innovant pour débloquer les situations, et surtout qui est capable de prendre en compte les motivations économiques des équipes et les propositions de valeur qui sont soumises à la négociation. Et dernier point : ce n’est pas un juriste qui prend des risques, mais qui montre les risques qu’il peut être intéressant de prendre. »
Progresser dans cette logique de business partner suppose des améliorations dans le fonctionnement des équipes. Et pour les directions juridiques interrogées, le principal objectif est d’améliorer « l’efficience interne du département » et de trouver les moyens de faire gagner du temps aux juristes. Si en France, c’est principalement le directeur juridique qui est chargé du fonctionnement quotidien du département, la tendance est de s’inspirer du modèle américain, en mettant en place un directeur des opérations au sein du département. Un poste qui ne doit pas nécessairement être confié à un juriste, mais plutôt à des experts de la gestion de projets, de coûts, etc. Cela démontre, pour Frédéric Escudier, que l’on reconnaît « qu’une direction juridique, ça se manage » et qu’elle a besoin d’un management spécialisé.
La digitalisation reste ensuite le meilleur moyen de remplir ces objectifs d’efficacité et de gain de temps. Sans surprise, l’inégalité est forte selon la taille des entreprises et des directions juridiques : si les grands groupes ont souvent mis en place une vraie digitalisation, les directions juridiques moyennes ont une solution digitale, mais qui ne correspond pas à tous leurs besoins, et les plus petites n’en ont parfois aucune. L’explication vient peut-être du fait « qu’il y avait une offre extrêmement limitée, souligne Emmanuel Bertrand. Mais depuis deux ans, il n’y a jamais eu autant de legaltech qui se sont créées à travers le monde, et qui propose des outils à des tarifs peu excessifs. » Et ces outils vont également jouer un rôle important dans la démonstration de la valeur de la direction juridique. Car en plus d’améliorer l’efficacité du département et la satisfaction des clients internes, ils permettent également un meilleur reporting. « Pour démontrer que l’on est un véritable business partner, il faut des données, confirme Emmanuel Bertrand. Et beaucoup de directeurs juridiques nous ont dit qu’ils disposaient de nombreuses données, sans pouvoir les analyser de manière optimale afin d’améliorer la performance de leur direction. Typiquement, les outils digitaux sont là aussi pour bénéficier de reporting de qualité automatisés et à jour. »
Valeur du juridique : une prise de conscience progressive
- Table ronde avec Joël Grangé, Christophe Roquilly, Anne Lange, Frédéric Escudier et Bénédicte Bahier.
Dans une logique business, prouver sa valeur est en effet un élément clé, mais difficile pour les fonctions support comme le juridique. Pourtant, l’évolution des pratiques et des législations poussent dirigeants, actionnaires, et même opérationnels à voir le juridique, et donc le département qui s’en occupe, différemment. « Ces dernières années, de plus en plus d’éléments ont poussé les actionnaires à regarder d’autres paramètres pour leurs investissements, des sujets sur lesquels les juristes sont au premier plan » explique Bénédicte Bahier, directeur juridique groupe Legrand SA. « Les sujets comme l’éthique sont très complexes pour les administrateurs, confirme Anne Lange, administrateur, Orange, Pernod-Ricard et Imprimerie Nationale. Nous sommes un peu démunis parce qu’il y a la loi, et l’esprit de la loi. Nous voulons avoir le discours le plus net possible, nous avons donc besoin de l’expertise du juriste. » L’augmentation des normes et des règles éthiques et compliance mettent en effet en valeur la direction juridique : même si tous les risques ne sont pas uniquement juridiques, c’est l’expertise du juriste qui saura détecter si certaines initiatives sont dangereuses pour la réputation de l’entreprise. Plus encore, ces règles peuvent permettre à l’entreprise de se mettre en avant. « Des membres du marketing ont trouvé que le juridique était un élément intéressant par rapport aux données personnelles, non pas pour une question de risque, mais pour se démarquer » souligne Bénédicte Bahier.
La dynamique est donc lancée … même si du chemin reste à parcourir. « Le directeur juridique, comme tout autre directeur, rêve d’être plus associé à l’élaboration de la stratégie de l’entreprise, alors que des dirigeants estiment que ce n’est pas le rôle du juriste » déplore Joël Grangé, avocat associé, Flichy Grangé Avocats. Pourtant, comme le souligne Christophe Roquilly, doyen du corps professoral de la recherche, EDHEC Business School, « j’ai le sentiment que l’on confond la vision et la stratégie. La vision est la direction dans laquelle l’entreprise veut aller, sa projection dans l’avenir. Pour l’atteindre, il faut mettre en œuvre une stratégie, et je ne vois pas en quoi les directeurs juridiques se seraient pas également contributeurs . »